Mémoires d’un lutteur de sumô – Kirishima Kazuhiro

En matière de lutte, mon autobiographie tient en une ligne, ma carrière de sumotori n’ayant jamais décollé puisqu’il n’existe aucune catégorie pour mon poids squelettique. On va donc plutôt se pencher sur la carrière de Kirishima Kazuhiro – qu’on trouve aussi référencé sous son nom de naissance Yoshinaga Kazumi – qui en a davantage à raconter.

Mémoires d’un lutteur de sumô
Kirishima Kazuhiro

Picquier

Couverture Mémoires d'un lutteur de sumo Kirishima Kazuhiro Picquier poche

N’étant porté ni sur les biographies ni sur le sport, ces mémoires d’un sportif sont un cas à part dans ma bibliothèque. Les carrière sportives étant courtes – même si Kirishima a fait durer le plaisir avec la sienne un peu plus que la moyenne –, le bouquin l’est tout autant. C’est appréciable (surtout quand on s’est tapé juste avant le récit de l’interminable règne de Louis “La Bernique” XIV…).

Or donc, le sumo, le plus japonais des sports de combat et aussi le plus mal connu sous nos latitudes, souvent résumé à l’image simpliste de deux gars massifs qui s’agrippent par le slibard.
Kirishima nous offre ici une vision de l’intérieur, celle de l’athlète, ce qui donne un texte plus vivant qu’une description encyclopédique du monde du sumo. Alors par contre, comme c’est le prisme d’un gars qui connaît son sujet sur le bout des doigts, tout un tas de choses évidentes pour lui ne le sont pas pour le lecteur, a fortiori un lecteur occidental pas familier de cet univers. Univers qui est bien sûr complexe, très codifié, très hiérarchisé et bourré de termes techniques qui lui sont propres et tout ce qu’il y a d’intraduisibles en français faute d’équivalent. Qu’on se rassure, l’ouvrage propose une cinquantaine de pages d’appendices bien fichus pour éviter de se retrouver paumé. Je conseillerai de commencer par lire l’exposé sur le sumo avant de se lancer dans la bio de Kirishima, histoire de se familiariser avec l’environnement. Second conseil, un marque-page permanent au niveau du glossaire, car dans un premier temps, on y fait pas mal d’allers-retours.

Depuis les coulisses, on suit le parcours de Kirishima, avec des petits airs de Rocky Balboa. Combattant correct sans être brillant, confronté à un problème majeur pour un sumo, à savoir la difficulté à prendre du poids même en bouffant trente œufs par jour, bref le gars moyen sur lequel personne n’aurait misé un liard (d’autant moins que cette monnaie n’a jamais eu cours au Japon).
Ces mémoires sont donc une histoire de lutte, aussi bien physique sur l’aire de combat que psychologique dans la tête de l’athlète, qui persévère encore et encore, y compris arrivé à l’âge où la plupart de ses collègues prennent leur retraite. Lui, sumotori dans l’âme, des pieds jusqu’au sommet du chignon, il va quand même continuer, choix payant en termes de palmarès puisqu’il montera très haut, mais choix douloureux, parce que les blessures vont s’enchaîner.
Ces mémoires ne racontent pas que le monde de la lutte nippone mais avant tout une histoire de persévérance, de rigueur, d’abnégation. Avec beaucoup d’humilité, par-dessus le marché, au point qu’en première lecture du livre il y a vingt-cinq ans de cela, j’en étais ressorti avec l’impression d’avoir lu la bio de Jean-Michel La Lose, tant le gars Kirishima parle davantage de ses difficultés et défaites que de ses victoires sur lesquelles il se montre très peu disert. Jamais on n’a l’impression que le mec ait pris autre chose que de monumentales peignées, alors qu’au moment où il sort son bouquin – en 1996, l’année de sa retraite – il a remporté dans les dernières années de sa carrière une palanquée de titres parmi les plus élevés. (Bon après, c’est peut-être aussi qu’il est beaucoup moins bon en écriture qu’en sport, le texte ne brillant pas par ses qualités littéraires, ce qui est bien son seul défaut.)

In fine, qu’on s’intéresse au sumo, à la culture japonaise, à l’inflexible mentalité nippone, aux parcours de vie inhabituels, aux histoires de réussite personnelle qui ne tournent pas à l’auto-glorification hagiographique, Mémoires d’un lutteur de sumô offre son content sur tous les tableaux, le tout dans un contexte plus riche et intéressant que les biographies de footballeurs.

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