Je t’arrête tout de suite, il n’est pas question de Christophe “Greystoke, Highlander, hin hin hin” Lambert mais de Christophe “pas l’acteur, l’autre” Lambert.
Du prolifique Lambert, j’ai lu La Brèche, Le Commando des Immortels et Zoulou Kingdom ; Aucun homme n’est une île traîne dans ma pile à lire. Les quatre ont un point commun : l’uchronie.
Zoulou Kingdom
Christophe Lambert
Pocket
Quatrième de couverture :
Au début de l’année 1879, l’armée britannique stationnée en Afrique du Sud s’apprête à envahir le Zoulouland, gouverné par le roi Cetshwayo, et n’attend plus qu’un ordre pour franchir le fleuve qui sépare les deux nations.
Mais c’est compter sans la puissante magie zouloue aux mains du grand sorcier Mpande : quarante mille Zoulous déferlent bientôt sur Londres, comme une armée de spectres surgissant de la brume !
Et au milieu du chaos, une âme noire comme la nuit rôde dans les rues de la ville à la recherche de nouvelles proies…
Zoulou Kingdom relève du steampunk tel que l’a initié Tim Powers avec Les voies d’Anubis. Pas d’inventions rétrofuturistes crachant de la vapeur par tous les trous mais du XIXe siècle so british avec des figures historiques et de la magie dedans.
Dans notre 1879, les Anglais s’embarquent dans une guerre coloniale contre le Zoulouland avec pour objectif le contrôle des mines d’or et de diamants. Les Zoulous y perdent leur indépendance et finiront annexés quelques années plus tard. Dans le 1879 de Lambert, ces mêmes Zoulous, sentant le coup arriver, prennent les devants et attaquent les Anglais chez eux. A Londres. En pirogue.
L’Invincible Armada, le retour ! L’opération Seelöwe avec soixante ans d’avance ! Overlord à l’envers ! [Là, j’ai coupé la litanie de 270 références historiques, mais tu peux la continuer chez toi.] Pas possible, dis-tu ? Non, bien sûr que non. Les Zoulous s’épargnent un pénible trajet grâce à la magie. Et voilà Londres aux prises avec la horde sauvage.
Le point de vue sur les événements sera celui des Anglais, alors que la version zouloue aurait été à mon avis plus intéressante. Vu qu’on se retrouve côté britannique, ces pauvres choux agressés pour le coup, les Zoulous passent pour des bourrins sanguinaires et destructeurs. Quelque part, c’est le cas, puisqu’ils ont le rôle des envahisseurs et pulvérisent tout sur leur passage. Et dans la vraie vie, les mecs n’étaient pas non plus des enfants de chœur conformes au mythe du “bon sauvage”. Bref ni meilleur ni pire que n’importe quel autre peuple.
Après, dans un contexte de fiction, le risque est faible qu’un lecteur dérape et en arrive à la conclusion que les Zoulous ont mérité la colonisation, parce que c’est rien que des sales barbares vilains pas beaux. Je trouve juste dommage que le renversement de situation reste basique en se contentant d’inverser les rôles sans aller plus loin. D’autres options étaient possibles. Soit, pas très original mais toujours efficace, faire des Zoulous LE symbole de la revanche, celle des peuples colonisés, pillés, matraqués, etc. (là aussi j’ai tronqué la liste). Soit jouer l’inversion à fond et les rendre plus impérialistes que les colonisateurs, ressortir les discours pas si anciens de guerre “préventive et juste” à la George W. Bush. Pour info, le bouquin est sorti en 2006, soit trois ans après l’invasion de l’Irak, la matière ne manquait pas…
Le gros défaut du bouquin : une putain d’idée géniale et accrocheuse… au final pas exploitée en elle-même et porteuse de rien. Je n’ai pas détesté Zoulou Kingdom pour autant, il reste un sympathique roman de divertissement, mais il ne va pas au bout de lui-même alors qu’il partait avec assez de munitions pour plonger très loin. Au final, les Zoulous du titre se résument à une menace fantôme, une toile de fond pour un tas de péripéties au cœur de la capitale britannique.
