À mon réveil, le toubib m’a dit que les pompiers m’avaient trouvé en train de convulser en mode L’Exorciste, à baver du machin tout vert et pisser du sang par les yeux. Virus mutant ? Ebolavirus Epilepsiensis ?
Pas de deux
Sophie Aubard
L’Atelier Mosésu
Jusqu’ici les parutions chez Mosésu m’avaient conquis. Mes chroniques sont, je crois, assez éloquentes sur le bien que je pense de cette maison d’édition. Les Slashers, le Hauchecorne, les Embaumeurs, l’Orcus, Le champ des sirènes de Claude Vasseur, Pink Connexion et La Panthère sort ses griffes de Lucienne Cluytens, les recueils Irradié et Santé !). Je pourrais citer les trois quarts du catalogue. Je les ai achetés et lus : du beau, du bon, du beau néné. Des auteurs qui savent écrire, des bouquins bien présentés, des choix éditoriaux intéressants.
Mais là…
On l’aura compris, je n’ai pas aimé Pas de deux. Bon, a priori, je ne cadre pas avec le public cible, donc admettons. Mais au-delà du subjectif, ce roman n’est pas bon.
Par où commencer ?… Je vais tirer les thèmes au sort. Premier gagnant…
La couverture… Ah ben non, perdu, j’ai sorti le seul point positif. Très chouette couvrante, comme toujours. Le jour où Miesis illustrations sera coté en bourse, j’investirai la totalité de mon blé dans ses actions.
Suivant, le style. Ah oui, le moment où mes yeux ont pris cher…
Lourd et léger à la fois, un exploit. Une pesanteur due notamment entre autres aux adverbes en -ment, pléthoriques. Une avalanche de saison… Si King, Gillio et Colize étaient morts, ils danseraient la samba dans leur tombe !… Sur l’autre versant, l’auteur embarque léger pour un roman adulte. Les trois quarts du texte relèvent de la rédaction niveau collège. Machine fait ceci. Elle fait cela. Ensuite elle fait ça. Dans le genre basique… Encore le roman mettrait en scène des enfants, la plume serait raccord. Mais là, non, les personnages ont atteint l’âge adulte, tous.
Puisqu’on parle protagonistes… Manon et surtout Solyne, les jumelles au cœur du roman, pures têtes à claques, voire à grands coups de brique sur la cafetière. Là encore, leurs actes, leurs discours, leur mentalité, leurs rapports renvoient à l’image de gamines de douze ans. Le traumatisme qu’elles ont vécu n’excuse pas tout. Elles agacent trop pour qu’on puisse s’attacher à elles ou même à une seule, quant à s’identifier… Pas réussi, même avec la meilleure volonté du monde. Que je sois un mec n’a rien à voir : je kiffe les nénettes de Rouge armé, Emmanuelle, La Panthère sort ses griffes, je me glisse sans peine dans les pompes des Lara Croft, Felicity Atcock et Virginia Valmain.
Les rôles secondaires se résument à des silhouettes dessinées en fonction de… leur fonction, justement. Donc attends-toi à une galerie de stéréotypes : mystérieux commanditaire dont on ne sait rien mais dont on devine tout (très docteur Gang dans Inspecteur Gadget), voisine vieille bique qui passe son temps à épier l’œil rivé au judas, etc. Mention spéciale au toubib qui a dû obtenir son diplôme dans un Kinder Surprise. Sans doctorat de médecine, j’en sais plus que lui sur le TDI (trouble dissociatif de l’identité). Autant dire que même pour un mal de tête, je déconseille de le choisir comme médecin traitant. Le genre de gars à vous prescrire douze séances de rayons pour un bobo au doigt et le combo bisou magique + eau sucrée pour un cancer du pancréas.
Manque de background oblige, pas un protagoniste pour sortir du lot des clichés ou des esquisses. Aucun capable de susciter répulsion ou empathie. Dommage pour les sœurs Loiseau[1], vu que le roman repose là-dessus.
On bâille ferme devant les gesticulations vaines des uns et des autres. Ça s’agite, brasse du vent, remue du rien. Que ce soit en termes d’action pure ou de tension psychologique, il ne se passe rien du tout, du tout. L’intrigue se résume à une suite de saynètes du quotidien, palpitantes comme un Derrick. Manon s’engueule avec Solyne, Manon fume une clope, Solyne se dispute avec Manon, Solyne travaille, les sœurettes se rererereprennent le chou, Martine à la mer… On dirait un de ces films sans scénario où, pour faire croire qu’il se passe quelque chose, les acteurs braillent très fort au cours de scènes étirées comme un string sur Carlos, manière d’occuper une heure et demie sur les 105 minutes que dure le pensum.
