Alraune – Toni Greis

Alraune
Toni Greis

Dynamite

Alraune signifie mandragore en allemand, aussi bien la plante aux propriétés hallucinogènes qu’une créature fabuleuse un peu incube sur les bords.
Fabuleuse, cette BD ne l’est pas. Hallucinante par la vacuité de son histoire, si.

Alraune tome 1 Toni Greis Robi Dynamite

Dinah et son amie Marion vont dans une fête foraine où elle tombent sur un phénomène de foire doté d’un sexe interminable… qui leur gicle à la figure. Autant dire que ça part très fort, au point que j’ai pensé à une parodie tellement c’était nimp. Là-dessus la vieille mémé qui gère l’attraction de mister Braquemart lance une malédiction sur Dinah. Mais pas sur Marion. Parce que. De toute façon, Marion disparaît du bouquin, on ne la reverra plus jamais. Ça valait le coup de la mettre dans l’histoire…
Dinah rentre chez elle, prend une douche et s’enfile une bouteille de shampooing dans la chatte. Là, vraiment, je croyais toujours à un récit parodique moquant les clichés de la BD érotique vu à quel point on nageait depuis le début dans l’hénaurme.
Pas du tout. On tombe aussitôt dans le glauque quand Dinah couche avec son père ivre mort et quitte la maison. Douche froide pour moi (mais j’ai rien fait avec mon shampooing, je vous jure) lors de ce segment du récit, n’ayant aucune appétance pour la somnophilie – que je vois comme un combo de nécrophilie qui ne dit pas son nom et de viol – ni pour l’inceste.

La suite ne sera qu’une longue succession de coucheries sans queue (sic) ni tête, sans raison, sans justification, sans intérêt, parce que le style de dessin un peu lavis, un peu cartoon, un peu croquis n’est pas génial.
Le trait manque de précision, pas aidé par une colorisation à géométrie variable, ce qui fait que selon les cases on ne sait trop dire si Dinah est espagnole, réunionnaise, cubaine, malienne, thaïlandaise, somalienne ou kenyanne. Ses traits changent, sa couleur de peau change, même son âge… On lui donne d’une planche l’autre 18, 22, 25 ans, parfois 16, quand elle n’a pas carrément l’air d’une gamine de 14 ans siliconée d’énormes boobs bonnet D trop ronds pour être naturels.

Or donc, après cet aparté graphique, retour à l’histoire.
Voilà Dinah lancée sur les routes. Elle va à l’hôtel, où elle se tape d’abord le gérant et ensuite le groom, puis chez la gynéco qui la baise, et ainsi de suite. Elle devient strip-teaseuse. Elle rencontre une Gitane avec laquelle elle couche, un masseur avec lequel elle couche, et d’autres avec lesquels elle couche. Dire que le schéma est répétitif jusqu’à l’ennui tient de l’euphémisme poli (en clair, on s’emmerde).
En plus viennent se greffer des scènes barrées dues à la drogue et les inévitables passages oniriques pour caser des fantaisies à d’autres époques ou avec des monstres et des démons, ce qui achève de transformer le récit, déjà pas brillant faute de scénario, en vaste bazar de n’importe quoi où l’auteur met tout ce qui lui passe par la tête. La BD s’intitulerait WTF? Yolo!, ce serait pareil.
Alors, que le scénario ne soit pas le point fort d’une BD érotique, OK. On n’attend pas une construction narrative à la Usual Suspects. Qu’il y ait quelques facilités et prétextes pour amener le récit vers les scènes de cul, d’accord, ça fait partie du genre, de ses codes, de ses mécanismes. Mais là quand même… Y a pas d’histoire, mais du tout. Dinah fait juste des trucs un coup ici, un coup là, et paf, scène de boule. Entre chaque passage olé-olé, aucune narration, à peine une transition. Comment dire ? L’écriture n’est pas une option, hein ?
Bon après, quand tu vois le dernier segment où l’auteur tente de boucler son histoire en se lançant dans un bout de scénar un peu fantastique, un peu mystique, un peu onirique et surtout pas clair ni cohérent, c’est peut-être pas un mal qu’il ait fait l’économie d’un récit construit pendant les trois quarts des deux tomes. De toute évidence, l’écriture, c’est pas son truc. Et comme je le disais plus haut, le dessin, je suis pas sûr que ça le soit davantage. “Un jour, faudra vraiment que vous nous disiez ce que c’est, votre truc.” (Arthur de Bretagne, Kaamelott)

Alraune tome 2 Toni Greis Robi Dynamite

Donc Alraune, bon ben c’est foiré bien comme il faut.
Le dessin, OK, c’est en partie une affaire de goût d’accrocher ou pas au style, mais le dessinateur manquait clairement d’assurance pour se lancer dans un projet de cette envergure (à l’origine 8 épisodes de 24 pages, soit l’équivalent de 4 tomes au format classique de 48 pages, ce qui est ambitieux pour un débutant). Et puis il manquait un scénariste à cette entreprise pour canaliser le flot d’idées – pas mauvaises mais mal employées – et ajouter un lien narratif solide entre les scènes olé-olé.
Le versant fantastique est mal exploité, utilisé en pointillés, avec l’impression que l’auteur ressort ce thème quand il se rappelle qu’il n’est pas là que pour dessiner du porno. On regrettera aussi la facilité d’utiliser de l’onirisme juste pour caser des scènes X hors sol. Douze mille auteurs ont déjà utilisé l’astuce (i.e. Le rêve de Cécile), merci, ça va, on a compris.
Vu le démarrage foufou (la teub de 80 cm de long, la malédiction le shampooing) et le style graphique de l’auteur, fallait partir dans une direction comique, parodique, cartoon. Jouer sur l’outrance, la surenchère, le délire dans une optique humoristique, un truc à la Tex Avery version XXX. Alraune aurait pu fonctionner dans le registre de la comédie. Là, non. Juste non.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *