Ouvrage dans la langue de Molière, même si son titre – Bloudorns dans la bouche de bien des lecteurs – pourrait laisser accroire qu’il est écrit tout en albionperfide. Par contre, le nom de l’auteur se prononce, lui, à la française et non pas Beuwrtine.
Ces indispensables considérations linguistiques réglées, préparez vos valises et direction l’Afrique. Il y a du rififi en Namibie, some rififi in the Namibia, comme on dit dans la langue d’un Shakespeare adepte de l’école buissonnière.
Blood Horns
Ludovic Bertin
LBS Éditions
Après La Lettre de Dunkerque, qui se passait à Dunkerque, Le jour de ma mort, qui se passait à Dunkerque, Vétérans, Dunkerque / Dunkirk 1940, qui racontait un chapitre de l’histoire de Dunkerque, Quand vient le carnaval (celui de Dunkerque, pas Rio ou Venise) et plusieurs polars jeunesse, qui se passaient à Dunkerque, Ludovic Bertin, originaire de Dunkerque, décide qu’il est temps de sortir de sa zone de confort et de s’éloigner quelque peu de la ville de Jean Bart. À l’échelle géographique de sa bibliographie, un simple trajet jusqu’à Maubeuge aurait fait figure d’épopée, une odyssée à faire chialer Ulysse de jalousie. Mais Bertin va encore plus loin, au sens littéral, pour s’embarquer vers l’Afrique, continent où, d’après la légende, il y a du soleil (pour les gens des Hauts-de-France qui n’auraient jamais entendu parler de ce mythe, il s’agit d’une grosse boule de feu accrochée dans le ciel, produisant de la lumière et de la chaleur).
La démarche est intéressante. Écrire sur un environnement qu’on connaît bien et qu’on maîtrise, c’est une bonne idée, excellente même pour se forger une plume sans se perdre en route. Mais à un moment, faut élargir ses horizons, changer de lieu, de genre, de thème, de ceci ou de cela, sous peine un jour ou l’autre d’en arriver à écrire en boucle le même bouquin. Certains auteurs le font, se répéter à l’infini, parce qu’on est si bien dans ses charentaises. Ils ont au moins le mérite d’être économiques : t’as lu un de leurs bouquins, tu les as tous lus, ça t’évite d’acheter l’intégrale.
Le renouvellement est indispensable. Alors oui, ça oblige à prendre des risques, à se remuer le fion et les neurones, à tenter des trucs nouveaux donc pas forcément maîtrisés. Et on peut se planter. Perso, je préfèrerais toujours un auteur qui essaye quelque chose, même si le résultat n’est pas parfait, qu’un autre qui te ressort la même tambouille en mode pépère à chaque publication. Ce que disait le roi Loth d’Orcanie à propos des coups d’État – “Quand on veut être sûr de son coup, on plante des navets, on ne pratique pas le putsch.” (Kaamelott, Livre V, Les Repentants) – vaut pour l’écriture. Si tu veux pas prendre de risques, t’écris pas.
Donc la Namibie. Gros changement géographique.
Et après l’erreur judiciaire et l’usurpation d’identité, toujours pas de tueur en série insaisissable assassinant ses victimes lors de mises en scène rituelles qu’on ne voit qu’au cinéma (et dans les romans d’auteurs qui ne connaissent au rien au sujet, soit les trois quarts de la profession). Il y a tellement d’histoires criminelles à écrire beaucoup plus intéressantes que des tueurs sériels victimes d’abus sexuels dans leur enfance dont ils se vengent en butant des blondes dans des parkings souterrains… Oh purée, je viens de résumer un quart de siècle de polars en une seule phrase !
Bref, on aura ici de l’enlèvement, du trafic, du braconnage à un autre niveau que la pose de collets.
Soit une localisation et un sujet qui sortent un peu plus du lot qu’un énième clone de Jigsaw ricanant dans son antre secret de serial killer.
