Œuvres complètes
Howard Phillips Lovecraft
Robert Laffont, collection Bouquins
“Ne soldez pas grand-mère, elle brosse encore”, titrait en son temps Frédéric Dard pour le volume je ne sais plus combien des aventures de son commissaire favori, le fameux San-Antonio, qui n’entretient aucun rapport de près ou de loin avec Lovecraft.
On en dira autant de l’intégrale parue en 3 tomes chez Laffont en 1991-1992. Cette mamie de papier fait encore bien le taf aujourd’hui, après avoir longtemps été la seule intégrale disponible en français. Mnémos en a sorti il y a une paire d’années une nouvelle mouture, retraduite, en 7 volumes (6 de Lovecraft, 1 de blabla). On trouve aussi Lovecraft en Pléiade, mais je n’ai pas vérifié le détail du contenu, n’ayant aucune intention de m’aventurer dans cette collection qui coûte la peau des rouleaux.
Possible que la version Bouquins de Laffont accuse son âge. Ou pas. J’en sais foutre rien. Toujours est-il qu’à moins de vouloir vous lancer dans une thèse pointue sur la littérature produite par celui que les amateurs de superlatifs et titres ronflants appellent “le Maître de Providence”, bref si vous voulez juste le lire, n’importe quelle traduction correcte fera le taf, même datée. Entre Les montagnes hallucinées et Les montagnes de la folie, honnêtement, hein… Dans les deux cas, on voit que l’idée générale est la même. Et pour l’écrasante majorité du lectorat, ça suffira bien. Le reste n’est que posture de poseur pouet-pouet, drosophilophile pour le plaisir de l’être, un peu comme ces élitistes du cinéma qui ne jurent que par la VO… mais sous-titrée quand même, parce qu’en vrai, ils ne pigent rien à ce qu’il se dit à l’écran.
L’intégrale du jour existe en trois versions : l’antique des années 90, une réédition en 2010 toujours en Bouquins toujours chez Laffont, une réréédition chez Bouquins tout court devenue maison d’édition à part entière. Cette dernière est disponible en librairie, les autres se trouvent sans difficulté sur les sites de vente d’occasion. Neuve ou de seconde main, cette intégrale reste la plus économique, de l’ordre de 90€ contre 160€ chez Mnémos, voire des centaines si vous investissez dans les volumes épars parus chez une flopée d’éditeurs (Folio, Pocket, 10/18, J’ai Lu, Denoël, Points…).
Le premier tome contient les récits du mythe de Cthulhu, le grand œuvre de Lovecraft en matière de SF-horreur-fantastique où les entités extraterrestres côtoient les grimoires (cf. le Necronomicon). Une vingtaine de textes dont L’appel de Cthulhu, La couleur tombée du ciel, Les montagnes hallucinées ou encore L’affaire Charles Dexter Ward, soit déjà 600 pages à s’enfiler : il y a de quoi faire.
Là-dessus, 400 pages supplémentaires pour une vingtaine de nouvelles d’auteurs qui se sont appropriés le mythe (Frank Belknap Long, Clark Ashton Smith, Robert Howard – le père de Conan –, Robert Bloch, Brian Lumley…).
Soit un millier de pages de Cthulhu.
Parce qu’il fallait bien les caser quelque part, on trouve ensuite les tout premiers textes de Lovecraft, que j’aurais plutôt glissé dans le second tome.
Dernière partie, une centaine de pages sur “l’art d’écrire selon Lovecraft”, à manier avec des pincettes, surtout si vous êtes auteur en herbe (en clair, ne suivez aucun de ses conseils, ne faites pas comme lui, parce que les brouettes d’épithètes et les archaïsmes prétentieux, ça va bien cinq minutes).
Si vous ne vous intéressez qu’au versant cthulhuïen de la production d’HPL, c’est LE tome.
Le deuxième volume s’intéresse au reste des nouvelles de Lovecraft. Ici, on se situe sur une veine plutôt fantastique-horreur, même si la SF pointe aussi le bout du nez de temps en temps (i.e. Herbert West, réanimateur). Une trentaine de textes, plutôt courts en général.
Viennent ensuite les “révisions”, 35 textes dans lesquels Lovecraft a mis le nez pour rectifier les tirs foireux d’auteurs pas bien doués pour l’écriture. De retouches plus ou moins lourdes jusqu’à la réécriture complète, les résultats sont de qualité variable. Quand le matériau de base est foireux, y a pas de miracle, toutes les corrections du monde n’y changeront rien.
Je ne vais pas m’attarder sur la partie suivante consacrée aux poèmes de Lovecraft. La poésie est un langage auquel je n’entends rien et qui m’a toujours barbé.
Le reste de l’ouvrage est consacré au surnaturel en littérature et à des articles autour de Lovecraft.
Le dernier tome se montre sans doute le moins intéressant… tout en étant indispensable.
Les deux cents premières pages rassemblent les textes des Contrés du Rêve (Randolph Carter, Kadath…), qui restent des incontournables de l’œuvre de Lovecraft.
Le reste est plus dispensable. Les parodies et pastiches, la description du Québec, mouais, bon. C’est pas des plus palpitants.
La dernière partie propose une série de documents pour mieux capter la vision du monde qu’avait Lovecraft. Intéressant si on veut se pencher sur la mentalité du bonhomme et chercher ce qui a rejailli sur son œuvre. M’enfin, à moins d’être universitaire et de se consacrer au décorticage de haut niveau, pas sûr que le lecteur lambda qui a juste envie de lire du Lovecraft se passionne pour ces questions.
Le gros morceau central (600 pages), ce sont les “collaborations” entre Lovecraft et August Derleth, le second pote du premier. Derleth aura eu pour principale qualité de faire connaître le travail de Lovecraft en s’y consacrant corps et âme… et pour plus grand défaut de dénaturer un paquet de travaux embryonnaires qu’il a bidouillés à sa sauce après la mort de Lolo pour les terminer et les publier. Il a aussi écrit ses propres nouvelles rattachées au mythe de Cthulhu, dans la vision très déformée qu’il en a.
Bilan des courses, tout Lovecraft aurait pu tenir en un seul tome, en tout cas pour le gros de son œuvre qui intéresse les lecteurs : le mythe de Cthulhu (tome 1), les nouvelles fantastiques (tome 2), le monde du rêve (tome 3). Pour être sûr de fourguer l’ensemble de son intégrale, l’éditeur a bien pris soin de dispatcher le contenu phare. Si le reste n’est pas sans intérêt, ce n’est pas non plus ce qu’on recherche quand on veut s’aventurer dans du Lovecraft. On se retrouve donc à acheter beaucoup de pages consacrées à des sujets annexes, d’autres auteurs, ou encore de la documentation certes très pointue mais dont on ne fera pas grand-chose.
‘Fin bon, 5000 pages au total pour 440 francs de l’époque ou 90€ de maintenant, on n’est pas volé non plus sur le rapport quantité/qualité/prix. Tout Lovecraft pur jus, assorti de pas mal de textes plus que corrects dans le lot des révisions, collaborations et extensions sous d’autres plumes que la sienne, on en a pour son argent avec un paquet d’heures de lecture. Même en laissant de côté si ce qui est susceptible de ne pas vous intéresser, l’investissement demeure valable.
Je traîne ma trilogie depuis la charnière collège-lycée. J’avais tout lu à l’époque, je m’en suis pas mal servi ensuite pour alimenter des parties du jeu de rôle L’appel de Cthulhu, et encore aujourd’hui j’y replonge très souvent pour picorer par-ci par-là. Autant dire que depuis plus de trente ans que je trimballe cette intégrale, elle a été amortie !
