Toire no Hanako-san – Okotsu Aigi

Toire no Hanako-san
Okotsu Aigi
Yumita Publishing

Hanako est une star au Japon ! Ce fantôme hante les toilettes des écoles. Et ça, c’est pas commun !

Couverture Toire no Hanako-san Okotsu Aigi Yumita Publishing

J’avoue, la chronique n’est qu’un prétexte pour exposer dans la deuxième partie de cet article un point de culture japonaise : les histoires de fantômes.

1ère partie : la chronique

Le roman d’Okotsu n’existe qu’en VO, il est aujourd’hui épuisé et introuvable. Les chances que tu le lises sont aussi minces qu’un anorexique après trois semaines de dysenterie. Je serai donc bref sur la chronique.
Le bouquin met en scène une bande de lycéens et lycéennes confrontés à un fantôme sanguinaire caché dans les toilettes de leur bahut. L’auteur croise l’horreur nippone avec le slasher à l’américaine en jouant sur les clichés issus du cinéma. Archétypes présentés avec assez de second degré pour éviter la caricature, détournement des codes, références aux classiques balayés à coups de dialogues WTF : un vrai faux nanar dans les règles de l’art, solide sur le fond et drôle dans l’esprit.
Seul petit défaut, la structure répétitive exploration-séparation-mort-découverte du cadavre par les survivants. Mais comme le roman est court, on arrive à la confrontation finale avant que le schéma ne devienne relou pour de bon.
Pur divertissement, fun et rafraîchissant, assez inventif sur un sujet hyper traité (tous supports confondus – folklore, manga, littérature, animation, TV, ciné, jeu vidéo – les déclinaisons de Hanako se comptent par dizaines), un bon petit roman horrifique qui ne se prend pas au sérieux.

Hanako-san
Le Mal se niche dans les endroits les plus improbables…

2ème partie : ghost in the selles

La foire du trône

S’aventurer dans des toilettes japonaises, aller simple pour l’aventure. L’armoire de Narnia, à côté, c’est un tour operator low cost.
Le Japon, “terre de contrastes” comme disent ces grands amateurs de clichés que sont les géographes, offre en termes de gogues deux modèles à l’opposé du spectre civilisationnel.
Le premier, rustique, n’est jamais qu’une version faïencée du simple trou dans le sol. Cousin extrême-oriental des chiottes à la turque, il réserve au contenu de tes poches une foule de mésaventures. Plouf les clés, splatch le portable, glouglou le portefeuille, autant de chutes qui revisitent l’histoire de Paf le chien.
À l’inverse, le second, concentré de technologie, donne l’impression de s’installer sur une version excrétoire du fauteuil de commandement du capitaine Kirk. La découverte de ces goguenots de science-fiction est aussi édifiante que la caverne fécale new-yorkaise pour Bardamu, dans un style tout autre que le “communisme joyeux du caca” mais quand même.
Ma première expérience du futurisme latrinien reste un grand moment de solitude… À en regretter les trois coquillages de Demolition Man… Tu veux juste tirer la chasse, sauf qu’il faut faire le bon choix parmi une chiée de boutons. Jet d’eau à température réglable pour t’ablutionner la rondelle, séchage de tes petites fesses, ventilation anti-odeurs, clim pour les grandes chaleurs, siège chauffant contre la rigueur hivernale, massage, ouverture et fermeture automatique de la lunette et du couvercle, musique pour couvrir tes bruitages pétomanes, divers volumes de chasse en fonction de la taille de la commission, siège éjectable. Pas le moment d’avoir de la merde dans les yeux si tu veux ressortir vivant… et sec (grand moment de solitude bis, je n’éplioguerai pas sur cette expérience traumatisante).

Toilettes japonaises panneau de contrôle
38 boutons, une seule bonne réponse…

Fosse à purin et à démon

Dans un pays obsédé par la propreté, où les notions de pureté et d’impureté imprègnent la vie quotidienne, les lieux d’aisance sont considérés par essence comme souillés, au propre (enfin, façon de parler) comme au figuré. Quand bien même les ouatères brilleraient des mille feux vantés par la publicité à grand renfort d’effets lumineux aveuglants, un lieu impur ne peut qu’attirer le Mal, ça coule de source. À l’instar de l’or du Rhin, le bronze du Soleil Levant est maudit.
Dans les écoles, ce rôle maléfique échoit à la bien nommée “Hanako des toilettes” (トイレの花子さん, Toire no Hanako-san ou 花子さん, Hanako-san en version courte).