Cette Namibie ressemble à quelque chose. Pas d’impression de traîner ses guêtres dans un contexte africain générique, les éléments mis en scène (passé colonial allemand, peuple des Himbas) sont propres au pays concerné. Pas non plus d’exposé wikipedien comme on trouve chez certains auteurs qui ne savent pas intégrer le matériau documentaire à leur histoire ou se paument en hors sujet comme s’ils rédigeaient un guide Michelin au lieu d’un thriller. Tout ici a du sens, sans verser dans l’exotisme de bazar, le pittoresque ou le relent colonial du Blanc civilisé en goguette chez les bons sauvages sur l’air de Tintin au Congo. Les éléments contextuels sont là pour une bonne raison, deux même : dresser le décor et s’en servir dans l’intrigue.
Sur cette dernière, je me montrerai peu disert pour éviter de spoiler que le coupable est le colonel Moutarde avec la sagaie dans la bibliothèque. Elle a le mérite d’être resserrée et de ne pas se perdre dans les deux défauts habituels de pas mal de thrillers : l’arborescence foisonnante d’intrigues secondaires dispensables et les interminables séquences à rallonge sur la vie personnelle de l’enquêteur (toujours divorcé, alcoolique, dépressif, en conflit avec sa fille ado, tout ça, tout ça). Merci de nous avoir épargné le pavé barbant de six cents pages pour se concentrer sur une histoire prenante de trois cents (toutes les histoires tiennent en trois cents pages de toute façon).
On suit donc ici la quête de Léo, Mélanie et Fernando pour retrouver la trace d’un véto disparu, père de ladite Mélanie et pote dudit Léo, qu’on verrait bien incarné par Lino Ventura, Belmondo ou Gérard Lanvin à leur grande époque.
J’ai beaucoup aimé l’ambiance générale, qui parvient à marier classicisme et modernité, réussissant le grand écart entre un Cent mille dollars au soleil et un Blood Diamonds. Le mélange fonctionne d’action, de grands espaces, d’enquête, de soleil, de fusillades et poursuites, de thématique environnementale autour des espèces protégées, de lyrisme dans l’évocation des paysages, d’humour aussi à l’occasion pour aérer l’atmosphère et éviter la leçon écolo sentencieuse ou le roman noir pesant à force de s’enfoncer dans la noirceur jusqu’à la caricature.
Ça me fatigue bien aussi, ça, tous ces romans noirs pour le noir, où tous les personnages sont broyés, toujours, tout le temps, et se traînent chacun un lourd secret™ bien cliché, zonant dans les mêmes environnements gris, bétonnés, où tout n’est que misère sociale, et qui ne ressemblent plus qu’à des décors interchangeables d’un bouquin l’autre, comme ceux des studios de cinéma, genre le saloon qui a servi à tourner trois mille scènes de bagarre dans trois mille westerns qui se retrouvent tous in fine avec un air de déjà-vu (sauf le miroir derrière le comptoir, pété et remplacé à chaque baston). Bref, à tout peindre en noir de A à Z, plus rien de sombre ne ressort, comme dirait Zébulon. Bertin a eu le bon goût de ne pas noircir le tableau outre mesure, il a compris que pour créer de la tension dans un récit, oppresser le lecteur n’est pas la solution. Parce que dans le second cas, tu comprimes et tu bloques tout, alors que dans le premier, tu tires et tu avances. Toute la différence entre un artifice qui se prend pour une narration et une narration sans artifices gratuits.
Donc Blood Horns, en résumé, c’est un cadre namibien dépaysant, un trio d’enquêteurs qui n’est pas composé de gros torturés de la vie en proie à des légions de démons intérieurs, une thématique autour du braconnage et du trafic de corne de rhinocéros plus originale qu’une douze millième réécriture de Se7en, un mélange réussi de polar/aventure/action.
Et ça marche sans en faire des caisses. Juste le bon dosage de tout ce qu’il faut pour offrir un bon récit.
Comme quoi, ça vaut le coup de prendre le rhino par les cornes et de sortir de sa zone de confort d’écriture. L’écriture n’a jamais été conçue pour être confortable, de toute façon. Sinon on en revient à ce que disait Loth : les navets (et ils sont nombreux dans le genre du thriller…).