Avec leurs couvertures rouge vif inratables et leurs dessins restés dans les mémoires de ceux qui les ont connus au siècle dernier, la collection La Vie privée des Hommes a marqué toute une génération de jeunes lecteurs dans les années 80. Ils font partie des premiers bouquins que j’ai lus, tous offerts par maman qui a eu le bon goût de me les donner à peu près par ordre chronologique.
Au total, une grosse trentaine de titres sortis chez Hachette sous la direction de Pierre Miquel qui en a signé pas mal. Le gros de la collection a eu son heure de gloire dans les années 80, quelques-uns sont sortis plus tard pour combler quelques trous dans la chronologie et la géographie.
Destinée à la vulgarisation de l’histoire pour le jeune public, la série réussit son objectif en termes de connaissances et culture générale. Mais pas que ! Si cette “vie privée” pouvait laisser craindre des volumes qui se perdraient dans les détails de la vie quotidienne en se contentant de raconter de l’anecdotique, elle parvient, à partir du détail, à restituer les grandes lignes de chaque époque et civilisation. L’approche est intéressante, très orientée histoire sociale, loin de l’histoire-batailles, de la focalisation fétichiste sur les grandes figures, de l’obsession pour le monumentalisme clinquant de l’Antiquité et le bling-bling des dorures versaillaises. Les ouvrages s’attachent à retranscrire le quotidien des périodes et civilisations concernées, avec une large place consacrée non pas aux seules élites mais surtout aux 90% de piétaille qui composent une société : citoyens et sujets lambda, paysans, artisans, ouvriers, marchands, esclaves, mendiants, troufions, lépreux, femmes… Les éternels oubliés derrière les Alexandre, César, Louis XIV et Napoléon ont droit de cité au casting de l’histoire, c’est même surtout d’eux dont il est question. Et pour cause, bien plus que les grandes figures qui se limitent au fond à n’apporter que des péripéties à la trame historique, c’est la masse anonyme qui fait l’histoire. Les empires meurent, les évolutions de la société restent.
Le point fort de cette collection, c’est qu’elle ne fait pas que raconter l’histoire à travers son texte, elle plonge le lecteur dedans en la lui montrant à grand renfort d’illustrations. Donc quelque chose de très parlant, tant dans la démarche de représentation que dans le propos axé sur le concret de la vie de tous les jours.
Le point faible, c’est qu’elle reste très européanocentrée. Pendant longtemps, l’Asie n’existe pas, jusqu’à l’arrivée du volume sur les empereurs Tang en Chine, et il faudra s’en contenter. Le Japon féodal ou l’Inde, pour ne citer que deux autres gros morceaux pourtant évidents dans une collection historique, connaît pas. Pareil avec l’Afrique, qui devra attendre un tome tardif sur les grands empires du XIe au XVIe. Le monde slave, inexistant aussi, rien sur l’Europe de l’Est. Plusieurs empires aux abonnés absents, parmi lesquels, comme je disais, le Japon et Chine hors période Tang, mais aussi Byzance, les Ottomans et la Russie tsariste. C’est donc surtout la vie privée dans le bassin méditerranéen pour l’Antiquité et en Europe occidentale pour la suite.
Cette collection a été mon premier contact avec l’histoire et m’a rendu amoureux de la discipline au point de déterminer mon orientation scolaire vers un cursus universitaire dans cette voie.
Elle a aussi eu un gros impact sur ma vision du monde et des gens en me confrontant dès mes plus jeunes années à une foule d’autres cultures, d’autres peuples, d’autres façons de vivre et de penser. Riche d’enseignements, la meilleure école d’ouverture d’esprit par laquelle je sois passé.
Tour d’horizon de ma collection…
Les temps préhistoriques
Louis-René Nougier
Le premier que j’ai eu, celui par lequel tout a commencé. Marrant de se dire que je me suis intéressé à l’histoire alors que la préhistoire n’en fait pas partie stricto sensu (en tout cas, selon la définition discutable qui considère que l’histoire ne commence qu’avec l’écriture).