L’histoire de Hanako est une légende urbaine. Pas dans un sens à l’américaine qui tient de l’incurable crétinerie à base d’exploration anale extraterrestre et de crocodiles égoutiers, mais parce qu’elle relève de la légende au sens classique par son caractère fictif, oral et fantastique. Quoique récente, elle ne comporte aucun élément novateur et se rattache au corpus folklorique des histoires de fantômes comme il s’en raconte depuis la nuit des temps. Déclinaison moderne sur un vieux substrat.
D’où vient la légende ? Aucune idée. De quand date-t-elle ? Personne ne le sait. Comment a-t-elle émergé ? Mystère. Ses origines remonteraient aux années 1950. Dans le prototype légendaire, une Hanako en jupe rouge apparaît quand tu frappes trois fois à la porte du troisième WC du troisième étage. Un genre de Bloody Mary local (le fantôme, pas le cocktail).
Au début des années 80, Hanako est attestée comme une histoire courante chez les enfants à travers tout le pays, au point de devenir un phénomène de société dans la décennie suivante grâce au cinéma (films éponymes en 1995 et 1998) et aux mangas. Aujourd’hui, il existe à peu près une version différente par école.

Bakezori sandale maudite
Elle va moins faire sa maligne, Cendrillon !

Un fantôme spécifique aux toilettes d’école… Rien d’extraordinaire au Japon où le folklore compte les esprits les plus improbables de l’univers. Mon préféré reste le bakezōri, une vieille sandale avec un seul œil, qui crie en agitant ses petits bras et ses petites jambes.
Comparée à ces tongs surnaturelles, Hanako l’écolière hantant les gogues de son bahut passe pour un monument de normalité.
Pourquoi les écoles plutôt qu’un autre lieu ?
D’une part, l’extrême dureté de la scolarité nippone. Rythme infernal et pression énorme imposés par les parents : certains gamins font du 7h-22h non-stop, avec en prime obligation de réussite. Sans parler du fait que les gamins soient comme on dit “cruels” (des sociopathes miniatures en réalité), surtout au Japon où se pratique l’ijime. Cette forme de harcèlement scolaire, qui consiste à ostraciser et martyriser un élève, fait passer n’importe quel souffre-douleur occidental pour le roi du monde. Bilan, on compte 500 à 600 suicides par an de la primaire à l’université. Quand on connaît la propension des suicidés à revenir d’entre les morts sous forme d’âmes vengeresses, rien d’étonnant à ce que les écoles abritent des redoublants d’outre-tombe.
D’autre part, quand il a été question de reconstruire des établissements scolaires après les bombardements américains de la Seconde Guerre mondiale, il a bien fallu trouver des emplacements. Les terrains les moins chers se situaient… à proximité des cimetières, terre d’élection des revenants, voisins tapageurs s’il en est. Même principe que Simetierre et son cimetière indien, moins les Indiens et le chat.
Là-dessus, l’imagination débordante des marmots n’est sans doute pas étrangère à la naissance de cette légende. Les histoires de fantômes liées aux écoles sont assez nombreuses pour constituer une branche du corpus folklorique. Beaucoup de versions locales ont été développées par les élèves eux-mêmes, toujours partants quand il s’agit de se faire peur. Dans le cas de Hanako, utiliser les toilettes maudites est un défi que se lancent les gamins comme un rite pour prouver leur courage, parfois avec un gros effort de mise en scène. Voix sépulcrale enregistrée sur smartphone, sang factice, fausse main émergeant des toilettes… L’imagination de certains n’a rien à envier à celle des pires tueurs en série…
Je ne serais pas étonné que des profs aient aussi trempé là-dedans. On peut repousser Hanako en lui montrant une copie avec une bonne note. De la même façon que l’ogre viendra te manger si tu ne finis pas ta soupe, Hanako tirera la chasse sur toi si tu ne travailles pas à l’école. Si cette combine n’est pas estampillée salle des profs, je mange mon kimono.

