Pour compléter la rétrospective sur Albator, il ne manquait que la chronique détaillée de sa dernière aventure au cinéma : 宇宙海賊キャプテンハーロック(titre japonais), Space Pirate Captain Harlock (titre anglais utilisé au Japon), Harlock: Space Pirate (titre anglais international), Albator, corsaire de l’espace (titre de sortie en France).
Une dernière aventure qui ne nous rajeunit pas, puisqu’elle remonte à 2013. Notez qu’elle daterait d’hier, elle ne rajeunirait personne non plus, le temps ne va que dans un sens…
Or donc, j’ai vu pour la première fois ce film en VO, en 3D et en version longue (115 minutes) à Kyoto le 7 septembre 2013, jour de sa sortie japonaise. Puis en version courte (111 minutes) et en VF au fin fond de ma Picardie natale pendant les vacances de Noël de la même année. Puis re en VO, cette fois en Blu-ray et en 2D, le week-end dernier.
Je me rappelle qu’à l’époque – en 2013, pas ce week-end – ça avait été la folie au cours des semaines précédant la sortie. Harlock était partout, tu ne pouvais pas faire un pas dans la rue sans tomber sur une affiche. Une promo de dingue, qui a dû coûter un paquet de pognon tout autant de dingue.
Le jour de la sortie aussi, ça a été la folie. Un démarrage fracassant, promesse d’un succès démentiel… ou pas. Le soufflé est retombé aussi sec. Albator aura vécu le temps d’un week-end flamboyant avant de mourir dans l’indifférence générale.
Un pauvre 5 millions de dollars de recettes sur le sol nippon pour un budget de 30 millons, même pas rentabilisé à l’international avec ses 14 millions de rab. Sorti un mois et demi plus tôt, Le vent se lève de Miyazaki raflait 137 millions dont 113 au Japon, avec la même mise de départ.
À part ça, que dire de plus ?… Sans tomber dans le spoil, pas grand-chose. Surtout quand on connaît mon amour pour Albator qui rend de toute façon la critique quasi-impossible. Pas assez d’objectivité, la nostalgie liée à l’enfance, blablabla. Remarquez, si le film avait été une merde et si je m’étais senti trahi, je l’aurais beuglé au monde entier avec fracas.
Cet Albator, je l’attendais depuis un bail, à savoir la première annonce en 2010 au Tokyo International Anime Fair, confirmée l’année suivante par Leiji Matsumoto en personne au Festival international du film d’animation d’Annecy. Trois ans à patienter et donc beaucoup d’attente(s) vis-à-vis du pirate de l’espace.
Albator, corsaire de l’espace était-il à la hauteur ? Non.
Est-ce que j’ai adoré ? Oui. Quand même.
L’histoire constitue le point faible du film. Pas qu’elle soit mauvaise, juste qu’elle est déjà vue et revue. Space Pirate Captain Harlock se veut moins une nouvelle histoire qu’un reboot et le récit n’apporte rien au genre du space opera ni à la saga d’Albator. Le gros défaut du Leijiverse et de son champion éternel moorcockien, c’est de tourner en rond et finir par se répéter sur le long terme.
Donc l’histoire. L’humanité a quitté la Terre pour essaimer à travers la galaxie. La colonisation foire et le retour au bercail s’assortit d’une guerre pour récupérer la planète-mère. La Coalition rafle la mise et interdit à quiconque de remettre un pied sur Terre qui devient, faute d’humains, une planète sauvage et préservée. De son côté, Harlock est en lutte contre la Coalition et milite en faveur du retour à la maison.
Donc du déjà-vu. Le développement de l’intrigue ne brille pas par sa clarté, rappelant la confusion de L’Anneau des Nibelungen, avec en prime quelques longueurs. Les fans et les briscards s’y retrouveront quand même, parce qu’ils connaissent… et risquent de s’ennuyer par moments pour la même raison. Les autres, la nouvelle fanbase à conquérir, aucune idée. Attention, c’est pas non plus une histoire pourrie avec une narration moisie, juste que le film pèche de ce côté en ne proposant rien de plus qu’une histoire basique.
Sinon, on retrouve notre bon vieux héros encore plus mystérieux que jamais dans une version plus sombre que celle à laquelle on est habitué.
L’animation atteint un niveau exceptionnel. Le film dispose d’un réel souffle épique. Les séquences alternent ou allient puissance et poésie, comme souvent dans le cinéma nippon. Bref, de la belle ouvrage auquel ne manque qu’un scénario original.
