Les savants de fiction, c’est toujours quelque chose ! Laboratoires de bric et de broc riches en éprouvettes au contenu vert-jaune fumant, thèmes improbables de recherches, expériences dont la propension à foirer dépasse les 100% et bien sûr le choix crétin de toujours tester sa machine ou son produit sur soi-même.
Quant aux savants pas de fiction, bah pareil. On parle de gens qui cherchaient à changer le plomb en or ou qui ont inventé la bombe atomique. Pas les plus malins du lot…
La machine
René Belletto
J’ai Lu
Variation sur le thème du double maléfique, La machine met en scène Marc Lacroix, toubib, et Michel Zito, tueur en série. Suite à une expérience du bon docteur qui a mal tourné, leurs esprits se retrouvent interchangés. On a donc plus ou moins L’étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde avec deux personnes au lieu d’une et des situations assez proches du film Volte-Face de John Woo qui sortira quelques années plus tard (1990 pour le bouquin, 1997 pour les fantaisies entre Nicolas Cage et John Travolta).
Sur sa base de SF, le roman ne développe rien de nouveau sous le soleil du thriller horrifique, entre une histoire classique, des personnages classiques, des péripéties classiques, un style classique. Ça fonctionne sur le moment, c’est oubliable ensuite. On en dira autant du film qui en a été tiré avec Gérard “Sac à merde” Depardieu et Didier Bourdon : je l’ai vu, je n’en garde aucun souvenir.
Les alchimistes au Moyen Âge
Serge Hutin
Hachette
Cet ouvrage général sorti en 1995 est une réédition d’une première mouture de 1977, laquelle reprend en bonne partie un quatre mains avec Michel Caron daté de 1959. Et daté, c’est le mot. Hutin a eu de bons jours à ses débuts, avant de s’embarquer dans des directions improbables, pas toujours très scientifiques ni très académiques, ce qui ne serait pas un problème s’il n’avait pas pondu des ouvrages se réclamant comme très sérieux alors qu’ils en sont loin. Le combo alchimie, ésotérisme, rose-croix, franc-maçonnerie a fait perdre la tête à plus d’un. C’est le cas de Hutin qui finit par verser dans le complotisme (Gouvernants invisibles et sociétés secrètes) et la magie (Techniques de l’envoûtement, tout un programme…).
Bref, ce titre offre une approche généraliste du sujet des alchimistes médiévaux à travers leurs recherches, leurs pratiques, leur spiritualité, leur labo, leur place dans la société, leurs rapports avec les grands de ce monde et avec l’Église. Ça fera le taf pour de la vulgarisation à grands traits ou comme inspiration pour des personnages et scénarios de jeu de rôle ou autre fiction avec de la fantasy dedans. Sinon, pour une approche historique pointue, on préférera les travaux de Didier Kahn sur le sujet, plus récents, plus précis et avec la tête sur les épaules.
Forgerons et alchimistes
Mircea Eliade
Champs Flammarion
Sujet voisin du titre précédent mais d’une autre tenue, attention !
Eliade s’intéresse au cas des alchimistes et des forgerons à travers leur rôle de transformateurs de la matière et de purificateurs, via la transmutation des métaux vils en métaux nobles chez les uns et, chez les autres, la fonte de minerai qui ne paye pas de mine pour en faire des beaux objets rutilants. Avec autour de ça toute une dimension élémentaire liée en premier lieu à la terre et au feu et dans une moindre mesure à l’eau et à l’air. Plus comme toujours chez Eliade une dimension mystique.
Ouvrage érudit fourmillant de références à toutes les époques et cultures du monde – là encore un classique d’Eliade –, il a aussi les défauts de ses qualités et des visions du bonhomme. L’universalité et l’intemporalité des mytjes qu’Eliade cherche à tout crin à voir dans chacun des concepts qu’il défend atteint aussi ses limites. Tout à son abstraction, il en oublie aussi – ou plutôt il évacue la question, pourtant centrale – que la forge est une discipline bien plus ancrée dans le concret que l’alchimie qui, elle, est davantage marquée par la quête spirituelle. Le forgeron lambda n’est le plus souvent qu’un simple artisan, tant dans sa tête qu’aux yeux des autres, pas un genre de chaman métalleux maîtrisant les arcanes du fer et du feu (la quête de l’acier, c’est dans Conan et c’est de la fiction). Dans le même élan, il donne à l’alchimie une stature bien plus ésotérique que ce qu’elle a eue en la déconnectant pour ainsi dire d’une chimie avant l’heure.
Mais en tout état de cause, ce bouquin reste très intéressant à lire, stimulant aussi bien quand il a raison que quand il a tort. Si les travaux d’Eliade sont aujourd’hui très critiqués pour leurs approches pas toujours très historiques, il n’en reste pas moins qu’il a défriché le terrain des études comparées et que c’est grâce à ses erreurs que la recherche a pu s’affiner.
L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Monsieur Hyde
Robert Louis Stevenson
Classique entre les classiques mais toujours aussi efficace, ce très court roman démontre qu’il n’y a pas besoin de se lancer des trilogies de fantasy à 500 pages le volume ou des thrillers de 700 pages pour accoucher d’une œuvre majeure de la littérature. Efficace et sans bavardage. Exit les intrigues secondaires de remplissage et la galerie de 3000 personnages hauts en couleur pour le plaisir de la description.
Un toubib, Henry Jekyll, décide d’éliminer la part d’ombre en lui en scindant sa personnalité en deux : le gentil docteur et le vilain Hyde. Sauf que ce dernier va prendre les commandes et faire partir la situation en vrille totale.
Récit d’épouvante parfait au plan narratif, reflet de son temps et des carcans étouffants de la société victorienne et du christianisme, obsédées l’une et l’autre par la chasse au vice. C’est Hulk avant l’heure et en noir et blanc !
Bonus !
Des savants et des gars qui expérimentent des trucs sur la base de théories WTF, on en trouve aussi plein chez Lovecraft, certains cintrés dès le départ, d’autres sur le tard après avoir fait mumuse avec des machins indicibles et des bidules non-euclidiens. Je vous renvoie à ma chronique d’Herbert West, réanimateur, qui sans être le meilleur récit du lot est en tout cas le plus connu, entre autres grâce à son adaptation ciné sous le titre Re-Animator.