Grande résolution pour 2018 : repartir sur des bases sérieuses. Terminé les blagues pouet-pouet et l’humour à deux francs !
Bienvenue sur la nouvelle mouture d’Un K à part, le temple de la gravité et de la raison.
Pour la première chronique de l’année, fort de cette résolution qui a tenu vingt secondes, mon choix s’est porté sur des sujets qui ne prêtent pas à la rigolade : les tueurs en série et la nécrophilie.
L’occasion de revenir sur la défunte collection Post Mortem de l’Atelier Mosésu, à travers Autopsie du tueur en série et Le saccage de la chair de Bérangère Soustre de Condat-Rabourdin.
Ça faisait un moment que je voulais me lancer dans l’analyse d’une collection intégrale. Flemme oblige – la mienne de taper 12000 mots, la tienne de les lire – j’ai procrastiné. Jusqu’au jour où paf ! le chien révélation. Collection complète ne signifie pas liste de titres longue comme un jour sans pain : la taille compte.
J’ai cherché un éditeur qui en avait une petite et Post Mortem s’est imposé comme une évidence. Deux titres ? Banco ! Présents dans ma bibliothèque ? Bingo ! En plus je les ai lus, ça peut aider pour en parler. Tout baigne, comme dirait Edward Smith (1850-1912).
Voici comment l’éditeur présentait le projet début 2013 : “Avec Bérangère Soustre de Condat-Rabourdin, une criminologue et anthropologue judiciaire, je sors la collection Post Mortem. 3 numéros par an plus un hors série au moment des fêtes de fin d’année sur un tueur en série en particulier. C’est de la vulgarisation scientifique et pas du tout de la fiction. On va s’amuser à démonter ce que l’on voit dans Les Experts ou NCIS, des séries de ce genre qui montrent beaucoup de choses fausses.” (Source : Les chroniques de Mandor)
En juin de la même année sortait Autopsie du tueur en série, en novembre Le saccage de la chair, puis plus rien. Les deux volumes ont même très vite disparu des librairies – retirés des ventes, il me semble – comme si cette collection n’avait été qu’un rêve avec du soufre, du sapin et de la flûte dedans. (Source : potins de salons)
Pour aller plus haut, aller plus haut, où l’on oublie ses souvenirs (source : Tina Arena), casons un paradoxe et penchons-nous sur les deux bouquins parus.
Si je devais les résumer en une phrase : le premier est bourré de défauts, le second est intéressant, le tout passe à côté de l’objectif.
Dommage, parce que l’idée de base avait de quoi séduire, davantage que mes charades en tout cas. Aujourd’hui, tout le monde a au moins une vague idée des procédures forensiques. Le sujet est porteur (cf. le nombre de films, séries, bouquins qui en parlent) et le public réceptif (en partie parce que noyé par le flot de ces mêmes films, séries, bouquins, mais l’orientation de la culture de masse relève d’un autre débat). Partir de la vision fantasmée des séries télé pour apporter une vision scientifique, j’ai signé tout de suite et acheté les deux tomes.
Bon ensuite, entre l’achat et la lecture, j’ai assisté à une conférence de l’auteur et commencé à me poser des questions. Elle semblait oublier dans son approche que les séries relèvent de la fiction et du divertissement, pas de l’émission éducative ni du documentaire made in CNRS. Licence poétique, tout ça, tout ça…
Au final, même si la lecture n’a pas été à la hauteur de mes attentes, ces deux bouquins forment une sacrée paire de collectors dans leur genre.
Autopsie du tueur en série
Autopsie du tueur en série s’attache à dresser un portrait des tueurs en série. Vu le titre, tu t’en doutais un peu, ben je te confirme. Il a le mérite de balayer beaucoup d’aspects et de contenir des tonnes d’infos… pour celles et ceux qui découvrent le sujet.
