Été pourri à Melun Plage
Nicolas Duplessier
L’Atelier Mosésu
Je me méfie toujours des premiers romans. Entre les éditeurs qui sortent tout et n’importe quoi et les auteurs lancés dans une course à la publication à tout prix et à toute vitesse,[1] le festival des bronzes ne manque pas de matière. Et chacun de se justifier que “c’est un premier roman”, donc s’il est bancal, rien de plus normal.
Je pourrais me lancer dans une longue démonstration comme quoi cet argument vaut peau de zob. Parce que je suis une grosse feignasse, je me contenterais d’un contre-exemple imparable :
Ceci posé, quid d’Eté pourri à Melun Plage ?
Un bon roman, une bonne surprise.
“Malgré mon job de misère, je suis installé dans une routine presque confortable qui me rassure sur la stabilité des choses. Une vie sans but et sans rêves. Comme beaucoup, j’ai perdu la capacité de rêver.”
Un bouquin bien de son temps, plein de pluie, de grisaille, de précarité, de morosité… A notre époque formidable, les auteurs de noir n’ont pas besoin de forcer le trait pour dépeindre un monde de merde. Suffit d’allumer le JT pour te plonger dans l’ambiance de Melun Plage. T’es tout de suite dedans.
Florian aussi est dedans, et jusqu’au cou. Ni super-flic ni super-héros, juste super normal. Et super casse-gueule, mine de rien, parce que le type lambda catapulté dans les emmerdes est un archétype narratif, un classique utilisé 272546 fois en littérature ou au cinéma – j’ai recompté. Pas évident de sortir du lot, donc.
A l’arrivée, le personnage de Florian fonctionne très bien. Résumé en un mot : humain. Il peut faire preuve de courage comme de lâcheté, prendre la situation en main ou la voir lui échapper, se retrouver en difficulté ou en position de force, passer de la fulgurance géniale à la décision débile… Comme dans la vraie vie.
Pour moi, il est là le gros intérêt d’Eté pourri à Melun Plage. Un type normal qui fait ce qu’il peut. Loin des anti-héros foireux jusqu’à la caricature… loin des gus soi-disant inoffensifs mais qui sont en réalité d’anciens commandos invincibles. Comme disait le roi Arthur, “c’est ça le truc, ça a l’air vrai”.
[……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………] (Espace d’expression libre où le lecteur glissera la transition de son choix. Vous avez 4 heures. L’usage de la calculatrice est interdit.)
Eté pourri se démarque de nombre de premiers romans par une bonne qualité d’écriture.
Point de brouettes d’adverbes en -ment, de phrases-fleuves alambiquées, de dialogues scolaires qui convoquent à tour de bras les dit-il, répondit-elle et autre demanda Machin.
Phrases courtes, percutantes, efficaces. Une bonne dose d’humour acide, mordant, grinçant, cynique ou caustique, au choix (tu peux entourer plusieurs réponses). Bref, un style tonique, la marque de fabrique du roman noir.
Si je devais formuler une critique… et je ne vois pas pourquoi je pars dans de l’hypothétique, puisque je vais, de toute façon, la formuler… Une critique, donc, sur deux influences très perceptibles, Colize et Tarantino. Y a pire, vous me direz.[2]
Attention, je parle d’influence, pas d’une allègre repompe sur le voisin. Des petites choses “qui font penser à”, des phrases, des scènes qui ne dépareilleraient pas chez l’un ou l’autre. Alors c’est délicat, parce qu’un auteur est toujours influencé par ses lectures passées. L’écrivain vierge n’existe pas, on trouve toujours en farfouillant la marque de Machin ou Trucmuche.
Pour le coup, l’argument “premier roman” tient la route. Se détacher de ses maîtres à penser demande du temps de maturation et de la pratique. Dans le prochain, qui sait ?…
Je note le nom de Duplessier dans ma liste d’auteurs à suivre de près. Autant dire que j’ai déjà quelques attentes placées dans son prochain bouquin, qui n’aura de facto plus l’excuse d’être une première œuvre.
Mon petit Nicolas, Sempé dixit, te voilà guetté au tournant. Sans vouloir te mettre la pression, hein…
(Ce roman a été récompensé par un K d’Or.)
[1]. J’ai un stock de “à” qui arrive à la date de péremption. Si intéressé, voir mon annonce sur Jacquie et Michel Contact eBay.
[2]. Même si le second ne pond que de la daube depuis une quinzaine d’années, il quand même accouché de bons films à ses débuts.