Le grand dieu Pan – Arthur Machen

Le grand dieu Pan
Arthur Machen

Librio

Avec un titre pareil, on s’attendrait à lire une biographie de Samuel Colt, mais non, Le grand dieu Pan propose un récit fantastique, un classique de la littérature d’horreur.

Couverture roman Le grand dieu Pan Arthur Machen Librio

Un toubib joue au savant fou avec Mary, une de ses patientes, pour lui faire découvrir le vrai visage du monde sous le voile que perçoit le commun des mortels. Sans surprise, l’expérience part en sucette, la patiente finit cinglée au dernier degré après sa rencontre avec le dieu Pan lui-même.
Quelques années plus tard, une autre femme, Helen, débarque dans l’histoire et dans son sillage arrivent des événements pas catholiques : des mecs qui claquent dans d’étranges circonstances, des jeux de plein air avec des satyres (dans les deux sens du terme), des meufs qui gambadent dans la pampa à moitié à poil, des orgies… Bref, tout un pataquès pas très bien vu dans la bonne société britannique, très collet monté et coincée du cul.
La grande question sera de savoir qui est cette Helen et la réponse risque de ne pas plaire à Roch Voisine…

Court roman, novella ou longue nouvelle, la longueur bâtarde du texte – même pas cent pages – lui permet de se classer n’importe où. Comme la classification, en vrai, on s’en tamponne, tout ce qu’il faut en retenir, c’est que Le grand dieu Pan est vite lu et qu’il est bien. Tout un tas d’auteurs ne tarissent pas d’éloges à son sujet, certains s’en sont inspirés pour tel ou tel texte (i.e. Stephen King pour la nouvelle N dans le recueil Juste avant le crépuscule) voire toute leur œuvre (i.e. Lovecraft).
À sa parution, tout le monde n’était pourtant pas de cet avis et Le grand dieu Pan s’est vu déglingué parce que trop morbide, décadent, dégénéré… Est-ce que ça aura été le cas si Machen était parti sur Dionysos plutôt que Pan ? Les deux loustics partagent pas mal de traits communs dans la mythologie grecque et tout un tas de cabrioles olé-olé dans le bouquin ont un côté dionysiaque. Tout le monde se lâche, c’est la fiesta, no limit, au revoir les inhibitions, yolo ! Mais ça finit mal. Elle est là, la grande différence entre Dionysos et Pan. En quelque sorte, Dionysos, c’est La chèvre de monsieur Seguin et Pan les mille chevreaux de Shub-Niggurath. Chez le premier, on est plutôt dans le festif jovial, à mi-chemin entre nature (l’abandon de certains codes sociaux) et culture (tout ce qui touche au vin, par exemple, ben le pinard, il pousse pas tel quel sur les arbres, c’est un produit transformé par l’homme). On reste dans la débauche à visage humain – d’ailleurs Dionysos est représenté avec des traits humains. Avec Pan, c’est une autre chanson : le gars se promène avec des cornes sur la tête, des pattes de bouc et la teub au vent (et faut voir la taille du machin, une vraie bûche !). La nature à l’état brut, bestial. Le gars a d’ailleurs laissé son nom à la panique, tellement il était capable de foutre les jetons.
Si ce n’avait été que Pan, le texte aurait été qualifié d’horreur gothique et puis voilà, mais non, il y a Helen, tous les sous-entendus sexuels qu’elle trimbale et tout ce qu’elle représente à l’époque pour la société victorienne. Une femme fatale, une femme indépendante (y en a qui ont encore du mal avec ce concept en 2024, je vous laisse imaginer en 1894), une femme très libre et très active dans sa sexualité, pansexuelle (sa proximité avec Rachel ne laisse aucun doute sur le fait qu’elle ne se limite pas aux hommes) voire Pan-sexuelle (le coup du faune ne laisse quant à lui aucun doute sur le fait qu’elle ne se limite pas aux êtres humains). Impensable en cette fin XIXe qui ne jure que par les corsets et les trois mille couches de vêtements dont on recouvre les femmes pour en voir le moins possible. Helen est une monstruosité pour les contemporains et j’aime beaucoup le gag que son comportement soit jugé contre-nature pour quelqu’un qui n’en a jamais été aussi près, de la nature. Pan, on peut pas faire plus nature.

Sinon, au-delà des prises de tête analytiques sur la symbolique dans l’œuvre, Le grand dieu Pan, c’est aussi plus simplement une bonne pioche si vous voulez lire un bon récit d’épouvante qui fonctionne dans sa montée de l’horreur, angoissant parce que bien construit et percutant parce que court. L’écriture a pris un léger coup de vieux comme dans tout texte où des gens utilisent le passé simple à l’oral, mais la langue reste accessible et ne sonne quand même pas trop archaïque. Un conseil, en édition papier, tournez-vous plutôt du côté du marché de l’occasion pour vous procurer un vieux Librio ou un vieux Livre de Poche, il ne vous en coûtera qu’un ou deux euros. Les versions papier contemporaines sont hors de prix pour ce que c’est et même en numérique, il me semble cher pour un bouquin de moins de cent pages. Après, vous faites comme vous voulez ; dans tous les cas, ce serait dommage de passer à côté de ce roman qui a frappé un grand coup. PAN !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *