Aventures chthoniennes au fin fond d’un bunker ardennais pour une bande de soldats allemands en 1944 (en fin d’année, en octobre ou à l’automne selon les versions mais pas du tout en juin comme l’annonce la jaquette du DVD français).
D’un résumé à l’autre du film, les troufions appartiennent soit à la 13. Panzer-Division, soit à la division Großdeutschland, soit un mix des deux : la 13. Panzer-Division Großdeutschland… qui n’a jamais existé, vu que la n°13 était surnommée Magdeburger Division et que la Großdeutschland ne portait pas de numéro. Et aucune des deux ne se fritait avec les Ricains dans les Ardennes à la date concernée, elles combattaient les Russes de l’autre côté de l’Allemagne.
Ça démarre bien…
Or donc, des Allemands rescapés de la débandade de leur division se réfugient dans un bunker déjà occupé par deux autres Teutons, l’un assez vieux pour avoir connu Michel Drucker jeune, l’autre à peine sorti de l’âge des Playmobil. À court de munitions et coincés dans une position indéfendable qui risque d’être submergée par l’ennemi à tout moment, les pieds nickelés d’outre-Rhin envisagent de fuir les lieux en passant le réseau de tunnels qui court sous le blockhaus. Sauf que voilà, les souterrains semblent loin d’être aussi déserts qu’ils n’y paraissent et la fuite en loucedé qui ne s’annonçait déjà pas comme une promenade de santé tourne carrément au carnage. Les Américains ont-ils déjà commencé à investir les lieux ou s’agit-il de zombies, fantômes et autres esprits vengeurs ? Tin, tin, tin ! Le suspens est à son comble !
Ou pas.
Voilà un film qui en a déçu plus d’un, en grande partie à cause de sa promo et de son classement abusif dans la catégorie “horreur”. On a essayé de nous vendre un film fantastico-démono-diabolique, ce que The Bunker n’est pas du tout.
Film d’horreur ? Du tout, aucune image horrible à se mettre sous la dent ou les yeux. Un peu de sang, quelques vieux squelettes enterrés, rien de très horrifique, pas de gore ni de tentacules venus de l’espace ou des tréfonds de la terre, pas de tueur fou avec un masque et une tronçonneuse/une hache/un couteau XXL. Pour rester dans la tranch(é)e visée, plutôt qu’un film d’horreur au sens visuel, il cadrerait mieux avec l’épouvante, plus psychologique, plus dans la suggestion. Mais “épouvante” reste un terme un peu fort, on n’est pas pétrifié de trouille à se chier dessus dans son canapé.
The Bunker trouverait plutôt sa place dans la catégorie thriller au sens large, son créneau étant la tension et le suspense pour faire trembloter le spectateur. Le classer en film de guerre se justifie aussi au vu de son contexte et de la scène finale. Après tout, film de guerre ne signifie pas forcément de mettre en scène des batailles rangées tonitruantes impliquant trente mille figurants et trois cents chars d’assaut.
Le film est plutôt honnête, même si pas transcendant et parsemé de longueurs qu’on sent bien passer. Un court-métrage aurait été plus efficace, moins diffus, et aurait évité de se lancer sur des pistes qui cherchent à semer le doute chez le spectateur et ne font en vérité que perdre le film.
Ces pistes partaient d’une bonne idée pour installer le mystère au sein du bunker. Les tunnels sont-ils envahis par les Américains ? Y a-t-il un tueur fou au sein du groupe allemand ? Le bunker est-il hanté ? Trois pistes avec au choix option film de guerre, slasher ou fantastique. L’ambiance onirique de certains passages renforce le flou entre réalité et fantastique, rappelant par moments les écrits d’Ernst Jünger.
