La Tranchée – Michael J. Bassett

En 1917, une escouade de soldats britanniques se paume parmi les tranchées allemandes et tombe sur un méchant fantôme qui n’aura de cesse de savater la tronche des British jusqu’au dernier.

Affiche La Tranchée M J Bassett 2002

J’avais évoqué il y a quelque temps Solomon Kane du même réalisateur Michael J. Bassett (qui est aujourd’hui la réalisatrice M. J. Bassett), série B sombre et musclée, divertissante dans sa branche malgré son manque de moyens. Aujourd’hui, on s’aventure dans La Tranchée (Deathwatch en VO), film d’horreur psychologique autant que de guerre, tout aussi sombre et fauché. Le film est identique pour les trois quarts à The Bunker dont j’ai parlé le mois dernier, ce qui a le bon goût de permettre une chronique croisée entre ces deux deux films, excellents sur le versant de la psychologie du soldat, beaucoup moins efficaces en revanche sur la gestion du fantastique/horreur. Le fait est qu’à l’époque le thème était porteur, trois films sont sortis coup sur coup pour raconter la même chose : The Bunker (2001), Below (2002), Deathwatch (2002). Tous jouent la carte de la peur face à un adversaire invisible (revenant ou soldats ennemis ?). Des Allemands dans un blockhaus en 1944, des Américains dans un sous-marin en 1943 et des Anglais dans une tranchée en 1917, si la vogue avait continué, on aurait passé en revue la totalité des belligérants des deux guerres mondiales dans tous les environnements possibles en imaginables (des Japonais dans la jungle birmane, des Italiens dans les ruines du Mont Cassin, des Français dans le désert d’Afrique du Nord…).

Si le casting (Jamie Bell, Laurence Fox, Andy Serkis) affiche un niveau au-dessus de la moyenne pour ce genre de production, on n’en dira pas autant des personnages, très stéréotypés (l’officier dépassé, le sergent vétéran, le guerrier fou, le petit jeune…), sans qu’on sache trop s’il s’agit d’un défaut d’écriture ou d’une volonté délibérée de mettre en scène des archétypes pour conférer à l’œuvre un vernis de fable fantastique à portée universelle.
Utiliser le labyrinthe gigantesque à ciel ouvert d’une tranchée pour un huis “clos” était osé, mais le décor marche aussi bien que les souterrains sombres du Bunker de Rob Green. Même avec le ciel au-dessus de la tête, les Anglais restent cernés par les parapets. À travers ces deux configurations différentes, c’est la même réalité du soldat littéralement enterré qui est abordée.
La reconstitution est exceptionnelle. La tranchée est une copie conforme de ce qui se faisait pendant la Grande Guerre. Quant aux conditions, les acteurs ont dû morfler, elles sont identiques au calvaire des poilus de tous bords : pluie, boue, rats, insectes… L’organisation de la vie d’une tranchée, dans ses scènes du quotidien comme dans le ressenti de ses “locataires”, est bien documentée et assez bien utilisée pour ne pas tomber dans l’anecdote (tours de garde, manque de sommeil, peur de l’ennemi embusqué, cuisine improvisée, sensation d’abandon du soldat…). Cette reconstitution vaut à elle seule le détour pour les amateurs d’Histoire.

C’est sur le reste que le film pèche. Un gros reste…
Tous les moyens semblent avoir été claqués sur la scène initiale d’assaut. Le reste est filmé au plus simple, ce qui se ressent sur les (rares) effets numériques plutôt moches.
Comme dans The Bunker, il ne se passe pas grand-chose. L’ambiance de paranoïa est là, la tension s’installe, on attend qu’il se passe quelque chose… et on attend, à force de néant la tension finit par retomber. Quelque part, ce vide rend assez bien l’attente du soldat, avec ce stress permanent des moments où il ne se passe rien mais où tout peut arriver. Le problème, c’est qu’à l’écran, le résultat manque de tonus. On se demande s’il ne se passe rien faute d’idées de péripéties ou si Bassett, qui cumule les casquettes de réalisation et de scénario ne sait pas trop où il va, restant quelque part trop coincé entre guerre et fantastique sans parvenir à se décider.
Tout ça pour conclure le film sur une morale bouleversante, dont la puissance fera vaciller l’humanité dans ses certitudes : la guerre, c’est mal ; tuer, c’est pas bien. Comme dirait Schwarzenegger dans Un flic à la maternelle, “merci du renseignement”.

Là où The Bunker s’achève sur une explication rationnelle, La Tranchée garde jusqu’au bout un tour fantastique, pour le meilleur et pour le pire. Parce que le fantastique est par définition un entre-deux et rendre le flou sans tomber dans le nébuleux imbitable reste une gageure. Le spectateur écarte assez vite la banale hypothèse des Allemands infiltrés, mais se demande tout au long du film si la tranchée est hantée par un esprit (voire des zombies, très à la mode aussi à l’époque), si les Anglais perdent la boule suite à une attaque de gaz ou s’ils pètent juste les plombs parce qu’ils sont seuls, perdus, fatigués par la bataille et usés par la guerre.
L’explication finale est assez floue. Si on comprend bien que les Anglais ont perdu les pédales au point de s’entretuer et qu’il y a un “esprit” derrière tout ça, l’ensemble reste incertain dans sa réalité ou son allégorie.
Une interprétation possible est de voir dans cette tranchée une espèce de purgatoire. Le temps et l’espace n’ont plus de sens, comme en témoignent la montre arrêtée de l’infirmier et la boussole qui tourne en rond lorsque le lieutenant veut faire le point. Plus tard, un message radio annonce que toute la compagnie a été anéantie au combat, laissant supposer que les soldats anglais sont des fantômes ignorants de leur propre mort.
La relation avec leur prisonnier allemand prendrait donc valeur d’épreuve, et l’esprit qui hante la tranchée serait le juge des âmes. Ceux qui s’obstinent à poursuivre les horreurs et les absurdités de la guerre réapparaissent ensemble à la fin du film dans un souterrain obscur (l’enfer ?), quant à celui qui a dit “stop”, il repart bien vivant (enfin, si on veut) dans le brouillard à l’extérieur (limbes ? ou allégorie d’une montée au Ciel ?).
Le titre, assez nébuleux à traduire, prendrait le double sens d’assurer une garde mortelle avec ses tours de guet qui tournent à l’hécatombe et aussi d’être confronté à un gardien du royaume des morts.
Quand le film s’achève, une autre section pose le pied dans la tranchée, renforçant cette idée d’une épreuve éternelle, la même pour tous puisqu’une fois mort, on est tous logés à la même enseigne.

Parti sur des bases prometteuses, La Tranchée s’enlise à l’image du conflit qu’elle met en scène et ne sera pas le film d’épouvante du siècle, la faute à un manque de rythme et un scénario irrésolu incapable de trancher, au propre comme au figuré. Il n’en reste pas moins une ambiance bien installée et une impeccable reconstitution de l’horreur des tranchées dans ce qui est in fine une fable fantastique sur la guerre et la mort.

Publié le Catégories Chroniques ciné

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