Aujourd’hui, ce volume est sans doute le plus daté vu l’évolution de la recherche sur le sujet, aussi bien en termes de connaissances que d’approche, qui verrait certains chapitres plus à leur place dans un tome sur la protohistoire. Mais bon, dans les grandes lignes, le portrait de cette interminable période de 3,5 millions d’années (chiffre retenu par l’auteur, encore un sujet de débat des spécialistes) reste valable pour retracer l’évolution des premières branches de l’humanité.
Taille de pierre, conquête du feu, pêche-chasse-cueillette, habitat, apparition de l’élevage, de l’agriculture et de la métallurgie, le démarrage de l’humanité est passé en revue sous toutes les coutures (y compris au sens littéral avec l’invention de l’aiguille qui a révolutionné la manière de s’habiller). Les illustrations de Pierre Joubert sont une merveille pour mettre en image le texte. Ce dernier se montre on ne peut plus concret en s’appuyant sur les données connues de l’époque, chaque vignette se référant à un site archéologique précis.
Au temps des premières civilisations
Giovanni Caselli
Toute collection comporte son volume raté, c’est celui-ci.
Les premières civilisations, c’est vague comme concept. Faudra pas compter sur l’intro pour l’expliquer, ni poser les bornes chronologiques ou géographiques du sujet, encore moins justifier le choix des civilisations retenues plutôt que d’autres qui ont été écartées : il n’y a pas d’introduction.
Alors qu’on s’attend à de la protohistoire ou aux balbutiements de l’histoire, on démarre avec des hommes préhistoriques qui taillent des silex, ce qui est hors sujet. L’excursion préhistorique dure une vingtaine de pages, soit presque la moitié du bouquin, sans qu’on ait de la civilisation à se mettre sous la dent. Ensuite, ça part dans tous les sens : Turquie, Scandinavie, Chine (mais rien sur le reste de l’Asie), Égypte (mais rien sur le reste de l’Afrique), Crétois, Grecs, Étrusques, et c’est fini sans un mot sur la Mésopotamie (pourtant considéré comme un des berceaux de la civilisation), les Phéniciens (dont l’alphabet sert de base à beaucoup de langues du bassin méditerranéen) ou encore le continent américain (pas encore découvert par Colomb mais qui existait déjà).
Donc pas inintéressant dans ce qu’il raconte mais on aurait aimé comprendre ce qui motive les choix de l’auteur qui semblent dépourvus de sens livrés en l’état.
Au temps des Anciens Égyptiens
Pierre Miquel
S’il y a bien un bouquin qui porte bien le nom de la collection, c’est celui-ci. Les Égyptiens au quotidien, dans leur vie de tous les jours aux champs, dans les temples, sur les chantiers de constructions, agenouillés devant la toute-puissance du pharaon, en vadrouille sur le Nil ou en plein désert ou en route vers leur dernière demeure… et à peu près rien sur l’histoire événementielle de l’Égypte. Qualité et défaut de cette collection qui ne s’encombre pas trop de chronologie mais colle au plus près des réalités pratiques de son sujet. En tout cas, pour l’aspect vie privée, c’est une réussite superbement illustrée.
Au temps de la Grèce ancienne
Pierre Miquel
Histoire de l’armée grecque
Peter Connolly
Voir les chroniques sur la Grèce.
Au temps des Gaulois
Louis-René Nougier
Le choix du titre laisse perplexe : Gaulois est une appellation romaine, or on se situe pour l’essentiel de l’ouvrage avant la conquête par Rome de cette Gaule qui n’a jamais existé que dans la tête de César et dont les habitants se nommaient eux-mêmes Celtes. Qui plus est l’exposé sort plus souvent qu’à son tour de cet espace “gaulois” couvrant ce qui est aujourd’hui la France, le Luxembourg, la Belgique, la Suisse, le nord de l’Italie et quelques bouts de Pays-Bas et d’Allemagne à l’ouest du Rhin, pour s’aventurer en Irlande, en Autriche, en Hongrie, jusqu’en Asie mineure, bref dans la totalité du monde celte. Tout du long, le texte jongle entre les termes Celtes et Gaulois, pas toujours avec bonheur, puisqu’ils ne sont pas synonymes. Au temps des Celtes aurait été plus judicieux…
Dans les grandes lignes, l’ouvrage reste valable pour le descriptif de la civilisation celtique à travers ses aspects de vie quotidienne. Dans le détail, la recherche a avancé depuis la parution et certains points ne sont plus d’actualité (i.e. l’étude du sanctuaire de Delphes – qualifié à tort de “cité grecque” dans le bouquin – a montré que la victoire des Galates était en réalité une défaite et que le pillage consécutif tenait davantage de la légende que de la réalité).
