Je me suis retrouvé embarqué dans la lecture de Marie Béatrice par Louve. Romain Mikam cherchait des chroniqueurs pour son roman auto-édité, Louve a cité mon nom, j’ai dit pourquoi pas, Mikam a dit pourquoi pas aussi. Prêt à courir le risque de recevoir, je le cite, “une critique franche” et d’en prendre plein l’ego.
La chronique qui suit est basée sur la version numérique. Connaissant le tarif d’une auto-édition, je me voyais mal amputer Mikam d’un exemplaire papier.
Marie Béatrice
Romain Mikam
Marie Béatrice est à la fois un robot et une prostituée. Dans cet univers futuriste, le plus vieux métier du monde s’articule autour de deux objectifs : faire baisser les tensions sexuelles et être économiquement rentable. Bref, un job comme un autre. Tu noteras que la notion de plaisir n’est pas mentionnée. Le client se résume à une cocotte-minute qu’on vide de son trop-plein de pression, de foutre et d’oseille.
Et des clients potentiels, les hostos en regorgent… sauf que personne ne s’en occupe. Marie Béatrice caresse le projet de s’y coller.
Dès les premières pages, Mikam te balance du lourd. Le projet de Marie Béatrice paraît simple : les malades se retrouvent privés de sexe, pourquoi ne pas leur en apporter ? Mais derrière, il faut tenir compte d’une tonne de facteurs : l’éthique, la morale, l’opinion publique, le cadre juridique et légal, les intérêts financiers… A l’arrivée, le facteur humain termine bon dernier.
Du sexe dans un hôpital, t’imagines ? Ben non. L’hosto, c’est l’aller simple vers la non-vie. Une espèce de stase en attendant de crever ou de guérir, sans faire de vagues dans les deux cas. Cantonné à pas bouger de ton pieu, t’as le droit de rien, ni de sortir ni de voir qui tu veux quand tu veux, et surtout pas de tirer un coup. Du train où vont les choses, on y croisera bientôt plus de cadres administratifs que de personnel soignant. Tout y est lissé à grand renfort de politiquement correct. Tu n’es plus mourant, ton “pronostic vital” est “engagé”. Et pour le coup, tu n’auras pas affaire à une pute mais une TSSH (technicienne de soins sexuels hospitaliers). Ce serait dommage d’appeler une chatte une chatte.
Et après on vient nous bassiner avec la “dignité” du patient, réduit à un numéro de Sécu et une pathologie…
On ne sera donc pas surpris que l’idée vienne d’un robot plutôt qu’un humain. Y a longtemps que l’Humanité a coupé les ponts avec la sienne d’humanité.
Un robot peut-il être plus humain que ses créateurs ? Le personnage de Marie Béatrice pose une question récurrente de la SF et de la philosophie : qu’est-ce qui définit l’humain ?
Un personnage de robot de plaisir, tu penses à Pris dans le film Blade Runner, adapté de l’incontournable Philip K. Dick. S’il y a bien un auteur qui a passé sa vie et son œuvre à se triturer la cervelle sur le sujet de la différence entre humain et non-humain (machines ou extraterrestres), c’est lui.
Parmi les autres grands thèmes de Marie Béatrice, la différence, justement. Les humains d’un côté, les machines de l’autre. Les deux ont des droits… mais… Les robots sont intégrés à la société, devenant plus que de simples machines. Capables de faire les mêmes choses que les humains, en bien comme en mal. Différents… et pareils quelque part… mais surtout pas égaux.
Dans le genre chargé en problématiques, Marie Béatrice se pose là. Humanité, différence, égalité, des thèmes pas nouveaux dans la littérature mais qui restent, comme on dit, “d’actualité”. Pour rappel, les homosexuels auront dû se battre jusqu’en 2013 pour obtenir le droit de se marier en France (pays qui affiche pourtant le terme égalité dans sa devise). Les femmes attendent toujours l’égalité salariale (et attendront encore 20 ou 30 ans au mieux). On citera aussi la perspective qui attend les robots-putes pas rentables : finir à la casse. Un peu comme les salariés de notre “belle” économie libérale. A se demander si ce qui définit le mieux l’humain ne serait pas une formidable capacité à l’inhumanité.
Bonne surprise avec cette lecture. Beaucoup de thèmes aptes à faire réfléchir le lecteur, traités avec intelligence. De la vraie bonne SF !
Il reste quelques défauts de jeunesse (des répétitions, quelques passages à raccourcir), mais l’ensemble est de bonne tenue. Je me tape pas mal de premiers romans comme correcteur, bêta-lecteur ou lecteur tout court. 90% sont des bouses, ici on se situe dans les 10% qui sortent du lot.
Le style passe bien, plutôt fluide même si pas avare d’adverbes en -ment (qui sont à la littérature ce que Dave est au hard rock, pour paraphraser Colize).
Mikam sait jongler entre humour et gravité sans donner dans le bancal, la pantalonnade, le pathos à deux balles ou le moralisme prétentieux. En dépit d’un personnage de prostituée et d’un pitch qui tourne autour du sexe en milieu hospitalier, il ne s’aventure sur le terrain glissant du cul pour le cul, la facilité du pétard comme argument de vente ou moyen de remplir ses chapitres.
Si un éditeur passe dans le coin, il y a là un bouquin et un auteur qui méritent leur chance dans le circuit.
Arf, j’ai été plus « voleuse » que toi, j’ai reçu un format papier…
L’avis de Louve m’avait convaincu, tu renforces l’idée que l’ouvrage mérite tout notre attention. Merci de sortir aussi régulièrement des sentiers battus… 🙂
“Voleuse” est peut-être un grand mot. 😀
J’ai hâte de lire ton avis, histoire de comparer nos impressions. 😉