Avec tes yeux
Sire Cedric / Cédric Sire
Pocket
Si on aime les définitions précises, Avec tes yeux appartient au genre thriller policier fantastique d’horreur. Opposition pleine de suspens avec un tueur en série, enquête pour découvrir son identité, connexion psychique entre le méchant et le gentil, quelques scènes pas piquées des hannetons, chargées en hémoglobine et énucléations. Tout y est.
Si on préfère les définitions courtes, le terme de giallo vient à l’esprit, au moins pour la partie du corpus cinématographique qui comporte des éléments surnaturels.
Pour ceux qui l’ont connue, pile le fonds de commerce de la collection Terreur de Pocket. En rouge et noir, pour citer Jeanne Mas, Stendhal et Juan García Oliver – chacun piochera la référence qui lui parle.
Bref, du Sire Cedric.
Pour autant, le bonhomme ne tourne pas en rond. On retrouve son univers et sa patte d’auteur, donc un terrain connu, mais d’un bouquin l’autre il parvient à raconter quelque chose de différent, par la thématique, l’angle d’approche ou l’évolution de son écriture.
Ici, il sera question d’yeux.
Sans blague ? Eh ouais ! Comme dans le titre, ça tombe bien. Je suis même presque sûr qu’il y a un lien.
Les nœils, donc, un thème récurrent dans les livres du chevelu toulousain. Je pense en premier lieu à L’enfant des cimetières avec son regard d’un bleu si particulier… et si mortel. Du feu de l’enfer comporte un joli lot de cagoules qui ne laissent voir que les yeux de la personne camouflée dessous, plus un jeu sur ce que certains personnages (et le lecteur) voient à travers leur masque.
Dans celui-ci, je dirais bien qu’ils se trouvent au cœur du roman, mais des yeux au niveau du cœur, bonjour le non-sens anatomique.
Cédric aimant les clins d’œil onomastiques (cf. Manon dans Du feu de l’enfer), son personnage principal se prénomme Thomas. Comme l’apôtre et son célèbre “je ne crois que ce que je vois”. Pour pousser encore un peu sur l’allusif, lorsqu’il aura besoin d’une fausse identité, Toto troquera son vrai nom pour celui de Rimeur. Référence au roman Thomas le Rimeur d’Ellen Kushner, je suppose.
Le Tom ne m’a pas emballé plus que ça. Webmaster sans envergure, il passe la majeure partie de son temps à glander sur son ordi… insomniaque, donc dans le cirage les trois quarts du temps… largué par sa copine dès le début du roman… le gars n’a pas de prise sur grand-chose. Faut reconnaître qu’en matière de caractère romanesque, on ferait difficilement plus terne. On dirait moi à vingt-cinq ans… Par la suite, même si Thomas gagne un peu d’éclat et s’offre quelques fulgurances de premier plan, il reste à la traîne. L’archétype du mec qui subit, pantin promené par d’autres pendant les trois quarts du roman. En dépit des points communs entre lui et mon moi passé, pas moyen de me glisser dans ses pompes de traîne-savate.
Note que ça n’a rien d’un défaut d’écriture. Thomas m’a paru crédible, tel qu’il devait être. Un type normal, dépassé par les événements, épuisé par le manque de sommeil donc pas en état de jouer les foudres de guerre. Pas un ex-super-agent-secret qui sortirait de sa retraite pour botter des séants et sauver sa femme/sa fille/son chien/autre (précisez). Il est webmaster, pas cuistot dans Piège en haute mer.
Or donc, le gars se retrouve embarqué dans une séance d’hypnose qui tourne mal. Des images de torture et de meurtre l’envahissent. Hallucinations ? Prémonitions ? Vision d’un événement en train de se produire ?… Questions rhétoriques, puisque seul Thomas se les pose. Le lecteur sait dans quelles eaux il navigue dès l’incipit. Voire avant. La quatrième fait tout de suite penser au film Hypnose, adaptation de A Stir of Echoes de Richard Matheson par David Koepp en 1999, avec Kevin Bacon qui incarne un certain Tom. En cours de lecture, j’ai eu aussi quelques réminiscences du film The Eye des frères Pang (2002) et bien sûr la saga de Freddy Krueger, riche en cauchemars, insomnies et lutte contre le sommeil. Autant dire une filiation qui cadre avec l’écriture très cinématographique de Cédric.
En plus de Thomas, le roman s’articule autour de trois autres personnages : le tueur et deux “alliés”.
Le tueur, bouche cousue pour éviter de trop en raconter. Figure d’opposant classique et de serial killer tout aussi classique.
Quant aux “alliés”, je mets des guillemets, parce qu’avec des adjuvants pareils, qui mènent la vie dure à Thomas, il n’a presque pas besoin d’ennemis. L’ordre de présentation important peu, on commence par un personnage de hacker, auréolé de mystère comme il se doit, dynamique, plein de ressource, loin de l’image du boutonneux obèse à lunettes planqué derrière douze écrans. Seul regret, sa motivation un peu trop thriller, plus alambiquée que nécessaire et pas indispensable. Ça fonctionne, l’édifice narratif est bien construit, mais flirte sur le dernier quart avec le too much de coups de théâtre, assorti de quelques scènes téléphonées. Efficace, oui, pertinent, moins.
Autre alliée à poigne, Nathalie. Ecrasée par une autorité paternelle toute-puissante, elle a beaucoup de choses à (se) prouver. De fait, le personnage le plus intéressant du bouquin. En comparaison, Thomas cherche juste à pioncer peinard, quête glorieuse qui ne dépareillerait pas sur les CV de Perceval et Karadoc, entre les anguilles du lac de l’Ombre et les fenouils sporadiques. Ce versant initiatique va en plus justifier les agissements peu orthodoxes de Nathalie, choix d’écriture plus intéressant qu’un banal caractère de franc-tireur comme on en a déjà vu dans douze mille thrillers. Bien vu, l’aveugle.
Sacré trio, ou plutôt deux binômes avec Thomas comme pivot. Chacun de ses membres a quelque chose à régler dans sa tête et dans sa vie, qui le bouffe et l’empêche de dormir sur ses deux oreilles.
L’intérêt majeur du roman tient à ses personnages. Le reste est bien fait, pas de souci, bien écrit, bien construit, efficace, avec tension et suspens… Enfin, si on n’est pas trop rodé au genre. Quand on a l’habitude des codes du thriller et de l’épouvante, Avec tes yeux ne propose pas de surprises réelles. Les révélations et coups de théâtre restent des péripéties classiques, qui arrivent au moment opportun. Pas de prise de risque qui briserait le canon du thriller et blufferait le lecteur.
Pourtant, l’ensemble fonctionne. J’avais beau voir arriver chaque scène, chaque retournement de situation, chaque révélation “inattendue” (sic), je ne me suis pas ennuyé comme c’est le cas d’ordinaire dans les bouquins où je devine la suite. La touche fantastique et la giclée de gore apportent une vraie plus-value et donnent au roman une dimension que n’ont pas moult thrillers lambda. Il y a quelque chose dans la plume de Cédric qui su maintenir mon attention éveillée. Je dirais un mélange entre la construction du récit – fluide et carrée – et le talent de conteur – dynamique.
Une mécanique huilée comme un corps de gladiateur, de quoi rendre tout chose le commandant Havoux.