Le repaire dans la forêt

En 2022, Lego fête ses 90 ans en offrant à ses clients deux augmentations de tarifs et en ressortant contre espèces sonnantes et trébuchantes une paire de vieilles boîtes remises au goût du jour sous le label Icons. À savoir le vaisseau spatial Galaxy Explorer (1254 pièces, 100€, réf. 10497, reprise du 497 sorti en 1979) et le Château des Chevaliers du Lion (4514 pièces, 400€, réf. 10305, reprise du 6080 sorti en 1984). Quand je disais “une paire”, il fallait donc l’entendre au sens littéral de deux. L’art de marquer le coup, mais pas trop.
L’Explorer, que je n’ai jamais eu étant gamin, est assez ressemblant à l’original d’après les photos que j’ai vues passer. Par contre, le château, je l’ai eu, donc je peux comparer : le nouveau ressemble autant à l’ancien que Napoléon à Louise Michel.
Une troisième boîte sortie des temps jadis est venue jouer les trouble-fêtes : “Le repaire dans la forêt” (40567), aka Forest hideout, qui signifie la même chose en anglais.

Lego castle chateau jaune cachette dans la foret
La cachette en compagnie d’un château sans rapport avec les deux que je viens de citer.

Cette cachette de brigands est une boîte plus ou moins gratuite, dans le sens où elle était offerte mais sous réserve de commander pour 150€ de camelote sur le site Lego. D’abord proposé en juin, le set a été, au vu du nombre d’annonces de revente qui ont depuis fleuri sur eBay et consorts, vampirisé par les adeptes de la spéculation. Il a semble-t-il été boudé par les fans, au vu du même nombre pléthorique d’annonces sur eBay et consorts : s’il y en a toujours plein à vendre, c’est que personne n’en veut, de ce collector. En même temps, il est vendu autour de cinquante balles quand il en mérite à peine trente, ceci explique peut-être cela… Il est revenu en août pour la sortie du château-fort avec lequel il s’accorde à merveille.
J’ai acheté le château, j’ai eu la cachette. The end.

The end

Bon, je vais quand même un peu détailler. Vous aurez même deux reviews pour le prix d’une, parce que je suis dans un bon jour.
Ce set est un remake de la Forestmen’s Hideout (6054) sortie en 1988. La boîte de 2022 reprend le look vintage de sa grande sœur, avec en prime un logo 90 years of play, pertinent vu que la marque fête son 90e anniversaire, ainsi qu’une mention 18 years & up qui n’a quant à elle aucun sens. C’est du Lego, pas un porno, et si on peut bien imaginer que les deux personnages fournis dans la boîte se livrent à des turpitudes sexuelles endiablées au fin fond de leur cachette, ça me semble un peu capillotracté pour justifier le 18+. Cet âge ne correspond même pas au public cible qui appartient à la catégorie des quadras. Le set sent la nostalgie à plein tarin pour ceux qui ont joué aux petites briques dans les années 80-90, ma génération, celle qui a dans les quarante berges aujourd’hui. Calcul qui ne demande pas un doctorat en mathématiques mais que les marketeux de Lego ont foiré quand même…

Forestmen’s Hideout (6054)

Lego Castle System Forestmen hideout 6054

J’ai eu au cours de mes jeunes années la cachette old school, revendue depuis. Un bâtiment, deux bonshommes, deux arbres, une cible, un tonneau et deux malheureuses pièces d’or de butin figurées par deux pauvres briquettes jaunes (les “vraies” pièces d’or sont arrivées après, avec les pirates, il me semble), c’était bien suffisant pour s’amuser et imaginer des dizaines d’histoires à la Robin des Bois, vu que les costumes des figs étaient repompés de la version Disney…
Je n’ai jamais trop su à l’époque ni même encore maintenant si j’aimais cette boîte. Les deux gugusses et ce que je pouvais faire avec, ça oui. En général, ils se livraient au brigandage sur les chemins forestiers jusqu’à leur capture par les chevaliers de mes autres boîtes Moyen-Âge – ou Castle de leur nom officiel, mais moi je les appelais des “Lego Moyen-Âge” – et finissaient pendus aux remparts du château (le 6080) avec les espèces de lianes de leur cachette. Le bâtiment, quant à lui, j’étais plus circonspect et je le suis toujours. J’ignore encore de quoi il s’agit. Un reste de tour incendiée et noircie par les flammes, sur lequel la végétation aurait poussé ? Mais qui irait bâtir une tour en pleine forêt ? Et qui viendrait y foutre le feu ? Un arbre aux formes tarabiscotées que les hommes des bois auraient aménagé ? Mais pourquoi se compliquer la vie en y ajoutant des éléments en pierre alors qu’ils ont du bois à profusion tout autour ? Quelque chose, quelque part, n’avait pas de sens et me perturbait. Et je ne suis toujours pas plus avancé des décennies plus tard.
Autre élément qui me laissait perplexe, le sens du camouflage des forestiers. L’endroit est censé être une cachette. Avec un toit bleu, un drapeau rouge vif et deux blasons en façade. Top discret, il ne manque qu’une enseigne au néon.
Et puis la planque avait un gros défaut : on pouvait à peine faire tenir les bonshommes dedans en position fermée. L’un pouvait prendre place sur le balcon à peine plus grand qu’un chiotte… mais on pouvait quand même l’apercevoir de l’extérieur à travers les colonnades, donc pour le côté “cachette”, on repassera. L’autre, de mémoire, il me semble qu’on pouvait le tasser dans le creux du rez-de-chaussée, mais fallait prier pour qu’il ne soit pas claustrophobe.

