Au menu, un gros morceau de “littérature de gonzesses” pour reprendre une expression que l’on doit à Orcus Morrigan dans Les anges ont la mort aux trousses (p.89).
Miss Felicity Atcock a droit elle aussi à la totale (et si tu as pensé au film de Claude Zidi, tu as perdu, c’est celui de Fred Coppula que j’avais en tête). Pondre pour chaque tome une chronique complète ne rimerait à rien. Les éléments communs entraîneraient trop de redites, aucun intérêt de rejouer l’attaque des clones. Donc même traitement que la Série B de Stan Kurtz/Marc Falvo, avec un tir groupé de mini-critiques suivi d’une vue d’ensemble de la série.
Felicity Atcock
Tomes 2 à 6
Sophie Jomain
Rebelle / J’ai lu
Tome 1 – Les anges mordent aussi (je sais, c’est marqué tomes 2 à 6 dans le titre, ben j’ai menti, y a le 1 aussi)
Jacques a dit de ne pas se répéter, je me tais pendant que tu fais un détour là.
Tome 2 – Les anges ont la dent dure
La première moitié du roman part dans tous les sens avec un cœur d’intrigue reporté au mercredi suivant, qui tarde à arriver. En attendant, une suite de saynètes en mode Martine : Felicity chez la coiffeuse, Felicity en boîte de nuit, Felicity part en pique-nique, Felicity sur une scène de crime, Felicity trouve un poulet cloué à sa porte. On sent que l’auteur pose pas mal de choses pour la suite, mais c’est tout pêle-mêle et chaotique, délayé par les multiples jeux de chat et de souris entre les personnages. Plus quelques passages hors sujet comme la visite de la tata et Felicity avec un vampire sur les bras… Le démarrage tardif entraîne une résolution trop rapide, les sorcières présentées sont intéressantes mais trop vite expédiées et pas assez exploitées. Dommage parce qu’il y avait largement de quoi nourrir l’ensemble du roman avec.
Ce roman aurait pu être raté. Sur le plan de la construction narrative, à mon sens, il l’est. Mais comme je disais à propos de Roadmaster, un bouquin peut se planter et quand même réussir son coup. Les anges ont la dent dure est sauvé par son dynamisme d’ensemble et les notes d’humour abondantes. Je me suis bidonné un nombre incalculable de fois, donc lecture agréable. Surtout, il construit les personnages principaux de la série (Felicity, Terrence et Stan) en apportant des éléments de background majeurs. Et dans une série, les personnages, c’est le plus important, vu qu’ils sont “un peu” le dénominateur commun entre les volumes.
Tome 3 – Les anges sont de mauvais poil
Festival du métamorphe avec du loup-garou, du lycan, du changeling !
Petite évolution du côté de Felicity elle-même, qui a une brioche au four. Gérer une grossesse au milieu du souk causé par une tripotée de créatures surnaturelles n’a rien d’une partie de plaisir et donne lieu à des scènes très marrantes (le passage cartoonesque chez le gynéco est épique !).
Après, niveau défauts, on ne sait pas du tout où on va. Il n’y a pas d’idée maîtresse qui ressorte, d’intrigue clairement posée. Une suite de scènes avec des personnages qui tournent autour de Felicity en roulant des mécaniques et en se faisant les gros yeux. Entre deux, la miss se douche et grignote des casse-croûte.
Comme le tome précédent, j’en suis ressorti avec la banane, parce qu’il y a plein de phrases rigolotes… tout en levant les yeux au ciel, comme ils font souvent dans le bouquin. Partagé entre les bonnes idées qui développent l’univers et certaines scènes étirées en longueur au point de ne lire qu’une ligne sur deux.
