Avis à tous les chasseurs de primes du globe (ou du disque pour ceux qui croient que la Terre est plate), plus besoin de chercher le successeur de Jean-Claude Van Damme, je suis là !
Je vais me livrer sous vos yeux à un grand écart XXL. Attention, cascade de professionnel…
À ma droite, le Japon féodal, où j’aime bien poser mes valises et mes sabres pour me ressourcer. À ma gauche, la romance, domaine qui n’est pas trop mon truc et que je m’arrange pour esquiver avec la vivacité d’une anguille ninja sous amphétamines.
Le parfum de Katsu
Claire Volanges
France Loisirs / Nouvelles plumes
Quatrième de couv’
À quelques jours des noces qui doivent l’unir à Akeko Kawa, l’héritière du clan ennemi de son peuple, l’honorable seigneur de guerre Toru Okami croise la route de Katsu, modeste paysanne mariée à un homme violent qui se plaît à l’humilier chaque jour. Toru est troublé par la beauté sauvage et le parfum envoûtant de la jeune femme. Quand celle-ci sauve d’une chute le père gravement malade de Toru, le seigneur l’invite à rejoindre le château pour devenir la suivante de sa future épouse…
Comment j’en suis arrivé à renifler Le parfum de Katsu ?
Tout commence il y a 4,6 milliards d’années. Mon divin ancêtre décide de créer la Terre à partir d’une boule de pâte à modeler. Il la peuple de Lego et de Playmobil à qui il donne la vie (c’est pour cette raison qu’aujourd’hui encore on croise des gens petits et d’autres grands). Ensuite, il se passe plein de trucs que je ne vais pas raconter dans le détail, sans quoi cette chronique risque d’être “un peu” longue. Relisez vos cours d’histoire de collège et lycée. Et hop, ellipse narrative qui nous amène au week-end dernier en pleine virée campagnarde avec une amie.
Entre parler bouquins et tomber sur des envahisseurs vindicatifs en cherchant des raccourcis introuvables, on a choisi l’option la moins risquée. Et donc, la voilà qui se lance dans un compte-rendu de lecture du Parfum de Katsu (qui ne s’écrit pas quat’sous, ça c’est l’opéra). Son laïus m’a rendu curieux. Pas tant pour la partie romance, ça, je savais qu’elle allait me passer au-dessus. Le concept de sentiments et moi, on habite sur deux planètes très éloignées l’une de l’autre, la chose est admise. Mais j’étais curieux du versant japonais qui semblait fort bien troussé. Pourquoi ne pas tenter le coup ? Après la déception des Noces de la renarde, j’étais de toute façon vacciné contre les dérapages nippons…
Alors, ce Parfum de Katsu…
Roulement de tambour (gros modèle).
Ben c’était bien.
J’ai suivi l’histoire d’amour entre Toru le samouraï et Katsu la paysanne sans m’ennuyer, ce qui est déjà énorme pour ce type de bouquin.
L’auteure a eu le bon goût de ne pas plaquer une amourette à l’occidentale sur son décor de Japon féodal. Pas de grandes envolées prépubères en mode ouin-ouin tonitruant à la Roméo et Juliette, qui se posent là dans la catégorie gosses de riches capricieux, à se rouler par terre en braillant dès qu’ils n’ont pas leur doudou/glace/jouet/poney (rayez les mentions inutiles).
Ici, on est entre gens civilisés. Enfin, des samouraïs civilisés qui se savatent la tronche à coups de katana, mais qui savent se tenir une fois rentrés des champs de bataille (en tout cas pour ceux qui en reviennent). C’est tout dans le feutré, dans la retenue, dans la maîtrise. Ce qui n’empêche pas les passions, juste elles font moins de barouf que les lamentations du Cid et de Chimène. Vaut mieux, parce que les cloisons en papier, niveau isolation phonique, c’est zéro. Donc discrétion pour éviter de gêner les voisins et ambiance d’alcôve dans un esprit proche de celui qu’on trouve dans Le sabre des Takeda (Inoue Yasushi).
Au final, même si les histoires d’amour ne sont pas ma tasse de thé, celle-ci a le mérite de fonctionner, parce qu’elle est dans le ton et correspond à son contexte (pour la partie sentiments proprement dite, faudra aller voir d’autres chroniques de gens plus compétents que moi sur le sujet). Dans le cadre du Japon féodal, elle sonne juste.
C’est là la plus grande qualité de ce roman, sa justesse.
Les personnages fonctionnent, parce qu’ils sont pile à leur place et épousent le décor. À aucun moment on n’a l’impression que Volanges a forcé pour les faire entrer dans le cadre. En prime, on échappe aux archétypes fantasmés, ce qui est rare quand l’auteur n’est pas japonais.
