– Tiens, toi, si je te dis “Slash”, tu me réponds ?
– Guns N’ Roses.
– Ok, tu sors. Suivant, si je te dis “griffes”…
– Wolverine.
– Dehors. T-shirt à rayures, ça t’évoque qui ?
– Jean-Paul Gaultier ?
– Tu connais le chemin… Toi là, Freddy ?
– Freddie ? Mercury, Queen, moustache…
– Bon, j’ai compris… Dégagez. Tous.
Bloody Glove
Bob Slasher (Marc Falvo)
L’Atelier Mosésu
Puisqu’il faut tout faire soi-même, reprenons dans l’ordre… Slash, c’est la collection gore de L’Atelier Mosésu. Deux romans à l’heure où j’écris cette formidable chronique (27h93, si t’aimes les détails useless), Cavaliers de l’Orage et Bloody Glove. Particularité de cette collection, elle est très ancrée (ou encrée, ça marche aussi) dans le cinéma.
À l’intérieur de ce gant sanglant, les experts du CSI : WTF ont trouvé l’ADN de Stanislas Petrosky au scénario et du bien-nommé Bob Slasher à la réa-écriture. Au sein du département, certains inspecteurs murmurent qu’il s’agirait d’identités d’emprunt.
Si le titre laisse présager une intéressante étude documentaire sur La Fistinière, il n’est en rien. On reste toutefois dans le domaine du farfouillage à pleines mains dans les boyaux. Du gore qui tache et met à l’honneur un grand nom du cinéma, tête brûlée et tête d’icône…
Qui a dit Wolverine ? Sans déconner, le prochain qui remet Super-Glouton sur le tapis, je lui démonte la tête et lui fourre par l’autre bout en mode suppositoire.
Freddy Krueger, donc.
Je serais infoutu de te citer un athlète olympique des années 80. Un seul podium trouve grâce à mes yeux, celui qu’occupent Jason Voorhees, Michael Meyers et Freddy Krueger. Nostalgie, nostalgie…
Dans Bloody Glove, Bob et Stan rendent hommage à Freddy (note pour moi : penser à remercier le dieu La Palice pour cette édifiante révélation) et, à travers lui, au genre horrifique. Hommage aussi à l’état d’esprit qui présidait alors, plus imagina-tif que les coiffeurs pour leurs enseignes et bien des scénaristes pisse-copies. J’ai l’air comme ça d’entonner le bon vieux refrain pétainiste du “c’était mieux avant, ma bonne dame”. N’empêche, prends une liste des grands méchants du cinéma d’horreur et mate les dates. Les Shining, Vendredi 13, Massacre à la Tronçonneuse, Griffes de la Nuit, Halloween et autre Alien, avec leur big vilain of derrière the fagots, tous naissent dans la décennie 1974-1984. En 30 ans, seuls deux candidats ont rejoint le club, Ça (“Il” est revenu, 1990) et Jigsaw (Saw, 2004). Quod erat demonstrandum.
J’avais envisagé dans un premier temps de poursuivre l’auteur et l’éditeur en justice pour avoir volé ma vie. Le héros du bouquin s’appelle Fred et le paragraphe central de la quatrième synthétise ma bio en quelques lignes (dans la vraie vie en-dehors du blog, je suis autant cinéphile que bibliophile). Mon avocat le sentait bien, gagné d’avance, on va les exploser ces deux clowns, inzepocket mon Frédo… (Les points de suspension marquent le bourre-pif qu’il a mangé, je déteste les familiarités.)
Après lecture, j’ai changé d’avis en constatant que Bob Slasher avait lu ma chronique d’hier sur Cavaliers de l’Orage. Les quelques manques que je reprochais à son “confrère” Chris Anthem, il les a intégrés. En outre, comme disent les sourciers, il lui a fallu user d’un paradoxe temporel pour y parvenir, Bloody Glove étant sorti bien avant ma bafouille. Chapeau l’artiste. Plutôt qu’une assignation à comparaître, je t’envoie mes plus vives félicitations.