Et si ça n’avait pas été Sophie, j’aurais arrêté la série ici. Parce que l’épilogue s’achève sur un cliffhanger. J’abomine cette méthode qui te force la main pour acheter le tome suivant. Un début, un milieu, une fin. Et l’épilogue qui fracasse, ben on le garde pour le tome suivant où il fera office de prologue (et où il fracassera comme incident déclencheur). Quand un bouquin est bon, le lecteur achète le suivant sans avoir besoin de le harponner avec ce qu’il faut bien appeler une facilité d’écriture. Les cliffhangers, c’est le mal, comme croiser les effluves ou nourrir un mogwaï après minuit.
Tome 3.89 – Les anges ont la mort aux trousses
Crossover avec Orcus Morrigan (Manhattan Carnage) et Maxime Gillio. Pas tout à fait un volume trois et demi, puisqu’il se place juste avant l’épilogue de Les anges sont de mauvais poil. Chronique ici (les Moulineaux).
Tome 4 – Les anges sont sans merci (malpolis, va)
Dans les plus, on sent une amélioration dans la construction narrative de Jomain : une intrigue, avec un incident déclencheur et une série de péripéties. Dans les moins, l’histoire est entrecoupée de pas mal de longueurs qui donnent à l’ensemble un rythme en dents de scie. Re dans les plus, l’univers s’étoffe avec les fées, esquissées dans le tome précédent. Ici, on parle de vraies fées (enfin, vraies, façon de parler pour des créatures imaginaires), inspirées non pas de Disney mais du folklore et de son petit peuple vicelard.
Vu les circonstances, l’ambiance devient plus sombre. Un plus aussi, selon moi. La rigolade, c’est… rigolo (fêtons ensemble la journée mondiale du scoop), mais de temps en temps, quelques nuages ne font pas de mal. Ils permettent d’aller plus en profondeur dans les personnages et de tisser une ambiance qui “prend à la gorge”, comme on dit sur la planète des lieux communs, où les ambiances ont des petites mains glacées pour étrangler les lecteurs…
Tome 5 – Les anges battent la campagne
Je pourrais copier-coller ce que je viens de dire du tome 4. Faudrait juste remplacer la confrontation avec les fées par la visite de l’enfer. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Si mon avis global est identique quant aux éléments plus/moins, les deux volumes proposent chacun un contenu propre. Ici, c’est une journée en enfer, la jomaine comédie (l’art de caser Bruce Willis et Dante Alighieri dans la même phrase).
Tome 6 – Les anges voient rouge
This is the end, comme dit la chanson.
Une bonne clôture et pas seulement parce que je suis cité dans les remerciements. Déjà, parce qu’il y a Orcus Morrigan que j’adore. Remballez vos #TeamTerrence et #TeamStan, la #Team Orcus balaye tout. Ensuite, parce que Jomain a su s’arrêter avant de radoter et de torpiller sa série en pondant le volume de trop. Enfin, parce qu’elle a su lui donner une fin potable. Eh oui, suffit pas d’annoncer “hop, dernier tome, au revoir”, encore faut-il que les toutes dernières pages tiennent la route. Combien de séries ont déçu leur lectorat avec un final moisi ?… Celle-ci laisse une porte ouverte (qu’il serait à mon sens peu judicieux d’emprunter), mais il s’agit d’une vraie fin, qui boucle l’ensemble et le boucle bien.
Pour ma part, pas de pincement au cœur de quitter les personnages que j’avais tous envie d’assassiner dès le tome 2 (cf. la vue d’ensemble ci-dessous). Mais cet univers de fantasy contemporaine, bâti tome après tome, va me manquer. Il était chouette à découvrir et visiter.
Felicity Atcock – Vue d’ensemble
Au final, une série reposante, qui ne t’embrouillera pas les neurones avec du message mindfuck ou de la grande réflexion philosophique sur le monde, la vie, l’humain. Une série à l’image de son héroïne, légère et acidulée (l’adjectif passe-partout, tu mets ce que tu veux derrière).
Du pur divertissement.
Qui remplit son contrat.
Sans se foutre de ta gueule.
(Je te rassure, la suite ne sera pas tout en haïku de mirliton.)
