Les bras en croix
Patrick Morel
L’Atelier Mosésu
Capri, c’est fini, Parabellum aussi. Ultime parution avant que le para bel homme ne s’en aille vers le soleil couchant, FAMAS en bandoulière, béret vissé sur la tête.
La collection fut à l’image de son logo : de la balle.
Six titres lus et chroniqués sur les sept parus, un seul à m’avoir laissé mitigé (L’Amante d’Etretat), soit une belle proportion (83,3333333333333333%) de bouquins qui valaient le détour : Pink Konnexion, Le champ des sirènes, Eté pourri à Melun-Plage, Le vacarme du papillon et, pour clore en beauté, Les bras en croix. Du bon, du beau, du beau nez, pour citer Cléopâtre. Question tarin, le directeur de collection, Maxime Gillio, a du flair pour choisir les manuscrits quand d’autres bras cassés procèdent au pif.
Ce fut une belle collection. RIP.
A propos de mourant, si je te dis les bras en croix, tu vas tout de suite taper dans les J. Soit Jésus, l’inventeur du pin’s, né en lui-même et mort en 33 d’après la tradition… ou pas selon les historiens. Soit Johnny Hallyday qui ira bientôt “allumer le feu” au funérarium. Il faudra désormais compter avec Patrick Morel et ses Bras en croix à lui.
Pas évident à résumer, mais on s’en fout la quatrième est là pour le faire à ma place. Si tu l’as parcourue, tu auras compris qu’il y a de quoi se mettre sous la dent. Des diamants de sang, des mutilations en mode “les bras m’en tombent”, une vieille affaire de suicide qui décide de refaire surface et de s’offrir un lifting, voilà pour les trois grandes lignes narratives.
J’avoue avoir été dubitatif (en un seul mot) la première fois qu’on m’a parlé de ce roman. Je craignais le fourre-tout bordélique, l’histoire imbitable à force de s’éparpiller dans trop de directions, l’auteur qui ne manque pas d’idées mais ne sait pas les trier. D’un autre côté, je voyais mal une purge XXL passer le barrage du dir’ col’, j’ai donc tenté le coup, méfiant mais pas trop mais un peu quand même et puis osef on avisera sur place…
Bon ben c’était bien.
Le mélange tient de la salade annoncée en quatrième, une vraie recette, pas une bouillie immonde comme celle qui gicle par un orifice ou un autre en période de gastro. Si Morel flirte çà et là avec le too much de péripéties, il garde la maîtrise du bousin et sait s’arrêter dans l’escalade. Ok, il se passe énormément de choses, il y a du rocambolesque, du coup de théâtre, de la révélation fracassante à foison, mais on reste dans le cadre acceptable de la fiction. Pas de quoi tomber à bras raccourcis sur l’auteur en l’accusant d’avoir eu la main lourde, on se situe encore très loin des Ailes de l’enfer (le parangon cinématographique du nawak où chaque minute repousse le délire citius, altius, fortius).
Touffu, oui, chargé, oui. Mais clair. Si comme moi tu n’as pas lu Double meurtre à Rouen, où apparaissent déjà certains protagonistes, tu ne te sentiras pas largué pour autant, quelques rappels permettent de capter les grandes lignes de ce qui s’est passé. Quant aux trois fils narratifs dont je causais plus haut, on ne s’emmêlera pas les pieds dedans. Séparément ou dans leurs nœuds quand elles viennent à se croiser via un personnage ou un événement, les intrigues slash enquêtes slash situations demeurent intelligibles pour toute personne qui a passé l’âge de lire Oui-Oui. Abandonne ici toute espérance cailloux, miettes de pain et enclumes, ce n’est pas aujourd’hui que tu auras l’occasion de petit-pouceter. Suffit de suivre le sentier tracé par l’auteur.
Du bon boulot ET du beau boulot. Pour habiller son histoire, Morel n’est pas resté les bras croisés à attendre que les pages se remplissent de formules bateau. Rien à redire sur la forme, il déploie une langue riche et élégante. Le sens de la formule, du dialogue, de la description, sans en faire des caisses ni te pourrir de scories à la “déclara-t-il soudainement en se passant sa main dans ses cheveux”.
Il aurait été facile de terminer l’aventure sur une publication par-dessus la jambe. Prendre le premier manuscrit de la pile, dire banco et après moi le déluge. Ça s’est déjà vu, suivez mon regard (inutile de loucher sur l’écran, c’est une façon de parler).
L’ultime titre de Parabellum ne dépareille pas parmi ses aînés et referme le chapitre de fort belle manière.