Aux trois loustics d’une fameuse tablée des Halliennales…
Après la chronique de Harley King, le roman, je me suis dit : pourquoi ne pas interviewer dans la foulée Harley King, le héros du livre ?
Palm Springs… Le gars n’habite pas la porte à côté. Direction la Californie, là où pleure le porte-monnaie. Un voyage à 900 boules, ma tirelire n’est pas près de l’oublier…
En arrivant au port sans prompt renfort, je tombe sur Patrick Mc Spare. Heureux hasard comme on n’en voit que dans les bouquins… Comment a-t-il eu vent de ma venue ? Seul King est au courant.
Cette rencontre au débotté sent l’embrouille, peut-être même la magie noire. J’imagine bien Mc Spare invoquer le dieu Exmakina et pratiquer la divination dans les entrailles de hamster. Des secrets de l’avenir aux fluctuations boursières de l’action Chatterton Inc., vous n’imaginez pas ce qu’on peut apprendre grâce à ces petites bêtes…
En attendant, me voilà avec un invité sur les bras. Et pas jovial, le hamster, tendu comme un string XS sur un sumotori.
On discute, enfin, c’est surtout Mc Spare qui parle. Il veut garder un œil sur Harley. Le petit lui taillerait paraît-il une réputation de mytho.
— En même temps, mec, t’es auteur de fiction. Les bobards, c’est ton fond de commerce, non ?
— La balle est dans ton camp.
Vu la taille du flingue qu’il m’agite sous le pif, je préfèrerais autant que la balle reste de son côté. La trouille L’argument me convainc d’embarquer Patrick dans l’interview.
Sur le trajet vers le lieu de rendez-vous, ambiance maussade. Comme le ciel où le soleil brille par son absence. Harley m’avait vanté le climat californien, merci le tour operator du dimanche. Dans le genre mytho, pas un pour rattraper l’autre…
Une ellipse narrative plus tard, nous déboulons devant le Strawberry Pie, gargote en vogue chez les stars de Doowylloh. Pile quand les nuages commencent à nous glavioter leur crachin à la figure. Timing parfait pour éviter l’averse.
On entre… ou plutôt Mc Spare entre et moi je me gaufre. Pas vu la petite marche, j’ai glissé, chef.
Est-ce ma chute ? la présence imprévue de Mc Spare ? Harley sursaute. Le flingue à la ceinture, très mauvaise idée… Un coup part et manque de le farinelliser. Pas passé loin… Seule victime, sa veste en cuir a écopé d’une nouvelle boutonnière.
Un ange passe, confisque les pétoires et apporte les consos. L’incident a rompu la vitrine et la glace, on va pouvoir s’y mettre !
— Salut, les duettistes. On attaque l’interview avec la question de routine. Présentez-vous aux gens qui auraient la chance de ne pas s’être retrouvés entre vos feux croisés, histoire de savoir à qui on a affaire.
À voir la tête de Harley… Ah oui, la langue. Il ne parle qu’anglais. On rembobine.
— Hello, the duettists, my taylor is rich.
Je traduirai la suite en utilisant la méthode Albert Ball : à la volée. Le temps que Harley décrypte mon accent, Mc Spare ouvre le bal.
— Salut, Fred ! Très heureux de te retrouver pour cette interview. Présentation, donc ? Ça marche ! Je suis écrivain et scénariste BD. Dans ce roman, je me dévoile un peu plus que d’habitude en révélant mon passé de V.E.D. Impossible de m’expliquer davantage sans spoiler le récit, puisque ce sigle concerne notre ami Harley. De façon indirecte, certes, mais quand même. À propos, tu vas bien, Harley ? On n’a plus eu l’occasion de discuter depuis ce shooting improvisé à Londres. Ça fait plaisir !
Plaisir, tu parles, quand je repense à la façon dont il m’a présenté les choses à la sortie de l’aéroport, flingue en pogne, y a de quoi se marrer… Il n’a peut-être pas tort, le King, avec son histoire de mytho…
— Bonjour, monsieur K, bonjour, monsieur Mc Spare. Je vais bien, merci. Vous deux également, j’espère. Une précision en guise de préambule : monsieur Mc Spare et moi-même nous fréquentons trop peu pour qu’on nous qualifie de “duettistes”. Cela dit en toute bonhomie, bien sûr. De mon côté, je suis détective privé et enquête sur diverses affaires paranormales. Je ne parlerai pas de profession, car je n’ai jamais l’impression de travailler. L’aventure, et le soleil qui gâte tant cette région, sont mes principaux centres d’intérêt… même si la météo nous fait une mauvaise blague pour votre venue, monsieur K. Bref, j’aime envisager l’existence comme un amusement sans fin. Si je peux secourir par la même occasion des malheureux aux prises avec de maléfiques créatures, tant mieux.
