Les aventures de Liz et Beth – G. Lévis

Les aventures de Liz et Beth
G. Lévis

Delcourt

Les aventures de Liz et Beth G Lévis édition définitive Delcourt

Liz est blonde, divorcée et active. Beth, sa meilleure amie, est brune et mariée à un médecin. Elles ont pour point commun d’être très portées sur la chose et de ne pas s’en laisser conter. Ces deux donzelles vont vivre des aventures trépidantes qui occupent rien moins que six tomes d’une série devenue un classique du genre.

Ce classique, on le doit à Jean Sidobre, alias G. Lévis de Monnage (qui se prononce “j’ai les vices de mon âge”) ou G. Lévis en version courte. Comme beaucoup de dessinateurs érotiques, il porte une seconde casquette, une partie de ses travaux étant orientés grand public et jeunesse. En parallèle à ses histoires de fesses, il a par exemple dessiné les aventures du Club des Cinq (comme Kovacq, tiens, monsieur Hilda et Diane de Grand Lieu).
Fin 1975, Jeannot se lance dans la réalisation des Aventures de Liz & Beth dont les premières paraissent dans le magazine Multi sous le titre Multi Love puis dans Bédé adult’, avant d’être éditées au format BD traditionnel dans les années 80 et jusqu’au début des années 90.
Au final, la totalité des tribulations des deux donzelles couvre six albums. Il n’existe aucune édition complète de l’œuvre, y compris celle “définitive” de Delcourt.
La version Delcourt regroupe :
– les quatre premiers albums sortis chez Neptune sous le nom Les Aventures de Liz et Beth 1ère partie, 2ème partie, 3ème partie, 4ème partie, parce que pourquoi se faire chier avec des titres ?…
– le volume Les nouvelles aventures de Liz et Beth aux Éditions Dominique Leroy.
Soit cinq tomes alors que j’ai parlé de six juste avant. Delcourt a fait le choix de ne conserver de la saga que le travail de G. Lévis. Perso, j’aime bien l’exhaustif et j’aurais préféré une intégrale, quitte à préciser aux endroits appropriés que tel ou tel passage n’est pas de Lévis, mais le choix éditorial de Delcourt se défend, d’autant qu’on n’y perd pas grand-chose, entre septante et octante pages de qualité médiocre, qui ne manqueront à personne.
Sinon, l’autre édition majeure des fantaisies liz-et-bethaines est celle de Glénat dans la collection Le Marquis qui compte aussi cinq volumes mais pas tout à fait les mêmes :
– 1. Entrée de ses vices ( = Les Aventures de Liz et Beth 1ère partie)
– 2. Songes d’une nudité ( = Les Aventures de Liz et Beth 2ème partie)
– 3. Les flirts du mâle ( = Les Aventures de Liz et Beth 3ème partie)
– 4. Vive l’ampleur ! ( = Les Aventures de Liz et Beth 4ème partie version longue, avec une vingtaine de pages en plus scénarisées par Henri Filipini et dessinées par Chris)
– 5. Le club des sens (scénario d’Henri Filipini, dessin de Jean Pailler)
Donc plutôt que rééditer Les nouvelles aventures de Liz et Beth en guise de numéro 5, Glénat a préféré accoucher d’un inédit au scénario tout nase et au dessin pas beau, et je ne parle même pas des dialogues d’une vulgarité sans nom qui semblent tout droit sortis d’un Ardem chez Media 1000. Donc y en a un peux plus – je vous le mets quand même ? – mais y a pas tout non plus. Sans compter dans le cas de certains de ces volumes Glénat que certaines pages sont manquantes et d’autres dans le désordre, là où chez Delcourt, l’édition est propre.

Or donc, Liz et Beth est une série que j’aime bien. Pour son graphisme, déjà. Je ne suis pas du tout ce qu’on pourrait appeler un fan de l’esthétique des années 60-70. J’abhorre cette période qui me fait saigner les yeux. Sauf dans le cas de ce type de BD, au trait réaliste, tout en noir et blanc, qui a aujourd’hui un charme rétro auquel j’accroche très bien. Pourquoi ? Je ne sais pas et on s’en fout.
Autre atout de ce titre, il est plutôt soft. Explicite, oui, mais loin des gros boulards qui tachent pleins de plans rapprochés sur des triples pénétrations anales en mode marteau-piqueur. Ici, on fait dans le porno tranquille et jovial, ce qui n’empêche quelques ligotages et fessées à l’occasion mais plutôt dans une teinte fétichiste que portée par un goût malsain pour la torture.
Lévis joue sur les cadrages et le positionnement des personnages pour en montrer moins qu’il n’en suggère, d’où une élégance qui participe au charme du titre.
L’état d’esprit est à l’avenant : dans l’ensemble, le sexe est perçu et montré comme un moyen de se faire plaisir avant tout. L’ambiance est à l’insouciance, à la rigolade, aux joies de la chair, à la liberté sexuelle…
Après, on n’y échappe pas, il y a toujours à un moment ou un autre du sexe forcé, mais d’une part, il est rare, ce qui l’est aussi, rare, dans la production de l’époque qui a poussé la culture du viol au-delà de l’imaginable. Surtout, il est montré comme tel : le mec veut, la meuf veuf pas, le mec s’en fout et lui passe dessus quand même, et à la fin, elle veut toujours pas. C’est un autre esprit que 99% des titres du genre à la même époque où la victime, à la fin, elle adore ça et elle en redemande. Il n’y a pas chez Lévis la complaisance sur le sujet qu’on trouve chez la plupart de ses confrères. Mieux, on voit Liz et Beth échapper à une tentative de viol, leurs deux agresseurs étant mis en fuite… par un pauvre gamin. Comme représentation de la lâcheté, ça dit tout.

