Deux films pour le prix d’un : On l’appelle Trinita et On continue à l’appeler Trinita, réalisés coup sur coup par Enzo Barboni en 1970 et 1971.
Attention, c’est gras et ça tache.
En version courte, il s’agit du croisement entre western et comédie. Attention, pas de la comédie fine, on parle bien du duo Terence Hill (Trinita) et Bud Spencer (Bambino) qui vient de se former à l’époque et propose ici un genre d’Astérix et Obélix au Far West dans une ambiance à la Benny Hill. Ne soyons pas trop mauvaise langue, il s’agit des deux meilleurs films du duo. Vous me direz, vu le niveau moyen de leur filmo ensemble… Voilà, quoi.
À noter que tous les autres films comportant Trinita dans leur titre sont des arnaques qui n’ont de Trinita que le nom, baptisés ainsi pour surfer sur le succès de cette micro franchise de deux opus.
Si la qualité des tribulations Hill-Spencer atteint vite ses limites quand on a passé l’âge de sept ans, le diptyque a pourtant sa petite importance dans l’histoire du cinéma.
D’abord, à l’époque, On l’appelle Trinita fut un énorme succès en salles. Près de 9 millions de spectateurs en Italie, plus de 2,5 millions d’entrées en France et 5 millions en Allemagne. Le film fit un malheur en son temps (et le mien hier, vu le coup de vieux qu’il a pris depuis), engendrant un paquet de clones encore pires que leur modèle.
Ensuite, si la trilogie du dollar de Sergio Leone a marqué un tournant décisif dans le western pour le meilleur, Trinita a été le virage vers le pire, celui où la voiture lancée à fond les manettes explose la rambarde de sécurité pour valdinguer dans un précipice.
Partant d’un genre qui tournait en rond, le western spaghetti a eu tôt fait de suivre la même voie que son prédécesseur classique une fois ses propres codes essorés à l’infini en quelques années seulement.
Fatigué de la bolognaise, le western américain renaît à la charnière des années 60-70 sur le mode crépusculaire, avec encore plus de cynisme, de noirceur, de violence, à l’image de la claque cinématographique italienne et la claque militaire vietnamienne qu’il prend dans la figure. L’Italie, elle, est tout aussi mûre pour le changement, ayant fait le tour de sa propre tambouille à coups de titres plein de dollars et d’Hommes sans nom qui en ont un quand même (Django, Ringo, Sabata… on dirait les Beatles transalpins). Sauf qu’elle n’a pas grand-chose à faire d’une conquête de l’Ouest qui n’appartient pas à son patrimoine historico-culturel et n’est pas traumatisée par une guerre lointaine et mal barrée.
L’heure étant à l’insouciance en cette période charnière entre sixties et seventies, c’est vers la pantalonnade, la parodie grasse, la farce burlesque que se tournera Enzo Barboni, qui ne s’inscrit jamais que dans un mouvement général de bouffonerie à l’échelle de l’Europe occidentale qui voit entres autres le Benny Hill Show battre des records d’audience au Royaume-Uni et les Charlots entamer leur carrière cinématographique en France (La Grande Java en 1970, Les Bidasses en folie en 1971).
C’est dans cette ambiance de grande classe et de raffinement que les Trinita vont peser de tout leur poids dans la balance du cinéma de genre en donnant naissance au western fayot, la branche pétomane du western spaghetti. Le spaghetti se dégustait, épicé par ses cadrages et sa musique. Le fayot se dévore sans style : les cow-boys barbus deviennent des clodos fainéants, crasseux et puants, les duels tendus comme un caleçon au réveil disparaissent au profit de foires d’empoigne rigolardes, le chant de mort des pistolets est remplacé par des bruitages pas synchro de baffes cartonnesques.
Le succès des Trinita oriente le genre vers la comédie pouet-pouet-pan-pan qui achèvera d’enterrer le western, au moins en Europe. Pas pour rien que Leone tournera avec le même Terence Hill Mon nom est Personne, tentant de mettre fin à un genre devenu flatulent. Le western italien baffrera, rotera et pètera pour encore quelques années. Dans un ultime soubresaut délirant, il donnera naissance au sous-genre improbable du western soja. Puis il s’en ira à son tour vers le soleil couchant autour de 1976-77. Aux States, ils s’enterrera tout seul pour d’autres raisons – la première étant de ne plus rien avoir à raconter qui ne l’ait déjà été mille fois – et ne ressortira de sa tombe qu’en de rares occasions (Danse avec les loups, Impitoyable).
Donc Trinita, ben c’est un duo de guignols qui collent des tartes à tout un tas de gens et bouffent comme des porcs en enchaînant les gags infantiles et les dialogues crétins pendant deux fois une heure quarante.