Qu’un film m’absorbe relève de l’exceptionnel et là, j’étais dedans, limite si je n’ai pas arraché mes accoudoirs pendant les batailles spatiales vu comment j’étais crispé… sans raison puisqu’on se doute bien qu’Albator ne va pas mourir, mais voilà, quoi, tendu comme un string taille S enfilé à un hippopotame. Je ne reviendrai pas sur l’effet Yūki Kei et ses loches ayant déjà abordé le sujet dans le second volet de ma rétrospective. Fantasmer sur une héroïne de pixels ne vole pas haut, mais a le mérite de ne pas mettre en péril la paix du ménage. Sachez juste que du 95C de cette qualité graphique et en 3D met du baume au cœur et ailleurs…
Bilan… Rien de nouveau sous le soleil quand on connaît l’œuvre de Matsumoto et son célébrissime personnage. Les scénaristes auraient pu se fendre de quelque chose de plus innovant qui apporte autant de neuf à l’ancien public qu’au nouveau. Les vieux pots ne font pas toujours les meilleures soupes, surtout qu’ils servent depuis la fin des années 70.
À côté, niveau graphisme, animation, musique, rien à jeter au contraire. Ce film méritait mieux que le flop auquel il a eu droit. Il valait très largement le prix de la place et celui du Blu-ray. Déjà, y a Albator dedans. En soi, ça me suffisait. Voir le corsaire balafré sur grand écran, c’était un vieux rêve de gosse. Je l’ai réalisé, far far away a long time ago…
Il est pourtant clair que si je n’avais pas été de la génération Albator, je n’aurais pas autant aimé ce film.
Les scénaristes se sont montrés paresseux en se contentant de piocher des bouts de scénar dans l’œuvre de Matsumoto qui n’a été que consultant. Ils n’avaient pas les épaules ou peut-être que si mais qu’ils ont été bridés dans leur audace par les impératifs de marketing, le cahier des charges de la production et/ou le poids de l’héritage Harlock à respecter. Palimpseste d’Albator 78 et 84 mâtiné de Cosmowarrior Zero, avec le même défaut que ce dernier qui était présenté comme “la jeunesse d’Albator” : trop se concentrer sur la jeune recrue (Yama dans le film) et pas assez sur son personnage principal.
Le traitement d’Albator est en plus trop peu approfondi. Moi, ça allait, je me suis tapé l’intégrale de ses aventures sur papier, au ciné et à la téloche. J’avais de quoi combler les vides. Mais les autres spectateurs, ceux des générations ultérieures qui n’ont pas grandi avec… Le problème vient autant des scénaristes que du réalisateur qui semblent penser que tout le monde connaît et aime Harlock et qu’il n’y a donc rien à présenter ni développer. Le résultat, c’est un anti-héros qui n’est pas mystérieux mais transparent, limité à des attitudes de poseur et de grands mouvements de cape. Mutique ou sentencieux selon les moments, mais jamais charismatique.
Si les choix graphiques étaient intéressants pour moderniser la licence, c’était risqué quant aux tenants de la tradition. Certains ont hurlé au sacrilège. Perso, j’aimais bien l’Albator de ma jeunesse, j’aurais sans doute apprécié de le retrouver tel quel, mais j’ai tout autant aimé en voir une version différente. Le film de 2013 a suivi l’évolution amorcée depuis un bail, à côté de laquelle nombre de spectateurs sont passés, surtout en France. Beaucoup en sont restés à Albator 78/84, sauf que la saga a continué après, avec des modifications notables du dessin, toujours plus sombre et plus anguleux… et de l’ambiance, qui a suivi le même chemin.
L’ambiance… Elle est là, je crois, la raison profonde de l’échec du film. D’opus en opus, la saga s’est assombrie. On avait droit dans Albator 78/84 à des passages humoristiques autour de certains seconds couteaux de l’équipage, des instants de relâchement, de légèreté. L’atmosphère s’est ensuite appesantie à mesure que le propos prenait une tournure plus mystique, plus mythologique, plus mégalo, et s’embarquait dans une folie des grandeurs toujours plus délirante (cf. dans L’Anneau des Nibelungen, le Death Shadow qui part tout seul au combat contre 168000 vaisseaux ennemis). Le ton est devenu très pessimiste, nihiliste même. Dans Albator 78/84, il était encore question d’espoir. Après…
Je citais plus haut le carton de Miyazaki avec Le vent se lève, qui est lui aussi un film triste à bien des égards. Le tremblement de terre de 1923 ravage la région de Tokyo et cause 200000 morts, la femme du héros meurt de turberculose, la Seconde guerre mondiale approche… y a d’la joie… Pourtant, le film a marché. Parce qu’il repose sur la notion des rêves qu’on caresse et qu’on réalise. Les dernières scènes, dans le paysage d’un Japon dévasté au bord de la défaite, laissent ouvertes la perspective d’un après où il sera possible de repartir de l’avant.
Quelques semaines plus tard arrivait sur les écrans un Albator qui tient moins du brigand spatial chevaleresque que du guerrier fanatique. Pas tant porté au sacrifice – valeur qui parle beaucoup aux Japonais – qu’à l’autodestruction. Tout ce qu’il a à proposer, c’est un nouveau cycle de souffrance et de guerre. Un cycle sans fin et sans espoir d’en sortir. Qui veux-tu séduire avec une promesse pareille ?