On attache (trop) souvent au divertissement une connotation péjorative. La faute à une grosse partie de cette littérature écrite avec les pieds par des auteurs unijambistes voire culs-de-jatte. Ici, pas de lourdeur scolaire au kilomètre, il y a un vrai boulot d’écriture, un univers travaillé, une plume dynamique.
Le ton humoristique fonctionne sans donner l’impression de forcer ni de se tromper de démarche. Certains plaquent de l’humour parce que c’est vendeur, Jomain en met parce que ça fait rire.
Quant aux situations plus tendues, pareil, la mère Jomain n’en balance pas des caisses. Le suspens n’implique pas de sortir les timbales et les cors de chasse, pour souligner à coups de tintintin tintintin qu’il va se passer quelque chose d’important au chapitre suivant.
L’auteur/e/teuse/trice/tesse/autre (précisez, vous avez quatre heures, l’usage de la calculatrice est interdit) assure le taf et respecte le pacte avec les lecteurs/es/teuses/etc. qui sont là pour lire des livres, pas des rédactions de sixième.
Après, tout n’est pas parfait. La série pèche surtout au niveau des intrigues et de la façon de les mener. Les histoires n’avancent pas bien vite, avec beaucoup de digressions et de bavardages. Le propos aurait gagné à se resserrer, des coupes dans les dialogues, atermoiements, douches et casse-croûte n’auraient pas été de trop. Chaque tome tiendrait sur la moitié de pages, on n’y perdrait rien.
Certains éléments m’ont hérissé le poil, sans qu’on puisse parler de défauts d’écriture. ici, on se situe au niveau de la réception subjective, ça n’engage donc que moi en tant que lecteur. Je le savais en m’aventurant dans la série. J’avais acheté le premier tome lors d’une dédicace, mâ’âm Jomain m’avait prévenu : “c’est girly”, je cite. Un bouquin chez J’ai Lu Pour Elle (intitulé à peine sexiste, soit dit en passant…), je me doutais bien que tout ne me parlerait pas. Genre ou sexe, dans la tête ou le froc, pas de doute, je suis un lui. Donc pas le public-cible. Et au-delà du critère monsieur-madame, il y a toujours des choses auxquelles on n’accroche pas, question de goûts et d’attentes en matière de lecture.
Pour le coup, les personnages, j’ai eu du mal avec la plupart d’entre eux. Sans doute le côté casting sorti tout droit d’une série américaine croisée avec un magazine de mode. Tout le monde il est beau et bien proportionné, conforme au canon à huit têtes. Mention spéciale aux personnages masculins, festival de torses musclés, de mâchoires carrées et de gros braquemarts membres vigoureux. Trop dans le cliché du bad boy humanisé par un lourd et sombre passé secret et tragique (soldes sur les épithètes ! -70% !). Très paternalistes, très protecteurs, très machos. Moi, les preux chevaliers faussement méchants, sourire Colgate en bandoulière, qui se comportent comme dans les films des années 80 (reste dans la voiture, cocotte, laisse faire les grands), je ne peux plus les encadrer depuis un bail. Au XXIe siècle, il serait temps de lever le pied sur le fantasme du mâle alpha. La fiction le survalorise comme idéal masculin alors que dans la vraie vie, c’est un parfait trou du cul, égoïste, dominateur et violent.
Le côté demoiselle en détresse de Felicity Atcock ne m’a pas gêné outre mesure. Avant d’entamer la série, je l’imaginais un peu plus Lara Croft et un moins dépendante de ses protecteurs défoncés à la testostérone. En même temps, elle fait face à des créatures qui peuvent la pulvériser rien qu’en lâchant une caisse, n’importe quel humain serait en détresse.