Cet opus a pris un coup de vieux, donc, en plus d’avoir été bâti sur des bases un peu branlantes.
Au temps des Romains
Pierre Miquel
À Pompéi
Peter Connolly
Deux volumes pour explorer la vie quotidienne sous la Rome antique, le premier généraliste, Au temps des Romains (ou Au temps des légionnaires romains selon les tirages), le second dédié à la ville de Pompéi.
Le projet était ambitieux que de faire tenir ce “temps des Romains” en un seul volume pour couvrir mine de rien plus de 1200 ans d’histoire romaine. La période monarchique est évacuée et même la République doit se contenter de la portion congrue : l’Empire se taille la part du lion, et plutôt pour la période du Haut Empire où il était au faîte de sa puissance.
Si les informations présentées sont intéressantes pour dresser le portrait de la Rome antique, elles manquent quand même de repères chronologiques et donnent l’impression que le mode de vie romain a été un bloc homogène tout du long, comme si n’importe quel instantané de la vie quotidienne à une date T était valable n’importe quand entre -753 et 476.
Les illustrations sont excellentes et très immersives, on regrettera toutefois quelques erreurs de représentation, comme ces légionnaires qui se battent contre des Celtes en couverture. Soit une scène du Ier siècle avant JC où on voit l’armée romaine très en avance sur son temps de deux siècles puisqu’elle est équipée comme au Ier siècle après JC au lieu de porter la cotte de mailles en usage sous la République, ainsi que des casques et des boucliers qui n’ont rien à voir avec ceux représentés.
C’est finalement À Pompéi qui retranscrit le mieux la vie quotidienne romaine. Cette fois le tableau dressé est inscrit dans la chronologie : le Ier siècle après JC. Engloutie par l’éruption du Vésuve en 79, la cité se retrouve figée et c’est à partir des découvertes archéologiques que Connolly restitue le quotidien de ses habitants. Les illustrations sont un peu moins emballantes que pour d’autres tomes, une bonne partie étant consacrée à représenter des objets retrouvés lors des fouilles. Très vitrine de musée dans sa présentation, donc, mais pas que, il y a aussi beaucoup de plans et de vues en coupe de bâtiments. La visite des lieux jusque dans les moindres recoins permet de connaître tous les détails de la vie privée qui donne son nom à la collection.
Au temps des Hébreux
Peter Connolly
Avec un titre pareil, on s’attend à voir Salomon et les royaumes d’Isräel et de Juda. Mais non, la période 1050-589 avant JC n’est pas au programme, il sera question ici du siècle qui s’étend à cheval sur la naissance dudit JC, ce que la VO du bouquin annonçait plus clairement que la VF (Living in the Time of Jesus of Nazareth).
On démarre avec l’accession au pouvoir d’Hérode, soutenu par Rome. Les Romains finiront par intégrer petit à petit tout le coin, pas sans heurts, en témoigne la Grande Révolte qui éclate en 66 et dure jusqu’en 73. L’auteur a retenu la date de destruction du temple de Jérusalem en 70 comme borne finale. Choix qui se tient, puisqu’il marque un changement de statut de la province de Judée avec serrage de vis à la clé, mais aussi choix contestable : à trois ans près, il pouvait aller jusqu’à la chute de Massada et boucler cette première guerre judéo-romaine.
