Un si joli petit trou de balle !
Alain Klaern
Éditions du Phénix
Je suis tombé sur ce bouquin à l’occasion d’un vide-grenier. Un titre pareil, je pouvais pas passer à côté, on n’en croise pas tous les jours. En plus, j’étais intrigué par le point d’exclamation. Sans, ça marchait aussi, mieux même. Pourquoi une forme exclamative quand une simple affirmative aurait suffi ?
(Tension insoutenable.)
(Suspense à son comble.)
On ne va pas se leurrer, je n’attendais rien de ce livre en dépit de son titre chargé de promesses, que j’imaginais non tenues dans le corps du texte.
Les Éditions du Phénix ont sorti au cours des années 70 des kyrielles de romans érotiques dans plusieurs collections (Cupidon, Aphrodite, Toubib), dont un paquet sous la plume de cet émule de Stakhanov qu’est Alain Klaern, auteur d’une cinquantaine d’entre eux au bas mot. Je n’ai pas l’impression que ces publications aient fait date d’une façon ou d’une autre.
De quoi ça parle ? C’est pas très clair. Où cette histoire veut-elle nous emmener ? Ça l’est encore moins.
Florent Gardauche bosse pour la télévision à Paris. Il est beau, au point que toute femme qui le croise dans le bouquin a envie de coucher avec lui, ce qui ne manque pas d’arriver quelques pages plus loin. Séducteur invétéré, il a ce gros défaut de mépriser les femmes, en plus de ne pas hésiter à les tarter quand il les trouve trop collantes. Un parfait trou du cul, donc, même si ce n’est pas de là que vient le titre de cette œuvre littéraire de haute volée. Il faudra faire avec ce pignouf, puisqu’il occupe le rôle principal de l’histoire. Florent entretient un fantasme autour de la sodomie, ce qui, pour le coup, justifierait le titre… sauf que cet intérêt n’est pas expliqué, ni mis en scène, ni exploité, ni rien. À peine évoqué à un moment où le scénario le requiert et puis c’est tout. Comme attendu, les promesses de ce côté-là resteront lettre morte.
Quand s’ouvre le roman, Florent est entre les bras (et les jambes) de Clarisse de Montlave, dont l’appétit insatiable le laisse sur le carreau. Blessé dans son orgueil de mâle de ne pas pouvoir assurer, il lui colle un pain et puis s’en va. Sauf que voilà, Clarisse est productrice de télévision et sa supérieure hiérarchique, Florent s’attend donc à pointer au chômage à brève échéance après l’avoir boxée.
Coup de bol, deux de ses potes se pointent pour lui proposer du taf. En l’occurrence, le bon vieux ressort narratif de ce genre de littérature pour justifier les scènes olé-olé : un tournage de porno, sur la Côte d’Azur, loin de Paris et de Clarisse. Les deux acolytes sont accompagnés d’une paire de donzelles, les futures vedettes du film, tout ce petit monde bossant aussi pour la télé dans la périphérie de Florent et Clarisse. Et tout ça… va plus ou moins ne jamais servir pour la suite de l’histoire, ce qui fait qu’on se demande quel est l’intérêt ne nous tartiner des pages sur le sujet pour les laisser en plan derrière. Le tournage prétexte sera l’occasion d’une scène ou deux, avant de passer au second plan pour n’être plus qu’une vague toile de fond, dont plus personne, ni l’auteur, ni le lecteur, ni les personnages, n’a rien à foutre. Quant aux actrices et aux potos, on les croisera de loin en loin pour alimenter quelques dialogues sans que les personnages soient exploités.
De son côté, Clarisse n’a pas dit son dernier mot. Elle est folle de Florent. Folle, ici au sens littéral, parce que son comportement dépasse le romanesque pour toucher à la psychiatrie… ou à l’écriture foirée du personnage. On ne sait jamais ce qu’elle cherche à obtenir en vérité, entre conquérir Florent ou se venger de lui. En fait, elle mène les deux en simultané dans la plus parfaite incohérence, sur la base de comportements erratiques et WTF.
Notez que tous les protagonistes donnent dans l’insensé, chaque action contredisant leurs paroles, leur psychologie, leurs motivations… Par exemple, Clarisse qui n’a jamais offert son cul à quiconque est prête à se faire dépouiller la rondelle par Florent en gage d’amour. Icelui, qui pourtant rêve de sodomie, refuse. Parce que. Plus tard, Clarisse, qui n’a toujours pas changé d’avis quant à la préservation de son sanctuaire rectal, va quand même s’empaler le séant sur le chibre d’un personnage secondaire dans la plus parfaite contradiction avec elle-même. Parce que. Y a rien de justifié ni de logique dans ce que font les personnages. Jamais.
Bref, Clarisse, qui a le bras aussi long que ses douces jambes galbées, se met en cheville avec le producteur du porno sur lequel Florent doit bosser, couche avec lui parce que ça l’amuse et obtient un rôle dans le film pour se rapprocher de l’objet de ses transports.
