Les Berserkers – Fred Saberhagen

Il y a un an, j’avais évoqué Les Berserkers comme lecture maousse pour occuper les vacances. Souviens-toi, l’été dernier
Depuis, j’ai relu le cycle en entier, au long cours, par petits bouts… Fred Saberhagen mérite sa chronique et pas juste parce qu’on porte le même prénom.

Les Berserkers
Fred Saberhagen
L’Atalante

Couverture Les Berserkers Fred Saberhagen L'Atalante

En deux tomes, l’intégrale des Berserkers rassemble les huit volumes du cycle originel (Les machines de mort ; Frère assassin ; La planète du berserker ; Le sourire du berserker ; L’homme berserker ; Le trône berserker ; Léviathan, l’ombre bleue et La base berserker – quel dommage que je ne sois pas payé au nombre de fois où je case le mot berserker dans cette chronique…).
Soit 2000 pages bien tassées pour une trentaine de textes allant de la nouvelle au roman, en passant par le mélange des deux dans La base berserker (mosaïque de récits de Stephen R. Donaldson, Connie Willis, Roger Zelazny, Poul Anderson, Edward Bryant et Larry Niven, avec du liant de Saberhagen autour).
Fin des listes rébarbatives, je te rassure.

L’ensemble tient de la chronique à la Conan, une somme de récits épars qui ne forment pas une suite chronologique. À l’arrivée, un tout, une fresque une saga au sens classique du mot (c’est pas comme si le titre donnait un indice sur l’inspiration scandinave du bousin), à savoir des hauts faits qui méritent d’être rapportés.
Dans les textes nordiques et germaniques des temps jadis, on croisait déjà des berserkers. Enfin, façon de parler, valait mieux pas les croiser en fait. Ces psychotiques mi-hommes mi-ours et re-mi-ours derrière mordaient leur bouclier pour entrer dans une fureur destructrice et tout déglinguer sur leur chemin. Des gus rendus à l’animalité primale, enragés, incontrôlables, immunisés aux armes conventionnelles de l’époque (tout lien avec le mythe du loup-garou ne serait pas que pure coïncidence).
Les berserkers de Saberhagen ne viennent pas de Scandinavie mais de l’espace. Du robot à échelle humaine au vaisseau taille Étoile Noire, ces machines de guerre ont été conçues far far away a long time ago par une race inconnue/oubliée/éteinte et programmées pour détruire la vie sous toutes ses formes.
En face, des humains, quelques extraterrestres aussi. Certains mondes alignent des vaisseaux spatiaux, d’autres en sont encore à la technologie médiévale. Dans tous les cas, affronter les purs concentrés d’armement que sont les berserkers revient à vouloir arrêter une division de Panzer à coups de boulettes en papier.

Détournement Star Trek Star Wars par Un K à part
C’est la guerre dans les étoiles !

Pour citer la quatrième “le thème des berserkers, c’est celui, immémorial, de l’ennemi absolu ; le minéral contre le vivant, le métal contre le sang, la pensée artificielle et malveillante contre le cerveau imaginatif de l’homme”.
Saberhagen revisite en effet “l’immémorial”. Le petit héros contre le gros monstre, thème d’une brouette de mythes.
Les premières légendes qui viennent à l’esprit sont celles du match entre Siegfried  et Fáfnir, ou de  saint Georges aux prises avec le dragon de Silène, cuirassé de partout et crachant le feu à l’image des berserkers. On pense aussi, vu la disparité d’échelle et de moyens, à David contre Goliath.
Ce rapport stratégique du faible au fort renvoie, lui, à du plus récent : la publication du premier récit à mettre en scène un berserker est contemporaine de l’engagement massif des Américains au Vietnam. Pas que le texte tienne de l’allégorie, mais on ne peut pas s’empêcher d’établir un parallèle entre les bombardements massifs de l’opération Rolling Thunder et les berserkers napalmant des planètes entières.
La thématique de l’annihilation, itou, contemporaine de Saberhagen. La Seconde Guerre mondiale a modifié la conduite de la guerre. Fini de se contenter de battre les armées adverses avant de signer un traité pour récupérer deux ou trois territoires. Chaque camp vise l’anéantissement de l’autre. Les civils deviennent des cibles privilégiées. Et puis derrière, il y a la guerre froide avec la perspective d’une guerre atomique qui pourrait entraîner la disparition de la civilisation, voire de toute forme de vie sur terre.
La jeunesse de Saberhagen, c’est aussi les premiers systèmes d’armes automatisés. Il cite dans la préface un canon de 20 mm monté sur un bombardier B-36, capable de cartonner tout ce qui passerait à sa portée sans intervention humaine… et sans distinction de cible amie ou ennemie. Imagine avec un système d’armement “intelligent”, comme on dit de nos jours… Le Fredo s’inscrit dans la thématique de la machine qui échappe au contrôle de son créateur et se retourne contre lui. Vu que la date du mariage entre armement et IA approche à grands pas, est-il besoin de préciser que la saga reste d’actualité dans son propos ?