— Pourquoi tu dis ça, Harley ? C’est vrai qu’on ne s’est pas croisés si souvent, mais la qualité des échanges prime sur la quantité, non ?
— Avec à peine cinq ou six rencontres fortuites en plus de vingt ans, il va falloir une qualité vraiment de vraiment haut de gamme.
Vite, reprendre la main avant que l’échange ne tourne à la castagne.
— Harley King le roman est la première “grosse aventure” de Harley King le détective. Pour autant, Patrick, certains de tes lecteurs ont déjà entendu parler du bonhomme.
— Oui, en effet. J’avais déjà raconté une première aventure de Harley, où il s’adonnait à la fête, au troc et au marché noir avant de mener enquête. Ce récit constituait une longue nouvelle insérée dans le Darryl Ouvremonde de mon pote Olivier Peru. C’est ainsi que certains de mes lecteurs firent connaissance avec le détective de l’invisible et son adjoint Nosfe. J’y présentais en outre une ravissante démone Fomoré appelée Selanka.
— Il paraît que monsieur Mc Spare a beaucoup évoqué ces Fomoré dans ses précédents ouvrages. Pour ma part, je ne les ai pas lus.
— Tu devrais, ils sont très bien.
— Je confirme. Pour avoir lu et chroniqué Les Haut-Conteurs Origines et Mérovingiens, avec ou sans Fomoré, ils sont très bien.
— Merci, Fred.
— Très bien ? Très fantaisistes, surtout, je le devine. Et sûrement loin de l’authenticité qui caractérise ce roman relatant mon enquête berlinoise.
— Oh, c’est bon, on ne va pas recommencer. Que tu t’obstines à me considérer comme un mytho, soit. Mais tu n’es pas obligé de vouloir en convaincre le monde entier.
— Aucun souci, nous ne sommes pas là pour polémiquer.
Dit le gars qui se pointe en interview avec une pétoire glissée dans le pantalon…
— Votre lien date donc d’avant Berlin. Mes sources étaient fiables, faudra que je pense à leur verser les arriérés de bakchich. Votre première rencontre, il y a moyen d’en savoir un peu plus ou le sujet est trop sensible ?
— Avant que nous ne nous installions à Palm Springs, Nosfe et moi recourions souvent à des méthodes marginales. Vous êtes un sage, monsieur K. La rémunération occulte reste le meilleur moyen d’obtenir des informations. Concernant votre question, bien sûr, monsieur Mc Spare est un individu sympathique et je lui sais gré de m’avoir relayé sur les réseaux sociaux. Néanmoins, je préfère éluder les détails, ils n’intéresseraient guère vos lecteurs. Disons simplement que notre première rencontre se déroula dans un bar à marginaux où monsieur Mc Spare m’assomma d’affirmations farfelues. Cela donne le ton de nos relations.
— Ah ça, j’ai pu constater à ma descente d’avion que Patrick a une façon bien à lui d’entretenir les relations. Sans offense, hein.
— Je passe mon tour, sinon, Harley va encore prétendre que je suis le roi des mythos. Et pas d’offense, Fred, t’inquiète. Simplement, quand on est un ex-V.E.D., faut sortir couvert, car le passé peut toujours resurgir sous forme dangereuse. D’où mon gun…
Gros blanc. Ambiance orageuse dedans comme dehors. Un rideau liquide enveloppe le bar et donne au trottoir d’en face des allures de bout du monde.
— Revenons sur le sujet berlinois. Entre urban fantasy et polar, une affaire pas ordinaire. Avec des gens pas ordinaires quand on voit la dégaine de ton équipe, Harley. Fais-nous un peu le topo sur le pourquoi du comment.
— En effet, il s’agissait d’une affaire vraiment de vraiment particulière. Même si c’est le lot commun de toute enquête paranormale, celle-ci s’avéra fort compliquée. Jugez un peu : une richissime famille victime de meurtres inexplicables déguisés en suicides, une ténébreuse créature dotée de pouvoirs terrifiants, des voyous, un ex-agent des forces spéciales allemandes… Le tout se déroulant dans un Berlin underground. Pour élucider cette énigme, Nosfe et moi avons bénéficié de l’aide d’une médium hors pair, miss Jade de Villers. Une Française comme vous, monsieur K. Et une grande chance pour nous. Non seulement miss Jade possède de réels talents spirites, mais elle est une combattante redoutable. Et quelle personnalité !
