Robert Ludlum, c’est d’abord une poule aux œufs d’or. Quand même un des rares auteurs sinon le seul à avoir dans sa biblio plus de bouquins publiés post-mortem que de son vivant. Ses éditeurs s’en frotteraient les mains, si elles n’étaient pas déjà occupées à compter les biffetons que leur rapporte l’ami Bébert.
Si on ne peut pas nier à Ludlum un savoir-faire en matière de construction narrative, on ne peut non plus lui nier d’écrire plus ou moins le même bouquin à chaque fois. S’il ne fallait en retenir qu’un, ce serait La mémoire dans la peau, premier volet des interminables aventures de Jason Bourne et seul valable du lot. Tout Ludlum est dedans : espionnage, gentil héros solitaire en croisade contre le méchant reste du monde, manichéisme plein pot, brouettes de complots, magouilles, machinations, plans diaboliques, organisations secrètes, groupuscules mystérieux et hommes de l’ombre. Si tous les complotistes du monde se donnaient la main, ils n’arriveraient pas à la cheville de Bobby Ludlum.
On en arrive à La stratégie Bancroft, ultime ludlumerie publiée cinq ans après la mort de Robert dit “le Surcoté”, ultime aussi en termes de poil dans la main et d’autocaricature de sa production.
La stratégie Bancroft
Robert Ludlum
Le Livre de Poche
Ça s’intitulerait La stratégie des lieux communs que ce serait pareil.
Todd Belknap est un super agent secret, un héros solitaire que rien n’arrête. Son meilleur ami est kidnappé. Rien d’étonnant : dans la fiction, être le meilleur ami du héros a toujours exposé aux pires avanies. Lui, il aurait plutôt de la chance, il ne meurt pas pour ouvrir une énième histoire de vengeance. L’heureux veinard est juste enlevé… pour ouvrir une énième histoire d’extraction à la Chuck Norris avec les éléments classiques : personne ne veut lever le petit doigt pour libérer le poteau, Belknap va devoir monter sa propre opération, tout le tableau, quoi.
Pendant ce temps, pas à Vera Cruz mais ça pourrait, Andrea Bancroft reçoit un mystérieux héritage légué par un mystérieux cousin pour peu qu’elle accepte de siéger au sein d’une mystérieuse fondation. Très mystérieux, donc. Entre le tas de pognon, le parent sorti de nulle part et l’organisation secrète, tiercé gagnant du cliché !
Sans surprise – et si ça vous surprend, consultez d’urgence un neurologue ou un spécialiste en retard mental –, ces deux fils d’intrigue déconnectés comme pas permis vont se rejoindre. Grâce à un tas de ressorts narratifs usés, d’heureuses coïncidences et de facilités d’écriture dans le scénario, Todd et Andrea vont unir leurs efforts pour lutter contre un ennemi commun, qui porte bien sûr un nom biblique, parce qu’on n’est plus à un stéréotype près. Génésis ! Tada ! Sauf que moi, un nom pareil m’évoque Phil Collins, pas de quoi trembler de trouille au point de me vider dans mes caleçons. Comme tous les méchants de carnaval et de jamesbonderies à deux ronds cinquante, Génésis veut renverser l’ordre mondial pour dominer la planète avant d’éclater d’un rire maléfique qui se perd dans la nuit…
Une fois pitché, tout est dit sur cette Stratégie qui est au roman d’espionnage ce que la ligne Maginot a été à l’art de la guerre : un plan foireux.
Du James Bond sans James Bond, mâtiné de Mission: Impossible et d’auto-plagiat de Jason Bourne, rien qui n’ait déjà été raconté mille fois en livres ou en films et surtout en mieux. Le genre de texte qu’on verrait plutôt comme le premier roman d’un auteur qui ne s’est pas encore détaché de ses influences et inspirations. Sauf qu’il s’agit d’un roman de fin de carrière écrit par un auteur considéré comme chevronné. Que s’est-il passé ? L’âge ? la fatigue ? la facilité du “ça se vendra sur mon seul nom” ?
Faut être culotté pour se lancer sans trembler des genoux dans l’écriture d’un machin aussi éculé de partout, tant l’intrigue que les personnages ou les péripéties. Un tel aplomb forcerait presque le respect. On n’en dira pas autant du texte final, qu’on se force à lire.