Une aventure de Balthazar Weppes, dixit la couvrante. Pour moi, c’est l’aventure de Balthazar Weppes puisque je n’ai pas lu les autres. Si le docteur ne m’abuse, il y en a deux autres avant : l’éponyme (express) Balthazar Weppes et Jeu de massacre au château (parues chez Ravet-Anceau et épuisées).
Le champ des sirènes
Claude Vasseur
L’Atelier Mosésu
Balthazar Weppes est détective privé. Un de plus. Encore.
Claude Vasseur est un fils spirituel de Frédéric Dard. Un de plus. Encore.
Alors oui, encore, encore… Mais on aurait tort de bouder, voire boudarder tel Alphonse, son plaisir. Vasseur ne se contente pas de jouer les copistes froids de Dard. Héritier, certes, il l’est, l’assume et le revendique. Capable aussi de varier les plaisirs : un jour prochain, je vous parlerai de La dernière croix, très différent tant par le thème que par le style.
Mais revenons-en à Balthazar Weppes pour cette aventure sortie chez Lacoste ou à peu près. Qui est-il, d’où vient-il, formidable privé des temps nouveaux ?
Un cousin de Bérurier, celui-là même qu’on croise dans les histoires de San-Antonio. Bourrin, soiffard, queutard, en retard, le ni jeune ni premier dans toute sa splendeur. Grosse différence avec Béru, outre son prénom de roi mage qui se rapporte à son plumage, le citron. Pas le fruit qui pique les gencives, non, la caboche, la cafetière, la coloquinte, le cigare. À croire que tous les synonymes de cervelle commencent par un c (comme cervelle, tu me diras, ça se tient). Le gars Weppes en a sous le crâne et ça fait de lui un sacré bon détective. Dont on ne se méfie pas trop sous ses airs de clodo. Sauf qu’à la fin il te brise, comme disait miss poteau laid.
Or donc en ce Champ de sirènes, voilà le bonhomme embarqué dans un coup monté XXL, le Siffredi de la machination. Et là, il va enchaîner les coups de malchance, peut-être à cause d’une dame Fortune venue de l’est (un “Balte hasard”, des fois que t’aies pas compris la vanne). Ou peut-être pas.
Toujours est-il qu’il suit les traces de la célèbre Io et va de mal en pis. Personne ne veut lui foutre la paix qu’il réclame, on le catapulte négociateur d’une prise d’otage foireuse et ensuite il se passe des trucs et des machins dont t’as pas idée. Vasseur a écrit l’histoire, c’est pas à moi de la raconter en moins bien.
Dans cette suite-Voldemort-dont-il-ne-faut-pas-dire-le-spoil, Vasseur m’a fait peur en utilisant une ficelle dont j’ai oublié le nom technique. Bref, le truc, tu l’as déjà lu mille fois, vu autant dans les films et les séries. Tu le sens pas. Pis t’as tort, comme la série allemande du même nom. En termes scénaristiques, rien de révolutionnaire dans l’usage de cette astuce. Mais, et là on parle d’un “mais” maousse costaud, le père Claudio l’érige en enjeu majeur pour son personnage. Une formidable érection !
Voilà Balthazar perdu, qui est-il, d’où vient-il… Ah non, j’ai déjà utilisé la référence à Noam plus tôt. Donc perdu. Grande question : veut-il se retrouver ? Peut-il devenir quelqu’un d’autre ? En a-t-il le droit ?
Le thème de l’identité (et Grosmini) forme le cœur du bouquin. Identité et passé, puisque le second forge la première. Sous ses airs de grosse boutade, ce bouquin se montre sérieux plus souvent qu’à son tour en s’attaquant aux fondements de l’individu. Au-delà d’un autre type de fondement – les trous “avec du poil autour, des trous de balle, des trouducs” –, Le champ des sirènes t’amène à réfléchir sur ce qui fait que tu es toi, au rythme des questions qui tourbillonnent sous le crâne de Balthazar. Tu accompagnes Ulysse-Weppes dans son errance, une odyssée à côté de ses pompes, sur ses propres traces.
