Le prince d’Omeyya
Anthony Fon Eisen
Robert Laffont
Ce bouquin, je l’avais lu tout gamin, j’en avais gardé un bon souvenir. Ça donne quoi quarante ans plus tard ?
Ça donne que j’ai passé l’âge de lire du jeunesse, ce qui n’a rien que de très logique : jeune, je ne le suis plus.
Cela dit, si vous cherchez un bon roman historique d’aventure pour vos enfants, Le prince d’Omeyya est une excellente pioche.
Ce fameux prince, c’est Abd al-Rahman, membre de la dynastie arabe des Omeyyades qui dirige un vaste empire entre 661 et 750, période de l’Islam conquérant, au cours de laquelle le rouleau-compresseur musulman repeint la carte du monde à ses couleurs.
750, c’est l’année où démarre le roman, quand les Omeyyades sont reversés par les Abbassides qui deviennent calife à la place du calife dans la plus pure tradition iznogoudienne. La plupart des Omeyyades sont dézingués lors de la passation de pouvoir, exception faite de quelques-uns qui parviennent à se faire la malle, dont Abd al-Rahman, qui va rouler sa bosse à travers la Syrie, puis le Maghreb, pour enfin atterrir en Andalousie, tout ça avec à ses trousses un paquet de gus très motivés à l’envoyer ad patres. C’est ce périple que raconte Fon Eisen (et qu’on trouve sur Wikipedia, puisqu’il s’agit d’événements historiques authentiques).
Ici, je m’autorise une ellipse pour éviter de trop spoiler (même si, là encore, l’Histoire spoile le déroulement et le dénouement du roman), toujours est-il qu’Abd al-Rahman fera encore parler de lui par la suite, puisqu’on lui imputera la fameuse bataille de Ronceveaux (Charlemagne, Roland, le son du cor au fond des bois, tout ça, tout ça). Alors le fait est qu’il n’a rien à voir dans l’histoire, vu que les Francs ont été désintégrés par des Vascons (aujourd’hui les Basques) et pas des Sarrasins. Cela dit, si les Francs zonaient dans la région, c’est bien parce qu’ils avaient prévu de démolir Abd al-Rahman, en bisbille avec Ibn Arabi, gouverneur de Saragosse qui avait demandé l’aide de Charlemagne.
Tout ça pour le dire que le gars Abd al-Rahman ne se sera pas ennuyé au cours de sa vie. Le paria pourchassé fuyant Damas aura relancé sa dynastie à l’autre bout de la Méditerranée et les Omeyyades dirigeront al-Andalus pendant encore trois siècles. Et non, je ne sortirai pas le bon vieux cliché du phénix qui renaît de ses cendres (hashtag prétérition).
De mon temps, les premiers siècles de l’Islam figuraient au programme d’histoire de la classe de 5e. J’ignore si c’est encore le cas aujourd’hui (et j’ai la flemme de vérifier). C’est à ce moment-là que j’avais lu Le prince d’Omeyya qui m’a apporté une bonne lecture complémentaire, à la fois en phase avec le programme, enrichissante et distrayante, soit le combo gagnant.
Fon Eisen livre ici un roman avec tous les ingrédients bien dosés : voyage, aventure, suspense, bagarre, fuite, romance, exotisme… On en a pour son argent. Cette lecture sera aussi l’occasion de découvrir la culture arabo-musulmane médiévale, ou plutôt les cultures, puisqu’entre le berceau arabique de l’Islam, les Berbères d’Afrique du Nord et la péninsule ibérique, on croise tout un éventail de nuances et de particularismes locaux. En jouant sur un mix bien mesuré entre l’historique et le romancé, Fon Eisen présente ce patchwork d’une façon claire qui ne paumera pas les jeunes lecteurs sans non sursimplifier comme s’il les prenait pour des débiles. Une œuvre intelligente, bien ficelée et qui sort des sentiers battus médiévaux plein d’éternels chevaliers, on aurait tort de se priver.