Sauf que voilà, le film est mal écrit et ne semble pas savoir où se positionner. En plus des longueurs, du manque de rythme, de l’absence de tension, certaines maladresses minent l’ensemble qui trouve péniblement son explication finale, laquelle ne clarifie pas quelques points essentiels du film (comme la mort du premier allemand dans le bunker qui restera un mystère irrésolu). On a droit aussi à un vétéran qui raconte l’histoire locale avec son lot de légendes médiévales et d’esprits malins, poncif si éculé qu’il touche le fond du ridicule. Cette scène arrive très tôt, elle est surtout très mal amenée et, au lieu de créer le doute, qui est l’essence même du fantastique et du thriller psychologique, elle suscite surtout chez le spectateur des attentes d’horreur et de zombies… qui ne peuvent qu’être déçues puisqu’il n’y en aura pas. On comprend bien à la fin que le récit visait une conclusion du type “tout ça, en fait, c’était dans leur tête”, leur tête farcie des horreurs de la guerre, de violence subie et infligée, de peur, de culpabilité, parce que c’est ça que cherche à raconter The Bunker. C’était l’idée, mais le résultat tourne plutôt au “tout ça pour ça”.
Le film s’est vu reprocher son manque de moyens. Je cherche encore pourquoi. D’accord le casting se compte sur les doigts, mais pour un huis clos, neuf personnages suffisent sans aligner une division complète de dix mille figurants. Pour les mettre où, d’ailleurs ? C’est un blockhaus, pas le château du Haut-Koenigsbourg. Et ce bunker, il ne peut qu’être minimaliste, c’est l’architecture militaire qui veut ça : quelques pièces sommaires et une poignée de couloirs, béton, béton et encore béton, c’est ça, un bunker, j’en ai assez visité pour le savoir. Faut donc pas s’attendre à un décor qui pue le pognon, la galerie des Glaces, c’est sur une autre chaîne, pas ici.
Sinon, niveau armes et uniformes, la reconstitution paraît plutôt bonne à première vue. Elle rend compte du ratissement large, des gamins de 15 ans aux vétérans de 14-18, pour compléter les effectifs d’une Wehrmacht moribonde.
Quant aux stéréotypes des personnages, ils reflètent ce que l’armée allemande comptait dans ses rangs à l’époque : du fantassin lambda au nazi ultra fanatisé, en passant par le (traditionnel) froussard, le vieux briscard qui a fait Verdun ou encore le gamin enrôlé à peine sorti du collège.
Au final, The Bunker est un petit film sans prétention, avec pas mal de bonnes idées mais dont le développement est trop mal mené pour convaincre, comme sa cousine La Tranchée sur un thème analogue. Incohérences et longueurs l’empêchent d’être efficace, même s’il parvient à créer une ambiance claustrophobique et paranoïaque. Le gros problème reste surtout l’argument de vente d’un film pour ce qu’il n’est pas. Il ne faut SURTOUT pas l’aborder comme un film d’horreur, d’épouvante ou fantastique sous peine de rester sur sa faim. Par son atmosphère oppressante, c’est un thriller. Et par son dénouement, c’est un film de guerre vu par le petit bout de la lorgnette, loin des champs de bataille “pleins de bruit et de fureur”. Même si le doute plane un moment, ce n’est pas un film qui fait peur, mais un film sur la peur, sur ce qu’on appelait à l’époque “la fatigue du combat” (aujourd’hui trouble de stress post-traumatique) qui rend bien le mental du soldat allemand de l’époque : perte des repères au fur et à mesure que le Reich s’effondre, fossé déstabilisant entre la propagande et la réalité du front, peur face à l’ennemi qui les encercle, traumatisme d’en avoir trop vu et trop fait, exposition à une violence inouïe, culpabilité d’avoir commis des exactions (en tout cas pour certains, d’autres n’ont pas été étouffés par les remords…).
Dommage de l’avoir présenté comme un film d’horreur sans avoir les moyens d’en réaliser un et de l’avoir lancé sur des pistes frustrantes et hors de propos à l’arrivée. Mieux pensé et mieux positionné , il aurait pu donner un bon film de guerre psychologique.