— Je pense ne pas trop m’avancer en déclarant que Harley a un faible prononcé pour la ravissante miss Jade. Elle réside à Los Angeles, non loin de Palm Springs. Je n’avais pas encore eu le plaisir de la rencontrer à l’époque où je préparais mon roman. Harley m’envoya quelques photos d’elle et m’en dressa un portrait assez clair pour que je puisse lui prêter vie dans mon récit.
— Un faible prononcé ? Je ne vois pas ce qui vous pousse à cette conclusion.
— Comment, comment ? Tu oserais encore prétendre que je raconte des bobards ? En enlevant tes lunettes noires et en me regardant dans les yeux ?
Et c’est reparti ! Jamais ils ne s’arrêtent ?… La flotte non plus, à croire que tout ici est frappé du syndrome Duracell. La pluie seringue à tout-va, on n’y voit goutte.
Je laisse le dictaphone être témoin de la joute verbale pour aller me commander du pop-corn au comptoir.
— J’ai passé l’âge de jouer à ce genre de gamineries et mes lunettes ne sont pas noires, juste légèrement teintées. Faites un petit effort, vous distinguerez mon regard sans y découvrir aucune gêne. Pour en revenir à la question, je me contenterai d’une petite rectification à l’intention des lecteurs de monsieur K : Nosfe, miss Jade et moi ne formons pas une équipe à proprement parler, miss Jade étant intervenue une seule fois à nos côtés. Cependant, j’espère la revoir, c’est vrai.
— Ah ouais, tu deviens honnête, comme ça, sans prévenir ? Bravo, mais tu m’étonnes, ce n’est pas dans tes habitudes.
— Qu’est-ce que vous imaginez là ? Les connaissances occultes d’une médium comme miss Jade sont précieuses pour un enquêteur de ma catégorie, voilà tout.
— Bien sûr, bien sûr. Tiens, tant qu’on y est, tu permets que j’apporte ma précision, moi aussi ? Nosfe est le diminutif de “Nosferatutu”. L’adjoint de Harley se prend pour un vampire, il fait une fixation sur le personnage de Nosferatu, découvert dans une BD d’Olivier Peru, comme quoi, les mondes sont petits. Des gens pas ordinaires, Fred ? Ou plutôt carrément “chelou” ? Naaaann, je déconne. Nosfe est d’une gentillesse rare et ses potes de jeunesse l’ont surnommé Nosferatutu par dérision, tellement il correspond mal à ce que l’on attendrait d’une créature démoniaque. C’est un type bien, comme Harley, d’ailleurs, oui, oui, je le reconnais volontiers, même si on se prend la tête à un moment ou à un autre chaque fois que l’on se voit.
Ah, d’un coup, tout le monde il est formidable. Note pour la prochaine interview : tournée de pop-corn dès la première question.
— Harley, quand tu as raconté ton histoire à Patrick, tu te doutais qu’il allait à son tour la balancer à la face du monde ? Ça ne te gêne pas qu’il déballe ta vie ? Si tu lui as raconté d’autres aventures, je serais toi, je demanderais une part sur les droits. Des fois qu’il remette le couvert, autant que tu en profites un peu…
— En fait, c’est moi qui ai proposé à monsieur Mc Spare d’écrire un roman basé sur mon témoignage et je lui abandonnerai volontiers l’intégralité de ces droits. Le contraire serait déloyal, car je n’ai pas besoin de gagner d’argent. Voyez-vous, je souhaite me faire connaître du public francophone afin de multiplier les possibilités d’enquête juste pour le plaisir de l’aventure, encore une fois. Et cet éclairage cru sur ma vie ne me dérange pas du tout, même si certains détails me concernant ont été largement romancés pour les besoins du récit. Lectrices et lecteurs effectueront un tri judicieux, j’en suis sûr, entre la véracité de cette enquête et quelques inventions de monsieur Mc Spare.
— Et voilà, ça repart ! Harley, soyons sérieux. Tu ne peux pas à la fois déclarer que l’histoire relatée dans mon roman est authentique et prétendre que je raconte bobard sur bobard.