Enfin, il y a les réactions WTF. Les personnages possèdent une faculté peu commune à partir dans l’incongru, à élever l’inconstance et la superficialité au rang d’arts majeurs. Quand quelqu’un te raconte qu’il s’est retrouvé en enfer devant Satan, mille questions viennent. Comment tu es arrivé là ? comment tu en es reparti ? est-ce que tu es en seul morceau ? qu’est-ce qu’il te voulait ? et ainsi de suite, je ne vais pas lister les mille, comme disait Verhaeren à propos de Zola. “Est-ce qu’il est beau ?” ne me semble pas une interrogation pertinente et surtout pas dans le haut de la liste. Ni le sujet ni le moment. J’imagine IRL : au fait, le chirurgien qui t’a amputé la jambe par erreur, il était canon ?…
Même chose pour les réactions épidermiques de protagonistes âgés de plusieurs siècles. Ils ne sont pas pressés par le temps qui joue pour eux mais affichent la maturité de gamins de dix ans qui veulent leur Playmobil là tout de suite, sinon caprice en se roulant par terre.
De fait, comme la série repose plus sur ses personnages que sur les histoires qu’elle raconte, pas mal de choses me sont passées au-dessus.
L’univers, j’ai bien accroché. Le mélange des créatures qu’on croise dans les trois quarts de la fantasy contemporaine, je pratique depuis un bail. Les jeux de rôle de mes vertes années… la gamme World of Darkness de White Wolf dans les années 90, qui mélangeait vampires, garous, mages, démons, changelins… pompée à l’envi par une chiée d’auteurs (sic) anglo-saxons, eux-mêmes vampirisés par un paquet d’écrivains (sic bis) francophones. Plus récent, sur la thématique anges/démons, j’ai eu l’occasion de pleurer du sang sur de mauvais clones papier de Supernatural. Piocher des idées à droite à gauche et tout balancer en vrac sur papier n’a rien à voir avec l’écriture et le travail d’auteur. Rien que de la kleptomanie de branlotin… En me lançant dans les aventures de Felicity, je craignais une énième hémorragie oculaire. Mais non, mes z’œils sont intacts.
Sans révolutionner le genre, Felicity Atcock un propose un univers classique dans ses grandes lignes mais singulier dans les petits détails maison. Si on croise des références issues de la pop-culture, des emprunts au folklore et un bestiaire déjà surexploité par la fantasy contemporaire, le monde de Felicity ne s’y cantonne pas. Sophie Jomain va au-delà du patchwork pour bâtir son propre décor. Un travail de réappropriation et d’invention pour livrer sa vision, avec de la touche personnelle dedans. Pour prendre l’exemple des vampires, ceux de Jomain tiennent la route parce qu’ils respectent la figure vampirique et ses codes. Dans le même temps, ce sont ses vampires, les siens à elle, avec une identité qui les différencie d’un Dracula (Bram Stoker), d’un Lestat (Anne Rice) ou d’un Damian (Morgane Caussarieu) – eux-mêmes très différents les uns des autres. Et ça vaut pour les anges, les démons, les sorcières, les loups-garous, les fées, qui ont tous des racines classiques ET le petit truc en plus made in Jomania. Un effort d’imagination pour apporter quelque chose à soi, c’est comme ça qu’on écrit de la fantasy. Et Sophie écrit de la fantasy.
Au final, une série sympathique, pas le genre de lecture dont je ferais mon ordinaire – en fantasy contemporaine, je suis plutôt porté sur des titres comme Âmes de Verre – mais je ne regrette pas d’avoir passé du temps dessus. Parce que Jomain livre un vrai travail d’auteur, là où d’autres se bornent à enfiler n’importe comment des clichés glanés chez d’autres (le combo compte triple du foutage de gueule et de la paresse d’écriture).
(Toutes les illustrations de cette chronique sont des créations Un K à part. Elles n’engagent que la responsabilité de bibi, de sa caboche en folie et de son incroyable talent pour le dessin. Toute ressemblance avec des personnages ou événements réels ou imaginaires n’a rien d’une coïncidence, sinon j’aurais mis des photos random sans le moindre rapport avec le contenu de l’article.)