En fin d’ouvrage, Lambert indique ses sources d’inspiration et ajoute quelques commentaires, dont un très éloquent : “Cette histoire ne traite pas des Zoulous. Pour moi, elle traite de la réaction d’une société, strate par strate, lorsqu’elle est confrontée à une catastrophe.” Eloquent, parce que, quand tu dois expliquer le sujet de l’histoire que tu viens de raconter, c’est que tu as raté ton coup. Je dressais le même constat pour Roadmaster de Stephen King, obligé de préciser à plusieurs reprises son propos tellement il n’est pas clair en soi.
Pour rester sur King, l’idée de Lambert, LA référence, se trouve dans Le Fléau. Dans ce cas, pourquoi se casser la nénette à ramener des Zoulous du bout du monde et ajouter de la magie ? Tu décales ton uchronie de 70 ans dans le passé et hop la Grande Armée de Napoléon à Douvres. Si tu veux garder la même date, une guerre avec la France tiendrait la route en bricolant quelques événement historiques (on ne manquait pas de différends via nos empires coloniaux respectifs).
La perfide Albion, elle, est bien lotie. On sent que l’auteur a bossé ses recherches. Pour avoir étudié l’Angleterre victorienne dans mes vertes années estudiantines, rien à redire, très documenté, détaillé, pointu.
On croisera au passage pas mal de figures historiques, de Jack l’Eventreur à H. G. Wells en passant par Joseph Merrick (Elephant Man) et Karl Marx. Pas mal, oui, un peu trop même. Marx… Je n’ai rien contre lui à titre personnel, je porte la barbe aussi (pas par coquetterie, juste la flemme de me raser). Mais qu’est-ce qu’il vient faire là ? Il arrive comme un cheveu sur le porridge et n’apporte rien.
Là, on touche à un autre défaut du bouquin : le trop-plein. Entre les personnages réels et les fictifs, ça fait du monde. Les crimes de l’Eventreur, l’invasion zouloue, une histoire d’amour, une foultitude de péripéties… Les idées foisonnent, très bonnes pour la plupart, sauf que le roman tient en 350 pages pas 600 comme Le Fléau (ou 1200 pour la deuxième version author’s cut). Trop d’ingrédients pour un si petit volume, difficile de creuser, développer, étoffer, exploiter. Tu vois défiler des kyrielles de plats, mais à peine le temps de piocher dedans qu’ils repartent en cuisine. Je suis resté sur ma faim, frustré.
Après, en s’appuyant sur les références de Lambert et certains éléments organiques du roman (chapitres brefs, récit à la première personne, action survoltée…), on peut aussi voir ce traitement comme quelque chose d’orienté littérature et ciné “mauvais genre”, pulp, série B, invasion zombie, les trucs qui tachent. Alan Quatermain (si vous aimez les bisseries, jetez-vous sur ceux avec Richard Chamberlain !), La ligue des gentlemen extraordinaires, From Hell, George Romero, les westerns… très “populaires” et pas sérieux. Sans doute la raison pour laquelle ce roman ne m’a pas déplu malgré ses défauts. Parce que j’adore ces genres et cet état d’esprit où on ne se refuse rien.
Ce roman est-il bon, moyen, raté ? Les trois et aucun. Perso, j’ai bien aimé. Alors que c’est bourré de trucs bancals et de petites incohérences. J’aurais dû détester, surtout quand on sait à quel point le moindre détail foireux a le don de réveiller mes envies de meurtre. Mais non. Pas excellent, très frustrant, et pourtant pas désagréable. Ça vient peut-être du fourmillement d’idées. Un feu d’artifice chapeauté un grand malade qui lancerait TOUTES les fusées en même temps. Y a du spectacle !