Je vous ai parlé tantôt du très moyen Delta Force. Ne voulant pas rester sur ce semi-nanar loin d’exploiter le potentiel phénoménal de Chuck Norris, je me suis retapé Invasion USA.
Je n’ai pas été déçu du voyage.
Le titre et l’affiche sont assez éloquents pour me dispenser de préciser qu’Invasion USA appartient au genre du film d’action. Il est sorti en 1985, coincé entre la “guerre fraîche” (1975-1984) et l’arrivée au pouvoir en URSS de Gorbatchev qui s’oriente illico vers la détente.
De quoi ça parle ? Rostov, un terroriste soviétique, sème la terreur aux États-Unis pour préparer le terrain à une invasion. Comme une espèce de Baie des Cochons inversée préfigurant l’assaut communiste raconté dans L’Aube rouge (autre film bien de son temps sorti en 1984). Mais Chuck Norris se dresse pour contrer le projet diabolique des vilains rouges… Tatata !
Détail rare dans le monde du cinéma, Invasion USA fait l’unanimité critique. Authentique nanar pur jus.
Faut dire que la fine fleur est réunie propulser l’objet du délit au panthéon nanar : Chuck et Lynch (Richard, pas David) au casting, Yoram Globus et Menahem Golan – les grands patrons de la Cannon – à la production, Joseph Zito – réal de Portés Disparus – derrière la caméra, le frangin Aaron Norris (et Chuck un peu) au scénar. Du lourd, du très lourd, que cette dream team de pointures capables d’engendrer des monstres à rendre jaloux le sommeil de la raison.
L’affiche du film parle d’elle-même. Un ciel noir pour figurer la menace, les méchants au second plan parce qu’il ne faudrait pas voler la vedette à notre barbu préféré, des explosions dignes de la Troisième Guerre mondiale qui résument “l’intrigue” et le beau et viril Chuck, flingues en main et chemise ouverte sur le poitrail, monolithique à faire passer Steven Seagal ou Zénon de Kition pour des modèles d’exubérance. Chuck, la zénitude incarnée.
Au mépris de toute construction scénique et dans la plus grande confusion, les vingt premières minutes alternent une suite de sketches destinés à poser un semblant de background. Des massacres gratuits pour bien montrer que le méchant, c’est Rostov… des scènes de la vie quotidienne de Chuck chassant l’alligator à mains nues en Floride, activité normale d’un retraité de la CIA… ladite CIA rendant visite audit Chuck pour lui dire que Rostov est aux États-Unis et magouille des trucs pas nets (comment le savent-ils ? mystère)… un cauchemar de Rostov où on apprend que tout gros méchant qu’il est, il fait dans son froc rien qu’en pensant à Chuck, son ennemi juré, sa Némésis, sa kryptonite.
On ne comprend rien à rien de ce gloubiboulga décousu qui ressemble moins à un film construit qu’à une compilation d’extraits random.
Le film démarre pour de bon quand Rostov décide de tuer Chuck, juste au cas où… La belle erreur ! Chuck n’en avait rien à secouer et avait même envoyé paître la CIA. En s’attaquant à lui, bonjour la méga boulette pour l’impliquer avec les risques que l’on sait. Ne jamais réveiller un flic Chuck qui dort, surtout quand il a la puissance de feu d’un croiseur, pour ne pas dire une escadre complète, et des flingues de concours !
Alors qu’il coupe du bois dans la forêt, tel un Charles Ingalls des années 80, Chuck parvient à s’échapper de sa maison en flammes en sautant par la fenêtre. Ne me demandez pas comment il s’est téléporté de la forêt à son salon. Tout triste d’avoir perdu son meilleur ami dans l’attaque – un classique –, Chuck quitte les lieux et s’en va affronter son destin de héros solitaire. Après avoir mis le feu aux ruines de sa cahute. Sans qu’on comprenne trop l’utilité de cramer une baraque qui vient d’exploser et qui est déjà en flammes. Tout ça avec antique une lampe à pétrole qu’il ressort intacte des débris ! Pas une fêlure sur le verre, intact malgré la déflagration et l’effondrement de la kasbah, un miracle ! Alléluia ! Trop fort, Chuck !
On en arrive (enfin !) au cœur de l’histoire ou de ce qui en tient lieu. La fameuse opération des méchants commence ! Dans un remake fauché du Jour le plus long, une troupe de mercenaires encore plus mal fagotés qu’un régiment de sans-culottes envahit les plages américaines ! Enfin, les plages… Une plage. Un petit coin de sable paumé au milieu de nulle part. Au top de la modernité (ou pas), les péniches de débarquement datent des années 40… D’après le slogan de l’affiche française, “l’Amérique n’est pas prête” à affronter ce ramassis de clodos, ce qui laisse perplexe sur l’état des forces armées de l’oncle Sam. Pourtant, un bonhomme solitaire parviendra à les pulvériser, donc je sais pas s’il y avait tellement de quoi trembler dans son bénard. Bon d’accord, on parle de Chuck Norris, mais quand même.
