Comme le silence, la semaine est d’or

La Golden Week japonaise n’est pas sans rappeler le mois de mai français qui voit s’enchaîner les jours fériés et ponts, voire viaducs, avec ses 1er mai, 8 mai, Ascension et Pentecôte. Sauf qu’au Japon, au lieu d’en étaler partout dans le mois n’importe comment, tout est ramassé sur une semaine (d’où le nom de week, “c’est tout de même bien fait”, comme dirait Ben Poelvoorde).

Or donc, la gōruden uīku ou ゴールデンウィーク s’étend du 29 avril au 5 mai et couvre en pratique une semaine de vacances rythmée par le staccato des jours fériés.
Le nom de Golden Week fait référence “au vocabulaire radiophonique qui parlait de golden time pour la semaine qui connaissait le plus haut indice d’écoute” (dixit Wikipedia). La période fin avril-début mai concentrant plusieurs jours fériés dès la création du calendrier des fêtes en 1948, les entreprises liées aux loisirs enregistraient alors un pic de recettes, jusqu’à dépasser n’importe quelle autre période festive de l’année. En 1951, cette pluie de pognon amène Matsuyama Hideo, le directeur de la compagnie de films Daiei, à surnommer cette semaine la Golden Week. Dans les années qui suivent, le nom déborde du cinéma pour être repris dans d’autres secteurs puis par le grand public.

Depuis 2007, la semaine à Midas se découpe comme suit :

  • 29 avril – Shōwa no Hi (昭和の日, jour de naissance de l’Empereur Shōwa)
  • 3 mai – Kenpō Kinen Bi (憲法記念日, jour de commémoration de la Constitution)
  • 4 mai – Midori no Hi (みどりの日, jour de la nature)
  • 5 mai – Kodomo no Hi (子供の日, jour des enfants)

Dans la pratique, les dates ont pas mal bougé entre 1985 et 2007 à la fois en raison de remaniements du calendrier concernant l’ensemble des jours fériés et de la mort de l’empereur Hirohito.
En effet, le jour de la fête nationale japonaise (grosso modo l’équivalent de notre 14 juillet) tombe le jour de la naissance de l’empereur régnant. Elle change donc à chaque empereur à moins d’une heureuse coïncidence de date qui ne s’est encore jamais produite.
Au décès de Hirohito (qui s’appelle en fait Shōwa au Japon, puisque c’est son nom de règne) en 1989, la fête nationale est donc passée du 29 avril au 23 décembre, date naissance de son successeur Akihito. Pour éviter de perdre un jour férié, le 29 avril fut conservé, d’abord comme “journée verte” (Midori no Hi), puis de nouveau comme anniversaire de l’empereur Shōwa, tandis que la journée verte était décalée au 4 mai. (Pour les deux qui ne suivent pas dans le fond, je fais une interro à la fin.)

En creusant un peu, il s’avère que la majeure partie de la Golden Week est consacrée à l’empereur Shōwa, même si les Japonais sont assez évasifs sur le sujet. Le fait est que la période de règne antérieure à 1945 n’a pas laissé que des bons souvenirs en Asie…

Le Shōwa no Hi est (censé être) consacré à une réflexion sur l’empereur Shōwa et ses 63 années de règne agité (doux euphémisme), au cours desquelles le Japon a connu le pire et le meilleur. Nationalisme et démocratie… Deuxième Guerre mondiale, bombes atomiques et occupation… élévation au rang de superpuissance économique… Bref un règne aussi long chargé que ceux de Louis XIV ou Victoria. Et qui mérite réflexion.

Le Kenpō Kinen Bi voit la commémoration de la Constitution de 1947, laquelle instaure une démocratie durable au Japon, faisant perdre au passage à Shōwa, son essence divine. Cette journée est (censée être) l’occasion d’une réflexion sur la Constitution et la démocratie. C’est aussi le seul jour de l’année où les Japonais peuvent aller à la Diète, càd non pas se mettre au régime mais rendre visite à la Kokkai (国会), le parlement ouvrant ses portes au public ce jour-là.

Diète nationale Japon
La Diète, un bâtiment aussi austère qu’un régime au pain sec et à l’eau. Dans le ton.

Le Midori no hi ne doit pas son origine à la verdure dont il tire son nom. En réalité, le règne de l’empereur Shōwa étant sujet à controverse, l’anniversaire de sa naissance fut donc renommé à sa mort en une plus politiquement correcte “journée verte” dédiée à la nature. Par une étrange coïncidence, il se trouve que Shōwa adorait les fleurs et la nature…
Dans la pratique, le côté “nature” de la journée n’intéresse que très peu les Japonais qui y voit surtout un jour de congé.

Reste le cas particulier du Kodomo no hi, la journée des enfants, seul moment du lot déconnecté de Shōwa. En pratique, c’est surtout la journée des garçons, les filles étant déjà servie lors du Hina matsuri.

Bilan : sur quatre jours, trois sont liés de près ou de loin à Shōwa. Et il faut avouer que le côté “journée de réflexion” est évacué par la majeure partie des Japonais au profit de la détente.
Eh oui, c’est une période où une partie du Japon tourne au ralenti. Les scolaires sont en vacances. Beaucoup d’entreprises fonctionnent à effectif réduit, voire ferment pour la semaine. On dirait une première quinzaine d’août ou un 1er mai en France. Pour beaucoup de Japonais, c’est la plus longue période de vacances qu’ils connaissent dans l’année en concurrence avec le Nouvel An.
Si vous envisagez de partir au Japon, c’est LA période à éviter. Moitié parce que plein de trucs sont fermés, comme je viens de le dire, moitié parce que le reste est blindé de chez blindé, à commencer par les secteurs des loisirs et du tourisme. La frénésie du tourisme intérieur rend impossible la mission de trouver une chambre d’hôtel, sans parler d’une flambée des tarifs pour l’occasion qui n’est pas sans rappeler cette escroquerie manifeste que pratiquent les hôteliers cannois en cette période de festival. Les transports (train et avion) sont pris d’assaut. Idem les hôtels et les hauts lieux touristiques.
Autant dire que réfléchir à la Constitution… pas vraiment la priorité du moment. Combien de Français vautrés sur la plage à se dorer la pilule se posent des questions sur l’abolition des privilèges féodaux le 4 août 1789 ? Hein ?…

Publié le Catégories Nipponeries

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