Un lecteur avec les notions de base sur le sujet n’apprendra pas grand-chose, un spectateur assidu d’Esprits criminels rien du tout. Autant dire que l’aspect “remise en cause” de l’image du tueur sériel véhiculée par la télé ou le cinéma fait long feu, évacué rapidos en intro (sans mentionner une seule fois Esprits criminels, justement, alors qu’il s’agissait à l’époque de LA série incontournable sur le sujet). Donc pshit, ce bouquin ne m’a rien apporté. Après, je connais le sujet, pas étonnant qu’un ouvrage généraliste me laisse de marbre. Un néophyte trouvera quant à lui de quoi se mettre sous la dent, c’est le principe d’un livre de vulgarisation et sur ce plan, le bouquin colle au projet de la collection, au moins pour la partie “présentation scientifique du sujet”.
Par contre, faudra s’accrocher aux branches. La structure du propos est à revoir, un vrai souk. Les chapitres partent dans tous les sens sans qu’il y ait toujours de lien entre eux, quand ce ne sont pas les sous-chapitres qui sautent du coq à l’âne. Qui dit structure anarchique dit déséquilibre, et c’est ainsi qu’on se retrouve avec des généralités sabrées face à des points de détail gonflés aux stéroïdes (40 pages pour tout ce qui touche aux définitions, typologies et classifications des tueurs en série contre 50 pages pour la seule nécrophilie, le dada de BSdCR). Le tout numéroté à la thésarde, sans table des matières pour s’y retrouver, et je peux te dire que quand tu arrives à des sous-sous-sous chapitres n°7.1.2.2, tu as perdu le grand public en route, noyé dans les méandres du fleuve Imbitable (que tu ne trouveras sur aucune carte).
Un premier tome enfenouillé, déséquilibré, riche dans son ensemble mais trop dans le survol pour les bases. Si tu l’as raté à sa sortie, pas d’inquiétude, tu peux avoir une vue d’ensemble analogue en parcourant une quinzaine d’articles sur Wikipédia.
Le saccage de la chair, Crime et perversions (1849-1901)
Pour son deuxième opus, Bérangère Soustre de Condat-Rabourdin t’emmène goûter aux joies de la nécrophilie en compagnies de trois gonziers de la seconde moitié du XIXe siècle : le sergent Bertrand, Victor Ardisson et Joseph Vacher.
Le sujet et ses bornes laissent perplexe : pour une collection dite de vulgarisation, le bousin s’aventure dans le pointu.
Ceci posé, les ouvrages grand public sur la nécropholie n’abondent pas (peut-être parce que le thème n’a rien de grand public ?…). Le trio retenu change des éternels tueurs en série américains ou, pour la période concernée, de l’envahissant Jack l’Eventreur. Ma foi, pourquoi pas ? Pour paraphraser les célèbres tontons, quand on a éclusé le tout-venant, on se risque sur le bizarre.
Plus intéressant qu’Autopsie du tueur en série parce que plus fouillé, Le saccage de la chair demandera quand même quelques efforts pour passer outre le style universitaire assommant. Les études de cas sont bien menées, même si celle de Vacher n’apporte rien à ce qui a déjà été dit à son sujet (par Stéphane Bourgoin pour ne citer que lui). L’ensemble aurait gagné en cohérence via un liant autre que thématique. Je veux dire, là on a trois parties indépendantes, chacune sur un tueur nécrophile, mais il manque une vue globale, une synthèse. Dommage qu’on reste dans l’énumération d’histoires pour se faire peur au coin du feu.
Bilan en demi-teinte pour cette collection dont on ne saura jamais ce qu’elle aurait pu donner sur le long terme. Brouillonne, bancale, inaboutie, Post Mortem contient aussi pas mal de choses à picorer pour les amateurs de meurtres en série et de nécrophilie.
Si tu les trouves à 4-5 € chez un bouquiniste, tu peux te permettre l’investissement. C’est le prix d’un kilo et demi de bananes. Dans le cas contraire, tu peux vivre sans, au régime (de bananes).