Cachette des forestiers Moyen Âge

Donc à bien des égards, ce n’était pas le set de l’année en matière de conception et de crédibilité. Et pourtant ça marchait. Parce qu’à l’époque, Lego, c’était du jouet pour enfants, pas du produit de collection pour adultes. Et quand on est gamin, tout ça, on s’en fout un peu. Même pour moi qui pourtant tiltais sur certains points avec mon sens logique autistique, ça passait. On compensait ce qui clochait en bidouillant les constructions pour les améliorer, on imaginait que le jouet était une vraie cachette fonctionnelle, on faisait semblant. Bref, on jouait.
Donc à l’arrivée, je l’aimais plutôt bien, ce set, parce qu’il y avait moyen d’en faire quelque chose au-delà de ses petits défauts. Et aujourd’hui je l’aime bien surtout par nostalgie, à travers le souvenir de mes jeux d’enfant. L’objet lui-même ne me manque pas et si un jour je me lance dans la reconstitution de la collec’ Moyen Âge de mes vertes années – ce qui est déjà un peu le cas avec le château jaune –, ce n’est clairement pas par lui que je commencerai.

Lego Forest hideout Castle 40567

Forest hideout (40567)

Maintenant qu’en est-il de son héritière, la Forest hideout de 2022 ?
Comme au cinéma : un remake fidèle à l’original, adapté aux moyens techniques contemporains. Donc tout en petites briques et en arrondis au lieu des pièces moyennes et des angles saillants, pour un résultat plus détaillé, plus harmonieux, et qui en même temps m’évoque Shub-Niggurath à cause du look tentaculaire de cet arbre et des espèces de cornes noires sur lesquelles la végétation s’empale. Au final, c’est un peu la version médiévale de La cabane dans les bois.

Planque des brigands Lego Robin des Bois Moyen Âge

Fini la version forestière de Brokeback Mountain, le duo est désormais mixte avec un brigand et une brigande. Ce changement mis à part, on retrouve le contenu quasi complet de l’ancien set : un bâtiment qu’on peut ouvrir et refermer sur lui-même, le tonneau et ses deux piécettes, la cible, la lance accrochée sur le côté de l’édifice sans que ce positionnement ait le moindre sens, les oripeaux de la discrétion (boucliers en façade, toit bleu, bannière rouge), les bandits visibles quand ils sont planqués dans leur cachette repérable (non-sens au carré). En bonus, le fun de replonger dans ses souvenirs.
Mais.
Un seul sapin.
Grave ? Non. Mais irritant. Comme tout un tas de petites choses dans ce set. Et là, ça devient problématique. Parce que les défauts, quand on est gamin, on peut passer outre du moment qu’on s’amuse. Sauf que cette boîte s’adresse à des adultes. L’idée de la ressortir joue sur la nostalgie d’une génération née au siècle dernier, ceux qui comme moi ont vendu l’ancien modèle et se rabattent sur le nouveau, ceux qui l’ont encore et mettront les deux côte à côté, ceux qui ne l’ont jamais eu et compenseront avec celui-ci. La fragilité de la construction qui a une durée de vie de quatre secondes en termes de jouabilité la condamne à rester exposée sur une étagère. Pour jouer avec quoi, de toute façon, puisqu’à part un set médiéval tous les trente-six du mois, Lego ne propose plus de gamme Castle ? Nostalgie et exposition, le produit est clairement destiné aux collectionneurs. Des adultes. Des clients. Des râleurs (et c’est bien légitime de se plaindre au prix où on paye la camelote).

Cachette bandits de grands chemins Lego
Les maîtres du camouflage…

Que ce set ne propose rien de neuf et se contente d’être un remake, pourquoi pas ? Une réédition colle avec l’esprit anniversaire, le commémoratif, le regard tourné vers ce qui a été fait dans l’histoire de la marque. Quand l’ambiance est au souvenir, on n’attend pas de l’innovant. Encore que… Un petit quelque chose pour différencier les deux sets aurait apporté un supplément d’âme à cette nouvelle version qui n’en a aucune, faute de gamme dans laquelle s’inscrire. Entre un château qui n’a rien à voir avec l’original et une cachette qui n’apporte rien de plus à l’original, v’là le juste milieu…
Quid du reste, surtout ?
Sans blague, c’est ça le résultat de 90 ans de conception architecturale ? Ben on est content que Lego donne dans le jeu de construction plutôt que les vrais bâtiments. Le socle de l’édifice est à chier et tombe en morceaux tout le long de la construction et même après. Une fois terminée, faut poser la planque et ne plus JAMAIS y toucher. La faute aux plates round corner utilisées, deux de chaque côté, qui tiennent par l’opération du Saint Esprit pour celles situées sur l’extérieur du bâtiment déplié. Il aurait fallu mieux les fixer ou utiliser des pièces d’un seul tenant, ce ne sont pas les références en plates qui manquent, même avec des coins carrés (note pour les designers Lego : c’est pas obligé que tout soit arrondi, hein, faut vous détendre sur votre TOC de la courbe). Perso, je vais corriger ça en les remplaçant par deux baseplates vertes 8×16. Défaut facile à rectifier, certes, mais voilà on n’est pas là pour ça.