Pour prendre l’exemple que je connais le mieux…
… j’en ai vu défiler des samouraïs de carton-pâte ou des guerriers idéalisés à un point tel qu’ils en devenaient désincarnés et irréalistes… Mais là non. Toru et son daimyo de paternel, Fujio, les deux grands porteurs de sabres du roman, sont avant tout humains. Ce qui est une réalité historique, soit dit en passant. S’il sortait à l’époque un code d’honneur par semaine, c’est bien parce que les conduites chevaleresques n’allaient pas de soi. Il fallait souvent remettre les points sur les i (ou les traits aux kanji) et rabacher aux guerriers de ne pas se comporter comme des sagouins. Comme chez nous avec les traités de chevalerie édités à la chaîne ou les astuces de l’Église pour limiter le bourrinage sans foi ni loi (paix et trêve de Dieu). Les preux chevaliers au grand cœur sur leur blanc destrier n’ont jamais existé que dans les bouquins.
On a donc des personnages qui n’ont rien de guerriers invincibles, parfaits au plan moral, imperméables au doute. Au contraire même. Un chef de clan a beau se situer en haut de l’échelle sociale, sa marge de manœuvre est en pratique très limitée. Le père et le fils se retrouvent en permanence coincés entre le vouloir et le devoir (ninjō et giri en langage technique). D’un côté des aspirations humaines (bushi in love), de l’autre impératifs politiques (mariage arrangé de Toru pour sceller une alliance de clans), contraintes sociales (un samouraï avec une paysanne, ça passe moyen) et surtout un maousse package de devoirs et obligations de classe. L’honneur, la honte, la notion de dette, ne pas perdre la face, tenir ses engagements quoi qu’il en coûte, tout ça passe avant le reste, avec les choix cornéliens qui en découlent (pour les détails civilisationnels exhaustifs, cf. Maurice Pinguet, La mort volontaire au Japon et Ruth Benedict, Le Sabre et le Chrysanthème).
On en dira autant de Katsu, à la fois paysanne et femme, donc bien équipée aussi sur la question des devoirs, obligations, interdictions.
Les uns et les autres vivent dans l’aliénation constante, à toujours montrer autre chose que ce qu’ils sont, à toujours faire autre chose que ce qu’ils veulent. Comme “l’ombre” dans le Kagemusha de Kurosawa. Du premier des nobles au dernier des pécores, tu fais ce qu’on te dit et c’est comme ça.
Ces tiraillements sont rendus à merveille dans Le parfum de Katsu. La qualité d’écriture des personnages et leur profondeur donnent une réelle ampleur à ces dilemmes. Il ne s’agit pas juste de ressorts narratifs pour alimenter la tension dramatique et l’histoire. L’ensemble contribue à créer une atmosphère japonaise qui tient la route, au moins autant sinon davantage que le décor stricto sensu.
Côté tatami, thé, kimono, rien à redire, l’auteure a assuré le taf. Propre, crédible, sans erreur, sans non plus tartiner des exposés. En soi, ce n’est pas la partie la plus difficile. À l’heure actuelle, avec Internet et une bonne biblio, se planter là-dessus serait inexcusable… ce qui n’empêche pas certains auteurs de se viander bien comme il faut… Bref… Pour le coup, du bon boulot de recherche, utilisé à bon escient, rien à redire alors que je suis un pinailleur de première sur le Japon féodal.
Mais le décor, même bien construit, ne fait pas tout. Sans atmosphère pour l’imprégner, il sonnerait creux et artificiel. Et c’est là que le bouquin de Volanges m’a séduit, dans sa capacité à rendre la culture japonaise au-delà de quelques termes qui sentent bon le Soleil levant. Les personnages, leurs relations, leurs conflits intérieurs représentent ou, mieux, incarnent le Japon du XVIe siècle tel qu’on le connaît à travers les textes d’époque.
Bilan, je ne regrette pas d’avoir mis le nez dans Le parfum de Katsu. On reste très en dehors de mes goûts de lecture pour la partie “amour et sentiments”, mais c’est bien écrit, avec un grand sens de la mesure, donc rien qui ait réveillé mon allergie pathologique aux bluettes. Quant au versant japonais, j’ai lu peu de fictions capables de rendre un contexte japonais qui sonne aussi juste, et pourtant je suis très difficile sur le sujet (le drame d’être expert dans un domaine…). C’est un sans-faute aussi bien sur les personnages que les décors ou l’ambiance générale.
Pour être en accord avec le contexte je ne peux que m’incliner respectueusement et profondément devant la qualité de votre chronique et de vos connaissances nipponnes. Un immense plaisir pour moi d’apprendre de nouvelles choses, notamment du vocabulaire, en vous lisant mais aussi d’être évaluée par quelqu’un qui connaît aussi bien le sujet du Japon féodal. Il est agréable de voir que vous avez si bien saisi la personnalité de mon trio Katsu / Toru/ Fujio. Votre critique très technique et axée sur l’historique et les coutumes est celle que j’attendais et que je redoutais depuis la sortie du Parfum de Katsu…la peur d’avoir fait des erreurs historiques ou de ne pas trouver le juste équilibre entre Histoire et romance me nouait le ventre. Vraiment merci pour cet avis ludique et pertinent.
Claire Volanges
Ah ça, quand je mets le nez dans des bouquins sur le Japon féodal, y a toujours de quoi redouter. 😀
Vous pouvez être rassurée : pas d’erreurs historiques, pas de contresens sur les mentalités (l’écueil le plus fréquent et aussi celui qui m’énerve le plus) et un bon équilibre entre l’historique et le littéraire. À tous niveaux, un très bon travail d’écriture.