Mais…
Pas à un rebondissement délirant près, l’auteur décide de rendre les retrouvailles sur le plateau entre Clarisse et Florent encore plus houleuses et abracadabrantes en ajoutant un nouveau personnage : Marinette. Fille de la gouvernante qui gère la cuisine de la villa où se déroule le tournage, Marinette tombe à son tour amoureuse de Florent mais sans coucher avec lui – c’est bien la seule –, lui annonçant qu’elle se préserve pour après leur mariage. Florent, indépendant, rétif à toute idée de s’attacher à une femme, va donc refuser. Ah mais non, il accepte la proposition ! Hein ? Mais que… quoi ?… L’idée a autant de sens qu’un Hannibal Lecter qui déciderait un beau matin en se levant de devenir végétarien.
On l’aura compris, niveau scénario, Un si joli petit trou de balle ! est un vaudeville improbable. Sans les scènes de cul, on obtiendrait une de ces comédies franchouillardes pouet-pouet comme en il en fleurissait douze par semaine sur les écrans de cinéma pendant les années 70. Avec, on obtient un roman érotique (très) soft qui demande beaucoup d’imagination pour se représenter les choses de l’amour. Les ébats sont expédiés en quelques lignes – sauf une scène lesbienne inexplicablement étirée sur deux, trois pages. Dans ces descriptions qui n’en sont pas, tout n’est que périphrases, métaphores et symboles sans rien de très explicite, et jamais au grand jamais un mot cru. Pas de quoi exploser ses fonds de culotte, on reste pas mal sur sa faim. Peut-être est-ce une question de censure de l’époque ou de ligne éditoriale du Phénix ?… Aucune idée, je ne suis pas historien de la littérature ni expert en droit des années 70.
L’intrigue part dans tous les sens entre les colères de Florent, les machinations d’une Clarisse désespérée (qui reste au fond le perso le plus sympa du bouquin), les atermoiements de Marinette (dont le projet de mariage sera bien sûr torpillé en cours de route pour être sauvé in extremis dans la grande tradition de la comédie romantique), les envolées de la mère de Marinette inquiète pour la vertu de sa fille, les coquineries de tout un tas de personnages secondaires qui vont et viennent au gré des besoins de remplissage des chapitres et l’arrivée en fin d’histoire de Nancy, la notable locale qui arrange les ballons en trimballant derrière elle une vraie cour. Parce que sur ce point, Klaern ne lésine pas sur le casting et déverse des légions de protagonistes, la plupart des silhouettes inutiles. Chaque fois qu’il doit relancer la machine de l’intrigue, un nouveau personnage, voire plusieurs, débarque, sorti de nulle part. Aucun n’est jamais creusé, tous sont des archétypes. À peine exploités, ils se contentent d’apporter leur grain de sel à l’occasion d’un chapitre pour certains, quand d’autres se bornent à de la figuration sans que leur présence serve à quelque chose. Ils sont là. Parce que. Ils ne seraient pas là, on ne verrait pas la différence.
Seul point positif de l’écriture, Klaern arrive à peu près à différencier ses intervenants à travers leur façon de s’exprimer. Pour le reste… La narration est en mode yolo, rien n’a de sens. Le ton hésite entre le sentimental, l’érotique, la comédie, l’académisme, le familier, le second degré, le premier… Pas grand-chose à sauver de cette tambouille à part son titre rigolo…
Alors le titre, justement. Attention, ça va spoiler.
Il s’agit d’une phrase d’un médecin venu au chevet de Clarisse qui a tenté de se suicider en voyant que Florent lui échappait, tout entier dévoué à Marinette et à ses noces prochaines. Visant sa tempe avec un flingue qui traînait là grâce à la magie du scénario, Clarisse a raté son tir et s’est mis une bastos dans l’épaule.
On parle donc ici d’un orifice causé par un projectile d’arme à feu de faible calibre : “un si petit trou de balle !” dira le médecin, exclamatif (p.178).
Qu’on se rassure, tout est bien qui finit bien pour tout le monde. Florent épouse Marinette, Clarisse se remet de sa blessure et les félicite de bon cœur même si ça n’a aucun sens par rapport à tout ce qu’elle a fait jusqu’ici, Marinette offre à Florent sa virginité dans un bain de sang et le roman se termine sur le moment où elle présente ses rondeurs fessières à son époux pour qu’il lui fasse, dit-elle, comme à Clarisse (alors qu’il n’a jamais pété le cul de Clarisse, mais à ce stade, on n’est plus à une incohérence près). Et Florent de conclure : “un trou de balle, c’est quand même à considérer de près”. Première et dernière fois qu’il émettra une remarque intelligente dans le bouquin.
J’ai adoré cette chronique! Merci beaucoup pour cette lecture qui m’a remonté le moral!