Ennui et confusion. La faute à un rythme mou comme de la pâte à crêpes, consistance à l’avenant. Pas d’enjeux clairs, impossible de plonger dans l’histoire. On suit l’ensemble de loin, sans jamais entrer dedans, sans s’intéresser plus que ça au pourquoi, au comment, ou à la façon dont ce remue-ménage sous Tranxène va se terminer.
On ne peut pas.
Parce qu’on le sait déjà.
Record dans le domaine du prévisible, puisque j’ai vu où le roman voulait me conduire dès la première page ! Même en se montrant indulgent, le suspens ne tient plus au-delà du chapitre 3. Page 1, le bouquin se spoile lui-même : il est question de jumelles. Bon ben là déjà… les jumeaux, hein… On en arrive toujours à une substitution d’identité. De gré ou de force. Ils peuvent être de connivence ou en opposition, échanger leurs vies pour déconner, utiliser l’alibi de l’un pour camoufler le crime de l’autre ou au contraire le pourrir dans un coup monté… Ou le jumeau A, jaloux, pique la vie du B et personne ne remarque le syndrome Clark Kent/Superman (en clair, on ne les voit jamais ensemble et pour cause !). Bref, c’est toujours la même histoire. Téléphonée, prévisible, vue, revue et ratavue.
Quand en plus, au troisième chapitre, à peine 20 pages plus loin, le compte de victimes annoncé en quatrième de couv’ n’y est plus, il reste zéro gramme de suspens. Pas un, pas (de) deux (oh, je suis drôle…), z-é-r-o. Les deux cents pages qui suivent s’annoncent donc longues, très longues. Les “révélations fracassantes” tombent à plat l’une après l’autre, puisque tu as déjà deviné le “poteau rose” depuis des plombes (et je sais que ça s’écrit pot aux roses, merci).
À la limite, l’auteur aurait pu sauver le coup en baladant son lecteur. Tu l’amènes à penser que l’intrigue est un énième tsointsoin à base de jumeaux, et paf ! en réalité non. Boum ! twist ! Montjoie, hosanna, cocorico, pouet !
J’attends d’une lecture qu’elle me surprenne, pas qu’elle m’emmène où j’ai prévu. Sinon, autant ne pas acheter de bouquins et imaginer des histoires dans ma caboche. Le seul cas où l’auteur peut s’autoriser grosses ficelles et clichés, c’est quand il s’amuse avec, joue sur les codes, prend du recul sur les conventions, traite les poncifs avec dérision et/ou génie. Ça passe dans Série B de Falvo, sur le Disque-Monde de Pratchett, chez une tripotée d’autres qui ne te servent pas du stéréotype en tant que tel mais pour déconner et t’emporter vers l’inattendu.
Ici, non, juste non. Tu devines tout de suite, à la fin tu as raison et entre les deux, tu luttes pour ne pas arrêter ta lecture. Et parfois tu lèves les yeux au ciel devant certaines énormités. Je pense au TDI qui donne lieu à des aberrations, par exemple une personnalité hybride peu cohérente avec des identités par définition distinctes (cf. Billy Milligan, LE cas d’école).
Déception de bout en bout pour ce Pas de deux. Le deuil, l’amour, la reconstruction ou la dissolution de soi, je connais d’expérience, je l’ai vécu tout ça, bien à fond, mûr pour finir à l’asile. Annoncés comme des thèmes centraux, le bouquin passe à côté, trop dans le pathos romanesque et pas assez dans l’émotion juste.
Sur les troubles de l’identité, jumeaux et autres doppelgängers, mieux vaut s’en tenir à Psychose (Robert Bloch), La part des ténèbres (Stephen King), American Psycho (Bret Easton Ellis) ou l’autobiographie de Jenna Jameson (un autre style de double…).
Alors Pas de deux, oh que si deux ! C’est ce que je mettrais sur 20.
Une couverture qui revient cher, tout ce que j’ai trouvé à sauver. Sinon, sur le fond comme sur la forme, le crash.
[1] Après les Loiseau victimes d’un accident d’avion, une suite est-elle prévue avec le naufrage de la famille Poisson ?