Voilà un bouquin plus profond qu’il n’y paraît, très sombre. Normal pour une histoire de trous. Le champ des sirènes se pose là comme roman noir. Le tirailleur Banania à côté, c’est Michael Jackson.
Peut-être te demandes-tu si l’auteur dont je te cause est le mari de la reine Claude ? Des prunes, je n’en sais rien. À moins que tu ne t’interroges sur cette étrange transition. Je vais t’avouer une chose : la transition, y en a pas, elle est dans ton cul. Et bien profond encore. Entre les restes de ton dernier repas et ta dignité. Quand on a l’anus aussi large que les idées étroites, ce sont des choses qu’elles z’arrivent.
Vasseur, je l’aime bien aussi pour sa poésie. Ah si, tiens, en v’là une de transition. Anus, poésie. Figure de style. Hop.
On retrouve chez Claudius Maximus les délires verbaux d’un Frédéric Dard. Tu vois, les envolées formidables dans l’hyperbole… les listes à la marabout-de-ficelle-de-cheval pleines de jeux sur les sonorités, d’associations d’idées enfilées comme des enfants de chœur par un curé… un goût pour la langue (logique, hein) gauloise et grivoise… Et Vasseur, en vrai comme dans ses bouquins, il incarne l’anti-Attila : Jo le Rigolo. Festival de la vanne et du calembour ! Ce mec, c’est le Wikipedia de la déconne. Une page au hasard, bim, jeu de mot ! Une autre, paf, contrepet !
Là, tu vas me demander comment c’est possible de mixer un roman ultra-noir avec de la vanne à deux ronds.
…
…
(Putain, demande ! c’était pas une question rhétorique !)
Lecteur imaginaire : Mais comment c’est possible de mixer un roman ultra-noir avec de la vanne à deux ronds ?
Moi : Eh, mec, je te parle de Vasseur. C’est un auteur, un vrai, un bon. Pas le gars qui se contente de jouer du tsointsoin en pillant tonton dans la joie et la bonne tumeur. Il fait le clown, pas le clone ou la tête d’icône. Et à l’arrivée, plutôt que marcher sur les traces de Dard pour n’en laisser aucune, il suit sa propre voie. Parallèle mais pas toujours, en tout cas bien à lui.
Mister Vasseur (et boules de Claude) t’alambique une alchimie improbable de noirceur et de déconnade, émaillée d’un paquet de piques contre les travers humains par-dessus le marché. Unique ! (Non, je ne dirai pas “ta mère”.)
Pas du noir pour le noir. Pas de gros cliché “thriller de l’année”, énième dégeulis de pathos facile sous le ciel gris de ch’Nord, à base de pédophile indien alcoolique qui consanguine après une visite de Macron. Pas davantage de coussin péteur juste pour le pouet pouet. On trouve toujours un truc dans ses vannes, un fond de sérieux, une réflexion sous-jacente sur l’humain, ou la simple envie de faire rire les copains de bon cœur. De ce rire franc et rare de potes, parce que la blague est bonne, ou très conne on s’en fout, l’important c’est de se marrer tant qu’on peut avant de crever.
En compagnie de Balthazar, on s’amuse, on pleure, on rit, comme au pays de Candy. On réfléchit aussi.
En surface, en creusant, j’ai trouvé dans ce Champ des sirènes ce que j’attends d’un bon livre. Réflexion, humour, style, panache blanc, idées noires.
Enfin, un dernier détail pour lequel Vasseur mérite qu’on lui voue un culte, sur la commode ou à la buvette d’un salon du livre. Telle une couverture écossaise, il plaide pour le retour de Virginia Valmain dans une suite aux Disparus de l’A16. Homme de goût, n’est-il pas ? Moi, ça me rend tout chose quand on mentionne Virginia… Ah voilà, qu’est-ce que je disais, j’ai plus qu’à changer de caleçon…
Tu sens cette odeur ? C’est Virginia, fiston, il n’y a personne d’autre au monde qui ait cette odeur-là. J’adore respirer l’odeur du fap-fap-fap le matin.