La nuit fera le reste
Marc Falvo
Le Riffle
La nuit fera le reste, objet ni volant ni identifié. Encore un inclassable, ça n’étonnera personne. C’est signé, confer le nom sur la couverture. Marc Falvo alias l’antithèse du Loto : pas de petites cases bien définies et tu gagnes à tous les coups.
L’histoire d’un mec qui part de chez lui en début de soirée pour rejoindre un tripot de l’autre côté de la ville et y disputer une partie de cartes.
Le sujet pourrait être plié en une phrase.
Il arriva sans encombre.
FIN
Ou pas.
Falvo t’embarque dans un voyage au bout de la nuit (elle était facile, je sais), au bout de la ville… et au bout de l’absurde. Virée improbable qui n’est pas sans rappeler les récits de voyage des XVIIe et XVIIIe siècle. Chaque segment propose la découverte de gens qui pourraient être tes voisins, autant de peuplades aux coutumes insolites qui nourrissent les réflexions du narrateur ethnographe. Du Bougainville sous LSD, ça pose le trip barré bien comme il faut.
Pour les grands malades du classement et des étiquettes, je vais faire un effort. Un de plus, déjà que je me trouve bien généreux en bossant sur cette chronique un dimanche matin alors que je pourrais occuper mon temps libre à la messe, devant Téléfoot ou vautré sur mon pieu à regarder pousser mes ongles de pieds. Je sers les Lettres et c’est ma joie, comme disait l’autre à propos de la science.
Or donc classification en…
(suspense…)
(roulement de tambour…)
(solo de flûte à bec…)
Roman noir absurde.
Tada !
De loin, La nuit fera le reste ressemble à de la blanche. La littérature, hein, pas la coke. Le narrateur raconte sa vie en long, en large, en travers, manque plus qu’une bissectrice. Il s’épanche en introspections, réflexions, remarques, digressions, autre-précisez-vous-avez-quatre-heures.
Mais ça, c’est quand on ne sait pas lire au-delà de la surface et qu’on en reste aux “personnages attachants”, “chapitres courts et addictifs” et aux “claques-pépites-coups-de-cœur, j’ai vraiment adoré c’était trop bien”.
La nuit fera le reste, c’est du noir. Un peu comme la nuit en fait. Là tu vas m’objecter qu’une nuit peut être blanche. Je te répondrai que, petit un, le sens figuré ne compte pas, et petit deux, si tu me coupes encore une fois la parole, je t’envoie Chuck Norris, Steven Seagal et Jean-Claude Van Damme, après on reparlera de tes yeux au beurre blanc.
Du noir, donc.
Un tripot enfumé sorti tout droit des années 50. À sa tête, Garbo, gangster à la petite semaine, qui ne dépareillerait pas dans un film en noir et blanc (là pour le coup, du blanc, y en a). Audrey, la serveuse, ni femme fatale ni demoiselle en détresse, mais un peu des deux quand même.
Et le narrateur. Détective, non. Privé, oui. De permis de conduire, d’emploi, d’aspirations artistiques… Tu imagines son parcours dans un vieux film, avec ses réflexions en voix off.
Décor nocturne, ville déserte ou à peu près. Ambiance de fin du monde, ton désabusé.
Tous les ingrédients du roman noir pour une épopée tragi-comique, mélange d’Homère, de Dashiell Hammett et de Ionesco (Le Solitaire).
Même du suspens ! Oui, parce que sur le papier, tu te dis que le gars qui doit aller d’un point A à un point B dans une ville, c’est pas trop l’intrigue de folie qui promet des palpitations. Que nenni, manant ! C’estoit joy dedans les coeurs adonc ! Icelle…
Saleté de correcteur automatique réglé en mode Louis XI !…
Avec une base d’intrigue qui tient sur la moitié d’un confetti, Falvo te pond 200 pages qui t’accrochent. Son poissard, on se demande d’un chapitre l’autre quelle nouvelle tuile va lui tomber dessus. Comment il va s’en tirer ? Parviendra-t-il à destination ? Et dans le délai imparti par-dessus le marché ?… Ulysse en plein road trip urbain dans un monde fou à lier.
Voilà un roman plein de péripéties, qui “tient en haleine”, comme disent les critiques littéraires dopés aux lieux communs et les vendeurs de dentifrice.
Sur le fond, La nuit fera le reste pourrait passer pour la préquelle de D’occase. Un type paumé bringuebalé de situations qui lui échappent en péripéties imprévues. Un monde qui marche sur la tête où tout n’est qu’errance, hasard, chance ou manque de bol. Roue libre, prise sur rien, absurdité… parfait résumé de la condition humaine. Mais faut bien qu’on fasse avec, on n’en a pas de rechange. On s’occupe comme on peut pour remplir nos journées et nos soirées, la nuit fera le reste.
Et pourquoi ne pas commencer par cette aventure la ? Marc Falvo nous refait un roman dont la trame est proche d’Une journee en enfer avec Bruce Willis. Dit comme ca, vous allez arreter votre lecture. Vous auriez tort ! Le scenario a ete peaufine, les approximations gommees, et l’humour vient au bon moment. Cela donne un roman moins fourre-tout que le precedent, plus realiste aussi, un peu moins drole mais bigrement efficace. Et moi qui n’attendais qu’un roman divertissant, j’ai ete happe par l’action et le stress.