Bande dessinée BD Liz et Beth G Lévis

Seul regret, la narration. Au début, on la cherche pas mal. Parce qu’il n’y en a pas. T’ouvres le bouquin, Liz s’apprête à prendre sa douche, Beth débarque et hop baisouille entre damoiselles, puis arrive Éric, le régulier du moment de Liz, qui lui met un petit coup une fois Beth partie, et les voilà qui s’en vont à la campagne, où Liz copule avec un paysan de passage, se fait mettre la fessée par l’épouse dudit paysan, puis un petit coup pour la route avec Éric, et les voilà qui rentrent au bercail en évoquant un bal masqué, dans lequel nous sommes téléportés page suivante en compagnie de Liz et Beth, qui se tapent tout un tas de gens, et la case d’après on se retrouve d’un coup le week-end suivant dans une propriété à la campagne, où les deux donzelles se font des mamours dans la piscine, qui sera aussi le lieu des ébats de Liz et du jardinier sitôt que Beth aura vidé les lieux… Vingt-cinq pages à filer le tournis tellement il se passe douze mille choses avec à peine une transition entre chaque, une ligne de dialogue pour annoncer le changement de lieu et de date, et hop. Et surtout, aucun récit d’ensemble, pas d’intrigue, de fil directeur, juste des bout d’histoire mis bout à bout.
Je vous avoue que ça décontenance un peu.
On ne sait pas du tout où on va.
Parce qu’on ne va nulle part en fait.
Les premières aventures de Liz et Beth ne cherchent pas à raconter quoi que ce soit. Il s’agit d’une succession de saynètes ultra-courtes, des micro tranches de vie et de vit raccordées entre elles à coups de “tiens, demain, on fera ça”. Comme des bribes de souvenirs évoqués pêle-mêle dans l’ordre où ils viennent. D’où l’impression de décousu, d’enchaînement à la va-comme-je-te-pousse, de compilation ultra condensée et accélérée de l’ensemble des péripéties à la campagne, à la mer, au bal masqué, en vacances, chez le médecin… de Martine en version adulte.
Et dans le même temps, Lévis développe quand même ça et là des segments de narration construits, en passant par le biais d’un autre personnage racontant sa propre histoire, enchâssée à la manière du Décaméron. Ainsi dans la première partie, on citera un saut dans le passé via le journal de la grand-mère de Beth ou encore l’histoire de Luce, une lesbienne fétichiste du latex que Beth rencontre par hasard en accidentant sa bagnole.
Donc c’est particulier comme approche du récit, faut s’habituer. Ce charcutage est sans doute dû à la publication originelle en magazine, je suppose en tranches courtes de quelques pages. Là où d’autres auteurs mettent des titres à chaque partie et la mention “Fin de l’épisode” dans la dernière case, Lévis, lui, s’en abstient et préfère annoncer la suite dans la dernière ligne de dialogue ou ouvrir une nouvelle scène avec une ellipse narrative maladroite (“Peu après…”, “Quelques jours plus tard…” et autre formule à deux ronds cinquante). Après, le titre annonce “des aventures”, on a des aventures. En vrac.