Plate Lego socle
Une des plates de la honte…

À la fragilité et à la jouabilité zéro s’ajoute une sensation de pingrerie. Un deuxième sapin n’aurait pas été de trop. Le grand sapin a disparu, seul élément en moins entre les deux versions. D’où la grande question : pourquoi ? J’entends bien que depuis la fin des années 80 la déforestation a progressé dans le monde mais elle ne concerne que les vrais arbres, pas ceux en plastique. Même un petit sapin, ça aurait été. Là, on a juste l’impression d’une économie de bout de chandelle pour gratter une pièce sur le reste. On sait bien que cette impression est fausse et que Lego n’est pas à une brique près, mais ça n’empêche qu’on a le sentiment de se faire enfler d’une pièce (et de la réponse à la question “pourquoi ?”).
Idem les personnages pourvus d’une lance et de deux épées… mais pas de bouclier hormis ceux accrochés à l’avant de l’édifice, dans lesquels il faudra donc taper (et défigurer la cachette) pour équiper les figurines. Qu’est-ce que ça coûtait de mettre deux boucliers de rab ? Même un seul, à la limite, si on considère que l’archer peut se débrouiller sans.
S’ajoute le greenwashing de la marque à clamer qu’elle s’efforce de réduire l’impact écologique de ses envois en supprimant les cerclages plastiques et en se contentant d’un seul morceau de scotch – la version adhésive de l’Unique – pour fermer les colis… sauf que j’ai reçu la cachette dans un envoi séparé du château. Donc deux livraisons, deux cartons, deux bouts de scotch, deux étiquettes, deux fois des brumes d’essence de transporteur dans ma rue. Et, pour couronner le tout, un manuel d’instruction qui pourrait être réduit de moitié, voire des trois quarts, si les designers ne s’obstinaient pas à n’ajouter que deux ou trois briques à chaque étape de construction et en plus sur des pages occupées à moitié par du fond vide. Un effort là-dessus serait bienvenu, la papeterie n’étant pas du tout une industrie propre.

Manuel instructions montage Lego Forest hideout
Deux pages avec beaucoup de vide, tout ça pour trois pièces.

Alors la séquence souvenir, c’était sympa. Le set est dans l’ensemble sympa aussi, mais malheureusement torpillé par sa base plus fragile que le cristal, un défaut qui laisse un goût de boîte torchée sur un coin de table, sortie histoire de sortir quelque chose, celle-là, une autre, n’importe, on s’en fout du moment que les AFOL raquent un panier d’achat à 150 balles pour l’obtenir.
Deux plates 6×12.
C’est ce qu’il aurait fallu pour que ce set commémoratif tienne la route et fasse plaisir. Le reste, y avait moyen de passer outre, mais pas un défaut conceptuel de cette taille. Là, le “cadeau” laisse mi-figue mi-raisin et écorne encore un peu plus l’image de Lego à mes yeux. Un set “oui mais”, dommage.
Deux pauvres plates.
Comme quoi, on est peu de choses.

Forêt arbres Lego Forest Hideout
J’ai peut-être eu la main un peu lourde sur le sapin…

3 réflexions sur « Le repaire dans la forêt »

  1. Bonjour,
    J’adore vos commentaires, pertinents et plein taquineries. Nous devons être de la même génération et être sensible aux souvenirs que ces réédition évoquent en nous. Lego a développé une variété inouïs de couleurs et se formes de briques mai mégote sur un sapin et un bouckier. Il se gave sur les prix alors qu’ils seront bientôt centenaire. J’ai gardé mes  » sets moyens âges  » pour la fille mais évidemment les enfants n’ont pas ce soucis du détail. Si Lego percevait qu’il seront les adultes de demain et que la nostalgie s’évanouira peut-être entre deux générations ils seraient moins mesquins et s’inquièterair davantage de la concurrence chinoise…

  2. @Ypsandre : Lego s’occupe surtout des adultes d’aujourd’hui, vu le type de sets qui sortent et vu les tarifs. Clairement, les enfants sont de plus en plus laissés de côté. C’est pas comme ça qu’ils vont en faire les nostalgiques de demain. Et les nostalgiques d’aujourd’hui qui constituent le gros de la clientèle, ben on n’est pas éternels. Donc à terme, le renouvellement de la clientèle va poser problème. Surtout en prime avec la concurrence d’autres marques, qu’elles soient chinoises, polonaises (Cobi), américaines (Mega Bloks) ou autres.

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