Ayant une réputation de “chroniqueur chieur” à tenir (clin d’œil au cousin de Lacoste, qui se reconnaîtra), je commencerai par souligner un point négatif. Le seul – unicité qui vaut louanges, au fond.
Coupe l’autoradio de temps en temps, parce que trop de références musicales tuent la référence musicale… et alourdissent parfois le texte ou la narration.
Ce détail mis à part, j’ai beaucoup aimé Bloody Glove (ou kiffé grave sa reum, si t’as pas pris français LV1).
L’histoire, je te raconte pas, achète le livre et lis-le. En bref, Fred est fan de Freddy, sa vie part en couille et lui en vrille. Mais sa vengeance sera terrible (là je te demande un effort d’imagination pour les éclairs et le bruit de tonnerre en arrière-plan). Et avant que tu ne me poses la question, la réponse est oui, je paraphrase l’air de rien la quatrième.
J’ai retrouvé dans Bloody Glove le même esprit survolté que dans Manhattan Carnage. Déjanté au possible, déconnant à pleins tubes, fun au dernier degré, [………….au………..], je te laisse compléter avec l’expression de ton choix sur le modèle des précédentes. Et derrière ses airs foutraques, un texte très référencé, bourré d’allusions et clins de zyeux. Le spectre couvre une palette large, c’est rien de le dire, de Titanic au Père Noël est une ordure. en passant par Les Tontons Flingueurs, Hellraiser ou encore… Cavaliers de l’Orage.
L’auteur s’amuse avec les codes cinématographiques. En respecte certains, en tournent d’autres en dérision (cf. les interrogations impromptues sur le modus operandi des serial killers p.44 ou le gag de l’écran plat p.175). Parvient à respecter son matériau sans se prendre au sérieux.
Niveau style, y a de quoi jubiler à la suite d’Elisabeth II. Un phrasé comme j’aime, bourrin dans son vocabulaire, fin dans sa manière de l’employer, tonique dans sa construction. Des vannes et calembours qui ne dépareilleraient pas chez un Gillio ou un Vasseur. Un œil crevé et “la bonne humeur coule à flots” (p.59). Des phrases comme ça et c’est fou rire assuré pour ma pomme. Bref, un style à l’image de nos ancêtres Vercingétorix et Clovis : gaulois, franc du collier.
L’auteur a choisi de placer son récit à la deuxième personne (tu, pour les billes en grammaire). Sans conteste le meilleur choix ici. Troisième exclue, trop académique pour le coup. Première, pourquoi pas, mais vu le peu de contrôle de Fred sur sa vie, un récit sur le mode “moi-je” n’aurait pas collé.
L’astuce n’a rien de nouveau, mais elle fonctionne. Pour te donner une idée, t’es à la fois dedans et dehors, un dérivé de FPS où un commentateur te raconterait en temps réel tout ce que tu dis, fais et penses.
Sur la question, il est de bon ton de citer Torquemada le père Butor et sa Modification, ouvrage qui relève autant de la leçon magistrale d’écriture au plan technique que du soporifique ultra-concentré en terme romanesque. Dans le cas qui nous occupe, il me semble avoir décelé page 39 une allusion à un autre tutoyeur, Georges Perec dans un Un homme qui dort – un de ces rares livres à m’avoir collé une claque littéraire. “(…) tu fixes le plafond que tu connais si bien. Pour l’avoir longtemps fixé. Ton sport national à une époque. Fixer ce foutu plafond et imaginer des choses…” Vu le temps que tu passes chez Perec le nez au plafond dans la peau du mec qui pionce…
Avant de glisser la main dans Bloody Glove, assure-toi d’aimer Freddy, l’humour noir, les vannes à deux ronds, les gros mots, le gore, le ciné et le style péchu qui “envoie du bois” (cadeau de l’amicale des expressions qu’ont pas un pet de sens).
Je me suis bien fendu la gueule avec ce bouquin et sans gant plein de griffes par-dessus le marché !
(Ce roman a été récompensé par un K d’Or.)