— Je n’ai pas dit cela.
— Si. Mais peu importe. J’en suis d’accord, celles et ceux qui me liront feront la part des choses. En ma faveur. Pour conclure, Fred, je tiens à dire que j’ai seulement modifié les noms des individus auxquels Harley, miss Jade et Nosfe se confrontèrent à Berlin. Par souci de discrétion, tu t’en doutes. Hormis cela, tout est vrai. Merci de nous avoir proposé cette interview et bonne lecture à toutes et à tous !
— Un grand merci, monsieur K. Et, vous tous, n’oubliez pas : si une puissance maléfique vous harcèle, n’hésitez pas à m’appeler au +1-760-555-2386. Je me déplace dans n’importe quelle région du monde et mes services ne vous coûteront quasiment rien. À bientôt et prenez soin de vous.
Ok, super, les mecs disent au revoir, comme ça, là, hop. Si j’avais d’autres questions, tintin, ils sont en train de me virer de ma propre interview ! Cela dit, c’est l’occasion rêvée de prendre la fille de l’air – une des hôtesses m’a filé son numéro dans l’avion. Sortir d’ici, retrouver le calme, le silence et plus si affinités.
Ou pas…
— D’habitude, je laisse le mot de la fin aux interviewés, mais là je crois qu’on a un problème. Jetez un œil dehors.
La pluie a cessé, on y voit un poil plus clair. Et question poils, le comité d’accueil est gâté. Tripotée de crocs et de griffes en prime. Le club des affreux jojos a radiné au grand complet : garous, vampires, zombies, démons, fomoré, Orcus Morrigan qu’on croyait disparu, et même une licorne. Celle-là, je me la réserve, je vais la fumer.
La vache, doit bien y avoir une cinquantaine de Streums de l’autre côté de la rue et autant de regards rivés sur notre tablée. Belliqueux, les regards. La horde veut en découdre et je ne parle pas d’échanger des astuces sur le point de croix.
— Ils n’ont pas l’air d’être venus me décerner un prix pour l’ensemble de mon œuvre.
— Ou, s’ils vous ont lu, ils n’apprécient guère vos affabulations à leur propos.
Je laisse les duettistes négocier la récupération de leurs flingues auprès de la barmaid et épuiser leur arsenal de vannes à deux balles pendant que le mien reste intact.
Moue dubitative de Harley devant mon “arme”. Mc Spare, lui, est sur le cul en reconnaissant l’objet.
— Pensez-vous vraiment de vraiment que les éblouir avec une lampe suffira, monsieur K ?
— Un sabre-laser ! Mais où tu l’as eu, Fred ?
— Au supermarché, c’est juste une lampe-torche.
Un partout pour les vannes pourries.
— Rassurez-vous, j’ai ça aussi.
Et hop, katana extirpé de la poche arrière de mon pantalon. Des années à suivre les enseignements du clan McLeod, maîtres en la matière, capables de camoufler une claymore dans un slip de bain. Mandrake et Garcimore peuvent aller se rhabiller.
Concert de c’est pas possible slash crédible slash réaliste.
— Les mecs, y a une licorne devant le bar, alors le réalisme, au point où en est… Vous n’avez pas idée de ce que je peux sortir de mon pantalon.
— Et on préfère ne pas savoir.
— J’approuve sans réserve monsieur Mc Spare.
Fini les clowneries, va falloir s’y mettre pour de bon. Patrick propose une stratégie à la Butch Cassidy et le Kid. La culture cinématographique de Harley étant ce qu’elle est, il ne pige rien à la référence. Une fois qu’il a capté, on se met d’accord pour présenter ce plan simpliste comme “une sortie en apothéose” si on s’en sort. Ça sonnera plus classe que “foncer dans le tas comme des bourrins”.
Encore faut-il qu’on s’en sorte…
Dernière vérification des armes.
Gonflés à bloc, on s’élance !
Au moment de franchir la porte, Mc Spare me balance entre deux cris de guerre :
— Ce coup-ci, tu feras gaffe à la petite marche.
La petite m…?
Je l’avais oubliée celle-làaaaaaaaaaahhhhhhhh…
Superbe interview – nouvelle. Trop drôle. Ça va la remis de la chute et du combat ?
Je m’en suis plutôt bien sorti. Des années de kendô… et des années à servir de mannequin d’entraînement à ma chère et tendre qui pratique l’aïkido. Les chutes, sur le papier comme IRL, je suis rodé. 😀