L’île des morts – Guillaume Sorel & Thomas Mosdi

L'île des morts intégrale Thomas Mosdi Guillaume Sorel Vents d'Ouest

L’île des morts
Thomas Mosdi & Guillaume Sorel

Vents d’Ouest

Je me rappelle que la série de BD L’île des morts avait pas mal fait parler d’elle en son temps, dans les années 90. Il me semble de mémoire qu’elle avait eu droit à un article complet dans la revue Casus Belli (flemme de refeuilleter toutes les tables des matières de mes exemplaires pour vérifier) et je suis retombé sur des mentions au détour des premiers numéros de Dragon Magazine.
Depuis trente ans que j’entends parler de L’île des morts, il était temps que je me mette en route vers cette destination, histoire de rattraper mon retard sur l’actu des sorties littéraires.

L'île des morts tome 1 In cauda venenum Thomas Mosdi Guillaume Sorel Vents d'Ouest

Tome 1 : In cauda venenum

Du style ! Du texte, beaucoup moins, avec un paquet de cases voire des pages entières sans un mot. Une chose est sûre, l’album a du cachet et propose autre chose que du déjà vu en matière graphique. L’ambiance d’horreur gothique lorgnant sur du Lovecraft fonctionne bien. Le récit quant à lui ne donne pas un pet d’explication de rien, ce qui pose bien le mystère tout en étant quand même quelque peu frustrant, parce qu’on ne pige pas grand-chose. Bref, un tome complet d’exposition – ce qui est toujours trop dans une série, tous formats confondus, bande dessinée ou roman – pour en arriver à enfin voir le fameux tableau de L’île des morts. Ce qui n’a rien d’une révélation, puisque spoilé par la quatrième de couverture.
À noter pour les non-latinistes que seul le titre est dans la langue de Cicéron, le reste de l’album est en français. Pas besoin d’un Gaffiot pour pouvoir le lire.

L'île des morts tome 2 Mors ultima ratio Thomas Mosdi Guillaume Sorel Vents d'Ouest

Tome 2 : Mors ultima ratio

Le jeune peintre, qui s’appelle juste “le jeune peintre”, part en direction de chez Böcklin, le vieux peintre de L’île des morts. (Oui, ça fait beaucoup de peintres…) Pour ensuite continuer son périple vers la fameuse île qui a servi de modèle. A priori, tout le monde s’intéresse à ces deux peintres, au vieux un peu, au jeune beaucoup, sans qu’on sache pourquoi à ce stade, même si on sent bien poindre l’intrigue à base de société secrète, cultistes frappadingues et complot occulte.
On assiste au passage au retour du prêtre du premier tome, censé être mort. Faudra s’habituer à voir des maccabées repointer le bout du nez, ce qui se tient avec cette île qui est une espèce d’entre-deux entre la vie et la mort… mais relève parfois du “ta gueule, c’est magique” (on sait pas pourquoi certains parviennent à en revenir, d’autres non).
Pas toujours simple à suivre, cette histoire pleine de mystères, de motivations cachées, de personnages qui n’ont pas tous de nom, y compris parmi les principaux protagonistes.
L’ambiance fantastique fonctionne toujours très bien, puisant son inspiration dans la peinture (Arnold Böcklin et son tableau ont vraiment existé), la mythologie grecque (Charon), la sorcellerie médiévale, la legende du Hollandais volant, Arthur Machen, Jean Ray, Lovecraft… Mais pas que, ce qui fait qu’à force d’empiler les références, la fin de la série deviendra un mille-feuilles peu digeste.

L'île des morts tome 3 Abyssus abyssum invocat Thomas Mosdi Guillaume Sorel Vents d'Ouest

Tome 3 : Abyssus abyssum invocat

Quinze ans après la fin du tome 2, notre jeune peintre est à l’asile. Le récit se fait beaucoup plus lovecraftien, avec présence de tentacules, mentions des Grands Anciens, ainsi qu’une vision de R’lyeh… pour mieux s’en écarter dans les deux derniers tomes et rester sur une histoire familiale de sorcier séculaire obsédé par l’idée de revenir parmi les vivants.
On a enfin des explications sur le plus gros des tenants et aboutissants. Et clairement, la série aurait pu s’arrêter ici (voire aurait dû).

L'île des morts tome 4 Perinde ac cadaver Thomas Mosdi Guillaume Sorel Vents d'Ouest

Tome 4 : Perinde ac cadaver

On remet dix balles dans la machine et c’est reparti de plus belle pour un quatrième tome qui ne s’imposait pas.
L’horreur gothique glisse vers le baroque, la série, elle, commence à déraper.
On note l’arrivée en force de l’Église, qui occupe pas mal de pages… pour n’aller nulle part. On a aussi un nouveau personnage avec une autre version du tableau, les deux n’apportant pas grand-chose à l’intrigue à part rallonger une sauce qui prend assez mal.
Alors certes, on a des explications supplémentaires sur le pourquoi du comment, mais elles auraient pu être casées avant plutôt que dans ce tome confus qui n’a pas l’air de savoir où il va.

L'île des morts tome 5 Acta est fabula Thomas Mosdi Guillaume Sorel Vents d'Ouest

Tome 5 : Acta est fabula

Dernière plâtrée de révélations… dont l’essentiel recoupe de façon très bavarde ce qu’on savait déjà par les explications plus laconiques des tomes 2 et 3. Autant dans les premiers tomes, les personnages étaient peu loquaces, autant dans le 4 et surtout celui-ci, ils te débitent des tirades de folie au kilomètre.
Beaucoup de mise en scène, au sens le plus littéral : il y avait déjà pas mal de théâtre dans le tome 4, ici c’est la commedia dell’arte tout du long. Très boschien dans son esthétique mais très vide aussi dans sa narration. Ça part dans tous les sens sans qu’on capte de direction claire. Il était question de ramener les Grands Anciens, à commencer par celui dont personne ne prononce jamais le nom (Cthulhu, en l’occurrence). Le projet passe au second plan derrière la résurrection d’un sorcier médiéval pas tout à fait mort, ancêtre des trois quarts de la galerie de personnages.
Trop d’esbrouffe et de grandiloquence alors qu’on était parti dans l’horreur feutrée, pour aboutir à un final grand-guignol assez vain.

À l’arrive de ce marathon îledemortien que je me suis enfilé d’une traite, les trois premiers tomes sont déroutants, parfois hermétiques, mais assez intrigants pour donner envie d’avoir le fin mot. Les deux derniers laissent un sentiment plus mitigé d’avoir voulu trop en faire et trop en dire, avec un paquet de révélations déjà connues dans le tome 3 et le reste qui aurait pu être distillé tout au long des premiers opus au lieu de cantonner les personnages à tant de mutisme.
On regrettera dans l’intégrale la médiocrité du travail éditorial, Vents d’Ouest n’ayant pas pris la peine de profiter de l’occasion pour corriger les nombreuses fautes et coquilles qui parsèment les bulles.
Reste une BD pas désagréable dans l’ensemble, déséquilibrée dans sa narration mais très stylée sur la forme.

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