Hanako

Hanako, es-tu là ?

Hanako se présente soit sous l’aspect d’une écolière en uniforme marin, avec jupe rouge et coupe au carré, soit sous la forme du yurei traditionnel, du moins celle qui a pris le pas sur les autres, popularisée par les Ring et consorts (robe blanche qui renvoie au linceul, teint de craie et chevelure noire assez longue pour marcher dessus).
Les écoliers les moins chanceux résident dans la préfecture de Yamagata, puisque là-bas, sous des airs déjà peu rassurants de fantôme classique, Hanako est en réalité (sic) un lézard géant à trois têtes, croisement improbable de yurei, Cerbère et Godzilla.
Selon les versions, il s’agit d’une écolière tuée alors qu’elle se cachait dans les toilettes pour échapper à – au choix, rayez les mentions inutiles – un bombardement lors de la Seconde Guerre mondiale, un parent en colère, un prof entreprenant, un élève obsédé, un pédophile, un amoureux éconduit ou encore le colonel Moutarde avec le chandelier. Dans certains cas, le fantôme est celui d’une gamine qui s’est suicidée ou a été victime d’un accident. Ainsi, dans la préfecture de Fukushima, une variante fait état d’une fillette tombée par la fenêtre d’une bibliothèque et qui hante “donc” les toilettes d’un autre bâtiment (cohérence level zéro…).
La morale de l’histoire atteint, elle, des sommets logiques que La Palice aurait appréciés. Hanako ne s’en prend pas à ceux qui évitent de la croiser. Ah ben mince, jamais je ne me serais douté ! Reste loin du danger et tu ne seras pas en danger ! Merci pour cette formidable leçon de vie…
Après, faut reconnaître un aspect universel à cette vérité profonde. Pas besoin de connaître des exorcismes en latin ou fourchelangue, de trimbaler un glaive en argent trempé dans l’eau bénite ni d’avoir suivi un cursus de prêtre shintō. Suffit d’apprendre à se retenir (ou porter des couches) pour ne pas se friter avec la miss.

La tradition veut que Hanako hante les toilettes des filles. Les garçons ne sont pas pour autant à l’abri vu le nombre de petits pervers pris à se rincer l’œil chez ces demoiselles. Si tu préfères rincer une autre partie de ton anatomie, à tes risques et périls ! Adepte du gloryhole, méfie-toi, terrain miné !
Si ta vessie ou tes entrailles menacent de déborder, évite le troisième gogue du troisième étage, l’antre du démon. Et si, pas de bol, il ne reste que celui-là de libre (on dirait la chauve-souris de Bigard, cette histoire…), il faut frapper à trois reprises en demandant “Hanako, es-tu là ?” comme si tu jouais à faire tourner les tables. On notera le côté con de la méthode : prononcer trois fois le nom de la donzelle revient à invoquer un esprit en colère. Mais comme esquiver la question provoque le courroux de Hanako, dans tous les cas, ça revient au même. La donne est biaisée en faveur du fantôme.
À ce stade, trois options :
1) Personne ne répond, tu peux y aller tranquille et te délester la boyasse.
2) Quelqu’un répond “oui”. Si tu vis dans le monde réel, une camarade facétieuse se fout de ta gueule depuis son trône.
3) Hanako répond “oui” et là, même sans relâcher tes sphincters sous le coup de la peur, te voilà dans la merde jusqu’au cou. Si elle est en colère (et elle l’est toujours), Hanako te happe dans les toilettes et t’entraîne au fond du trou comme un vulgaire étron. En forçant un peu, ça passe (après, on n’a jamais dit que l’expérience était indolore).

Teketeke
Et paf, l’écolière !

Et les ouatères, mon cher Watson

Dans la grande famille des esprits vindicatifs, Hanako n’est pas la seule à s’en prendre aux têtes pas blondes de l’archipel.