On est gâté avec cette cour des miracles qui rassemble les fonds de tiroir du bloc communiste ! Nous sommes dans les années Reagan et la guerre froide n’est pas encore finie. À l’époque, l’Ennemi Héréditaire n’est pas encore le terroriste intégriste venu du Moyen-Orient, c’est le Rouge, cet odieux communiste ennemi de la liberté, de la démocratie et la libre entreprise capitaliste. Ironie de l’Histoire, comme je le disais plus haut, Invasion USA sort l’année où Gorbatchev prend les rênes de l’ours soviétique et amorce une détente qui obligera Hollywood à se trouver un nouvel adversaire récurrent. Par chance, les USA ayant une faculté hors du commun à se mettre tout le monde à dos, les candidats à la succession ne manqueront pas.
Pour l’heure, tous les stéréotypes possibles se télescopent pour dépeindre cette horde bolchevique où se côtoient pêle-mêle des Russes avec des accents à couper au couteau, des Européens de l’Est au look très aryen, des Iraniens/Libanais/Palestiniens en turban, des Viets au visage impassible et aux petits yeux vicieux, des Cubains fumant le cigare… Le club des ennemis de l’Amérique au grand complet, il ne manque que moi. Le tout avec force pilosité, car le mercenaire moustachu fait le bon nanar. Plus caricatural que cette bande de pieds-nickelés tu meurs.
Selon le principe des vases communicants, à l’instant où les vilains cocos posent un pied sur le sol américain, tout ce qui ressemble de près ou de loin à un neurone, de la vraisemblance ou du réalisme déserte un navire dont l’équipage était déjà bien réduit, plus squelettique que celui du Hollandais Volant. Le scénariste a pris la fuite devant l’ennemi ou des vacances ou du LSD ou les trois et l’histoire part en roue libre. Rien ne tenait la route jusqu’ici, certes, mais on découvre vite qu’il ne s’agissait que d’un modeste avant-goût. Les préliminaires terminés, on s’embarque pour la traversée du royaume magique du free style dans une quête épique de l’essence nanarde.
Armé d’un lance-roquettes qu’il ne recharge JAMAIS et de tous les types de bombes imaginables, Rostov s’en prend aux symboles de l’Amérique décadente. Un pavillon de banlieue où règne une ambiance paisible digne des Bisounours ? BOUM !… Une gentille fête dans un quartier latino ? PAN PAN !… et une église ! et un centre commercial animé en cette période de Noël ! et un bus scolaire plein de gamins qui chantonnent ! et la tête, alouette !
Enfin, Chuck se décide à intervenir et retrouve la trace de Rostov lors d’une scène d’anthologie bourrée de citations cultes ! “Toi, tu commences à me baver sur les rouleaux.” “Si tu te pointes encore, tu peux être sûr que tu repars avec la bite dans un Tupperware.” Festival de dialogues hors sol ! Youhou !
Déjà bien parti dans le nawak, le film passe alors en vitesse-lumière pour gravir quatre à quatre les échelons du pur délire scénaristique.
Quoi que complotent les terroristes, Chuck est là pour les arrêter. Armé de son flegme, de sa barbe et de ses Uzis, il sillonne les rues au volant de son pick-up – nous gratifiant l’air de rien de six, huit scènes de remplissage à le voir juste patrouiller –, dézingue les terroristes et s’en repart comme il est venu. Comment est-il au courant qu’une attaque se préparait à cet endroit à ce moment ? Chuck est un héros, il sait, c’est tout. Monolithique comme jamais, il apparaît partout où ça chauffe, avec un temps d’avance sur les méchants (normal, Chuck est un héros, il est super rapide). Quoi que les vils gredins tentent pour en venir à bout, ils échouent (parce que Chuck est un héros, il est super fort). The right man at the right place, véritable as de la téléportation, on le voit sur tous les fronts défendre la liberté avec des méthodes dignes du pire sadique de la Gestapo, ravalant Jack Bauer au rang de petit rigolo choupinou. Car Chuck est colère et, comme il l’a énoncé avec la poésie virile qu’on lui connaît, faut pas lui baver sur les rouleaux si on ne veut pas repartir avec la bite dans un Tupperware.