Dans la deuxième partie, Lévis donne moins dans le festival tous azimuts et construit davantage une narration autour de quatre épisodes : 1) le voyage de Liz dans une contrée exotique qui n’est pas sans rappeler Bali ou Manille, 2) le détournement de son avion par des pirates de l’air lors du voyage de retour, 3) le travail de Beth au cabinet médical de son mari, 4) les vacances du duo à la campagne pour que Liz puisse se remettre de ses émotions après sa libération. Sans être un modèle de scénarisation, l’enchaînement de ces quatre chapitres a au moins le mérite de creuser un peu les transitions de l’un à l’autre. La logique remplace la baguette magique pour justifier les changements de scène.
La troisième partie reprend pile où la seconde s’était arrêtée. Nos deux héroïnes sont en vacances dans une résidence dont Beth a hérité de son oncle et, entre deux frasques à elles, découvrent celles des locaux (la bonne du curé, la vieille veuve chargée de l’éducation religieuse, le naïf et émotif Bastien, la jeune et coopérative Béatrice). L’ensemble forme un album homogène, avec une intrigue qui tient à peu près debout, nonobstant un final farfelu au dernier degré à base de secte, dont les membres portent des cagoules pointues sorties tout droit du catalogue printemps-été du Ku Klux Klan et pratiquent le SM à la nuit tombée dans les ruines du château.
En quatrième partie – et on le sentait déjà dans les derniers dialogues de la troisième où Liz évoquait être “fatiguée de toutes ces aventures” – Lévis semble avoir fait le tour de son sujet et passe à autre chose. Liz et Beth rentrent de leurs vacances et, coincées par la neige, trouvent refuge dans le château d’un vieux comte. Ne vous attendez pas à une histoire de vampire pompée de Dracula, à la place, plus original, on aura droit aux souvenirs dudit comte quand il était capitaine d’infanterie en mai 1940. Cette histoire occupe la majeure partie de l’album et fonctionne assez bien, entre récit de guerre, amours ancillaires, romance entre le comte et sa bonne, érotisme et drame.
Pas présent dans la version Delcourt, mais je le mentionne pour être complet, on trouve dans la quatrième partie de la version Glénat un segment supplémentaire pas bien palpitant avec encore Liz embarquées dans des vacances qui traînent en longueur et kidnappée à son retour le temps d’un bout d’histoire qui aurait gagné à être développé au lieu de passer en accéléré. Soit un segment dispensable, mal raconté, avec un dessin de Chris en-dessous de Lévis (la différence est flagrante).

Ce développement aura lieu dans le tome 5 de Glénat, pas repris dans l’édition Delcourt. Vite fait en aparté, là encore histoire d’être complet sur le sujet Liz et Beth, on pouvait se passer de ce Club des Sens mené de bout en bout sans le père fondateur de la série. Le dessin de Pailler est beaucoup moins fin et précis que celui de Lévis et son style ne convient pas au récit, il serait plus à sa place dans une histoire à tonalité comique. Le scénar ne présente aucun intérêt, vague prétexte à des scènes de domination SM où Liz et Beth jouent des rôles d’esclaves à mille lieues de leur tempérament indépendant. En prime la redite du premier tome, puisqu’on a droit encore à un bal masqué. Et pour couronner le tout, des dialogues orduriers comme pas permis, sans rapport avec la plume de Lévis davantage portée sur le suggestif et le jeu de mot.
À éviter.

Retour à Delcourt et la dernière partie, Les nouvelles aventures de Liz et Beth, à l’origine en couleurs mais présentées ici en noir et blanc, choix à la fois plus cohérent avec le reste de l’ouvrage et plus joli.
Nos deux héroïnes sont encore en vacances et cette fois victimes d’un chantage tournant autour de leurs amourettes lesbiennes (même si de fait elles sont plutôt bisexuelles). La tante Lucie de Beth va mener l’enquête pour découvrir l’identité du maître-chanteur, comme un genre de Club des Cinq à elle tout seule, en version sexagénaire et olé-olé. En parallèle, on suit les tribulations de Liz et son fiancé qui n’est pas celui qu’elle croit être.
Sympathique sans être le meilleur de la série, cet album s’achève avec un goût de pas fini en laissant en suspens le dernier segment, qui était le plus intéressant. On y voit entre autres Liz servir de modèle à un peintre aux mains baladeuses, ce qui vaut à l’artiste une belle torgnole dans la gueule pour lui remettre les idées et les paluches en place. Ça change d’autres auteurs où la même scène aurait viré au “oui, maître, chiez sur mon consentement et faites de moi votre jouet sexuel”. Lévis aborde aussi dans cette dernière partie la question de l’identité de genre, thème peu commun à l’époque, et le traite avec intelligence, ce qui n’arrivait jamais dans la BD érotique. “On subit plus souvent son sexe qu’on ne le choisit”, dit Odile. Elle, elle a choisi, mais ce n’est pas sans difficultés (chirurgicales, psychologiques, sociales et sociétales). Une suite et un développement aurait été bienvenus pour creuser le sujet, il faudra faire sans. Au moins, cette série, beaucoup moins old school qu’elle n’y paraît, s’achève sur une note optimiste et très moderne au regard des clichés sexistes, patriarcaux et réacs qui pullulaient (et pullulent toujours) dans le genre.

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