Goldorak à Roswell par Un K à part
Photo presque authentique prise à Roswell (Nouveau-Mexique) en juillet 1947.

Trente récits ou à peu près racontent les victoires et défaites de ceux qui croisent les Berserkers, les affrontements sur le champ de bataille, les controverses philosophiques sur la valeur de la vie, les actes héroïques et désespérés, les collabos (bonnevies) et les héros…
Si les humains ne partent pas gagnants, ils ont pour eux l’atout de pouvoir s’affranchir de la logique pure. Ruse, astuces rhétoriques, embrouilles, mauvaise foi, shoot vicelard pour envoyer le débat sur le terrain de l’irrationnel. L’imagination au service de la vie (ce qui résume assez bien une bonne partie de la SF et de ses mises en garde).
Au-delà de la lutte de l’homme contre la machine, Les Berserkers pose en filigrane la question de l’homme avec la machine. Fiction versus réalité. Ingénieur en électronique, Saberhagen connaît le sujet et interroge sur la place à venir de l’humanité par rapport à ses créations. Dans ces deux volumes, trente ans de rédaction et autant d’observation du monde. Mécanisation agricole et automatisation industrielle croissantes, invasion des foyers par une machinerie du quotidien (ça, pendant les Trente Glorieuses, on s’équipe en électronique !), émergence de l’informatique et de la robotique… Avec pour corollaires une dépendance toujours plus grande à l’égard de la technologique et l’absence d’une révolution sociétale liée à cette nouvelle donne. Le modèle occidental fonctionne toujours sur le principe de l’emploi, façon polie de résumer l’exploitation par le travail et le chantage au salaire… Sauf que les faits vont dans le sens inverse, avec une population croissante pour un nombre d’emplois décroissant, puisque confiés à de la technologie, des machines, des robots, des ordinateurs, des algorithmes…

Une série intéressante, tu l’auras compris. Sur le fond, elle n’a pas vieilli. Sur la forme, le style de Saberhagen ne fait pas d’étincelles. Fonctionnel. Le phrasé a pris une paire de rides, vu que les textes ont entre 30 et 50 ans, mais on n’a pas non plus l’impression de lire une langue archaïque.
La thématique de la machine qui se retourne contre son créateur aura rarement été si bien traitée. D’autant plus que les nouvelles et romans sont disparates quant aux lieux, dates et protagonistes. La guerre contre les berserkers se déroule à l’échelle intergalactique, tableau gigantesque dont on ne peut tout saisir. Chaque récit fonctionne comme un zoom sur tel ou tel point du temps et de l’espace, à la fois tout en soi et partie d’un tout plus grand.
Le seul défaut, c’est un sentiment de redite quand on enchaîne les nouvelles. Forcément, pour que chaque texte soit indépendant et se suffise à lui-même, il faut se retaper le point sur les berserkers. Là où Saberhagen touche au génie – plus que le toucher, il y plonge tout entier – c’est que l’impression de répétition s’arrête là. On ne peut que saluer la variété constante dans la longueur des textes, la résolution des intrigues, les thèmes connexes (religion par exemple), les genres/formats/contextes explorés (space opera, huis clos, récit de chevalerie, mythe revisité, heroic fantasy…). Un melting-pot que Star Wars condensera dix ans plus tard avec son “propre” (hum…) berserker : l’Étoile Noire.

SF classique, pas toute jeune, mais SF qui fonctionne. Le grand œuvre de Saberhagen vaut le détour, mérite d’être (re)découvert et gagnerait à être plus souvent cité parmi les classiques de la science-fiction. Parce que c’en est un, de classique, bien tourné, avec du questionnement. Et une sacrée source d’inspiration pour ceux qui ont mis le nez dedans.

Terminator modèle T-800

Le monde entier connaît au moins une œuvre qui descend en droite ligne de Saberhagen. Enfin, deux, si on compte le conte du comte, la novélisation du Dracula de Francis Ford Coppola (on passera sur l’idée débile de tirer un livre d’un film lui-même adapté d’un livre…). Mais là, on parle science-fiction.
Dans Frère assassin, un berserker a l’idée géniale d’envoyer un robot à forme humaine dans le passé pour dégommer la mère d’un guerrier qui posera problème dans le futur. Pas bêtes, les humains en font autant pour le contrer.
Quinze ans après la parution du bouquin, un certain James Cameron sort un film qui marche plutôt pas mal et inaugure une autre saga de trente ans… qui n’a rien rapporté à Saberhagen, rarement cité dans les sources d’inspiration (même si là, à mon avis, on se situe plutôt dans le plagiat que dans l’inspiration…).
Terminator, rien que ça.

(Cette intégrale a été récompensée par un K d’Or.)

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