Quand Soviet blesse America, God (aka Chuck) abat sur lui les foudres célestes format XXL. Et chaque fois, il laisse repartir un témoin avec un message pour Rostov : “c’est fini pour toi”. Puis il retourne dans sa tanière secrète, la ChuckCave, sans qu’on sache trop qui de cette armée rouge du pauvre ou de Chuck a occasionné le plus de casse.
Je ne m’appesantirai pas sur la grille de lecture premier degré de ce film réac comme pas permis. Message anticommuniste si bas du front qu’on peut se lécher les orteils rien qu’en tirant la langue… Panégyrique du héros solitaire américain invincible, redresseur de torts aux multiples talents plus surhumain que l’Übermensch nietzschéen… Glorification de valeurs saines comme la violence, la torture, le sadisme, du moment qu’elles sont au service des “gentils”, on dirait un discours de Bush sur la “guerre juste” avant l’heure…
La symbolique Travail-Famille-Patrie dégouline de chaque scène :
– Le pote indien de Chuck qui crève : bonjour le révisionnisme gonflé ! En fait, tout ce qui est arrivé aux Indiens, c’est la faute des Russes.
– La fête dans un quartier latino : les États-Unis, terre d’asile, où tout le monde il est heureux.
– Le supermarché : capitalisme et société de consommation, c’est le top !
– L’église : Dieu et Chuck protègent l’Amérique, théocratie qui n’aurait pas dépareillé au XIIe siècle.
– Le bus scolaire des Jeunesses Hitlériennes Américaines, tarte à la crème des victimes innocentes et symbole de l’avenir du pays.
– Le quartier de banlieue canardé au lance-roquettes : cadre pavillonnaire typique du mode de vie américain, parfait condensé de tous les points précédents. Chacun prépare Noël, illustration parfaite de l’équation consommation + famille + religion, version US de la devise vichyste.
Donc non, je ne m’étalerai pas sur le sujet, parce que a) je viens de le faire et b) se contenter de prendre Invasion USA comme un gros nanar qui tache est beaucoup plus rigolo que se lancer dans les grandes interprétations symboliques.
Je préfère voir Invasion USA comme une succession de sketches caricaturant l’Amérique ou, mieux, une allégorie du jeu vidéo. Un peu – si peu, à peine – avantagé par les vies et munitions infinies, Chuck vole de stage en stage jusqu’au boss de fin. J’en attraperais presque la nostalgie de mon Amstrad de l’époque…
Au terme d’une suite sans queue ni tête de scènes d’action plus improbables les unes que les autres et de coups de feu dans les roubignoles (le péché mignon de Rostov), arrive la luuuutte finale. Pendant que les mercenaires bolcheviques se font dégommer sans sommation par les blindés américains, Chuck et Rostov jouent à chat dans des décors en carton. Imaginez Sergio Leone qui aurait ingurgité une pleine poignée de champis hallucinogènes avant de filmer le duel, ou le truel plutôt, dans Le bon, la brute et le truand. Fini les petits Colt de gamins, ici les mecs n’ont peur de rien. Dans ce remake aux airs de La brute et la brute, Chuck et Rostov se défient au bazooka dans un couloir. Et c’est fini pour toi, Rostov !
Invasion USA est sans conteste une des sept merveilles du monde nanar.
Scénario au format timbre-poste plié en huit, qui sert de prétexte à la glorification d’un Chuck Norris au top de sa forme… dialogues d’une nullité insondable (à savourer en VF pour le doublage et la post-synchro ratés) avec quelques perles devenues cultes… invraisemblance délirante et déluge d’incohérences… des tonnes de mercenaires moustachus… la crème des acteurs pas oscarisés avec mention spéciale au jeu sous acide de Richard Lynch… un héros invincible, au passé mystérieux et au regard impénétrable, qui aligne vingt répliques en comptant large… On ne sait plus où donner de la tête dans cette foire azimutée !
On retiendra aussi d’Invasion USA la révélation de la nature divine de Chuck Norris :
– il se déplace plus vite que son ombre, le son et la lumière réunis ;
– il est omniscient ;
– il est tout-puissant ;
– on ne peut pas le regarder en face sous peine de finir en poussière ;
– tout ce qu’il touche se transforme en buisson ardent ;
– il se bagarre, se fait tirer dessus, passe à travers des vitres, est pris dans des explosions, mais sa chemise n’a jamais un accroc.
Bref, une de ces œuvres fondatrices qui ont construit la légende du bonhomme bien avant l’avènement des Chuck Norris Facts (lesquels n’ont pas attendu Internet pour être inventés, soit dit en passant, ils circulaient déjà dans les cours de récré pendant les années 80).