Le teketeke (テケテケ) est une fantômette cul-de-jatte qui doit son nom au bruit qu’elle émet en se déplaçant sur les bras. La légende d’origine fait état d’une jeune femme coupée en deux après être tombée sur les rails juste au passage d’un train. Revenue sous forme d’esprit vengeur, elle découpe tous ceux qu’elles croisent, armée d’une faucille voire d’une faux. Oui, elle peut manier une faux et marcher sur les mains en même temps. Ne me demande pas comment, c’est magique.
Avant de prendre ce tour fantastique, la base de l’histoire est un fait divers fictif : une femme mutilée par un train aurait survécu grâce au froid polaire de Hokkaidō qui aurait gelé son sang et arrêté l’hémorragie. N’essayez pas chez vous, l’exploit est impossible et défie toutes les lois de la physique et de la biologie. Bref, une légende urbaine dans toute sa splendeur, racontée par l’ami d’un pote d’une connaissance d’un cousin germain, au point que beaucoup la considèrent comme authentique.
L’histoire, hors sujet jusqu’ici, rejoint celle de Hanako pour donner naissance à Kashima Reiko (仮死魔靈子), dont le nom est la contraction de kamen (仮面, masque), shi (死, mort) et akuma (悪魔, démon), tout un poème… Une écolière coupée en deux dans des circonstances analogues au teketeke… ou pas, puisque là encore les variantes sont autant légion que les troupes de César. Dans la version hanakoïenne, elle hante les toilettes des écoles. Son grand jeu consiste à demander où sont ses jambes, réponse que personne ne connaît et qui vaut au cancre une punition sous forme de démembrement.

Autre spectre, mâle cette fois, Aka Manto (赤マント), “cape rouge”, ce qui n’en fait pas pour autant le cousin de Superman. Réputé hanter les toilettes des filles, le dernier gogue de la rangée sans doute pour ne pas empiéter sur le domaine de Hanako, mais sans se limiter aux seules écoles puisqu’on peut le rencontrer dans les toilettes publiques.
Son nom, cocorico, est issu du français “manteau”, à ceci près qu’il s’agit d’un faux ami en japonais, マント désignant une cape.
L’histoire de ce chaperon rouge maléfique remonte aux années 1930. Son origine exacte est bien sûr inconnue, mais il semblerait qu’elle provienne de Kyōto ou alentours (Ōsaka ou Nara). Elle pourrait être liée à une autre légende urbaine mettant en scène un individu vêtu d’un manteau rouge et adepte du rapt d’enfants, peut-être reliée elle-même à un fait divers de l’époque. Soit beaucoup d’incertitudes et de conditionnel…
En tout cas, à une époque qui ignore le Net et la TV, la légende se répand très vite, au point qu’en 1940, les écoles japonaises en Corée occupée y succombent à leur tour. S’il n’est d’abord qu’un croquemitaine caché dans un placard, parfois qualifié de vampire, Aka Manto se spécialise très tôt pour devenir la terreur des toilettes – ce qui somme toute facilite le transit.
La variante la plus courante dans les écoles est celle de la “cape rouge, cape bleue” (赤いマント・青いマント), véritable piège à cons. Aka Manto te demande si tu préfères une cape rouge ou une cape bleue. Si tu réponds “rouge”, il te décapite et la giclée d’hémoglobine teinte tes vêtements en rouge. S’il a du temps à tuer en plus de ta pomme, il t’arrache la peau du dos et je n’ai pas besoin de préciser la couleur d’un écorché anatomique pour que tu voies le rapport avec la cape ROUGE. Si tu réponds “bleu”, il te pend ou t’étrangle et tu finis avec ce chouette teint cyanosé de l’asphyxie.
Les fantômes nippons présentent cette particularité de ne jamais te laisser la moindre chance. Il n’y a pas de bonne réponse : tu êtes foutu quoi qu’il arrive. Les petits malins qui répondent “jaune” se font coller la tête dans la cuvette et meurent noyés le nez dans leur pisse, on appréciera l’ironie.
Cette histoire serait née de la trouille des élèves de donner une mauvaise réponse… ou même une bonne qu’un prof sadique (oups, pléonasme) considèrerait comme fausse au motif qu’un élève a tout à apprendre et tort par définition.

Teketeke écolières
 I believe I can fly…

Autant dire qu’entre Hanako, Aka Manto et Kashima Reiko, les toilettes scolaires sont très mal fréquentées, terres d’aventures et de tous les dangers. Le Japon est peut-être le pays le plus sûr du monde en termes de criminalité, il n’en reste pas moins que beaucoup sont partis pisser mais tous n’en sont pas revenus.

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