Si certains éléments font redite avec les deux autres bouquins de la collection traitant de la période romaine, ils n’en sont pas moins indispensables dans ce volume pour éviter une vie quotidienne à trous. Il apporte aussi du neuf grâce aux chapitres consacrés aux spécificité locales (une longue intro sur la Judée avant Hérode, la guerre judéo-romaine, la naissance de Jésus).
Au temps des royaumes barbares
Patrick Périn & Pierre Forni
Voir chroniques médiévales.
Au temps des Vikings
Louis-René Nougier
Voir chroniques médiévales.
Aux premiers siècles de l’Islam
Mokhtar Moktefi
Voir chroniques médiévales.
Au temps des chevaliers et des châteaux-forts
Pierre Miquel
Voir chroniques médiévales.
À l’abri des châteaux du Moyen Âge
Régine Pernoud & Philippe Brochart
Voir chroniques médiévales.
Des Celtes aux chevaliers du Moyen Âge
Giovanni Caselli
Voir chroniques médiévales.
Au temps des Mayas, des Aztèques et des Incas
Louis-René Nougier
Le premier et pendant longtemps le seul volume de la collection à sortir du bassin méditerranéen antique et de l’Europe occidentale du Moyen Âge au XIXe. Ça donne une assez bonne vision de l’Histoire telle que conçue par Hachette : limitée. C’est bien le seul gros défaut de cette collection, avec des tentatives de le corriger sur le tard sans parvenir à combler tous les trous.
L’ouvrage est confié à Nougier, ce qui est un drôle de choix, puisque son domaine de recherches couvre la préhistoire en Europe, donc pas du tout spécialisé sur les civilisations mésoaméricaines. Son intro suit le chemin de la collection : des Vikings à Christophe Colomb, les deux tiers du texte parlent d’Européens plutôt que des premiers intéressés.
La suite se montre d’une bien meilleure tenue, même si elle déborde parfois du cadre annoncé en titre, jusqu’en Amérique du Nord et même au Canada. Quelques points ont pris un coup de vieux avec les avancées de la recherche. Par exemple, la mention d’un crâne de cristal aztèque… dont un examen poussé avec des techniques modernes révèlera quelques années plus tard qu’il s’agit d’un faux. Mais dans l’ensemble, on reste sur une bonne entrée en matière pour aborder le sujet, complémentaire avec les mini reportages qui clôturaient les épisodes du dessin animé Les mystérieuses Cités d’or diffusé à l’époque.
Au temps des grandes découvertes
Pierre Miquel
Voir chroniques médiévales.
Au temps des mousquetaires
Pierre Miquel
Après un trou dans la chronologie bien pratique pour éviter le sujet des guerres de religion en France, on saute au XVIIe siècle. La couverture annonce 1610-1690 à grand renfort de point d’exclamation sans expliquer ce choix dans la date. La première correspond à la mort d’Henri IV, ce qui n’a d’intérêt que pour la France, or le bouquin couvre l’Europe. La seconde… On sait pas. Perso, je serais allé jusqu’à la mort de Louis XIV en 1715 plutôt que m’arrêter en cours de règne.
Or donc, la vie au XVIIe siècle, celui qui en fait encore fantasmer plus d’un à cause de Versailles, ses dorures et ses beaux habits de la noblesse. Allez-y, partez devant, on vous rejoint (ou pas). Le XVIIe, en vérité, c’est les guerres de religion du siècle précédent qui ne sont pas encore clôturées, loin de là (persécution des huguenots en France, guerre de Trente Ans en Allemagne), des conflits ininterrompus entre puissances européennes, la pauvreté, la famine, les épidémies, la mortalité infantile, l’esclavage dans les colonies américaines, les révoltes, l’expulsion des Morisques en Espagne, la répression espagnole aux Pays-Bas, la Fronde, l’absolutisme, le gouffre des dépenses versaillaises… Youpi !… Et ce n’est qu’un aperçu des merveilles de ce temps où les Lorànt Deutsch, Stéphane Bern et autres nostalgiques de l’Ancien Régime monarchique survivraient environ quarante secondes (ce qui me ferait sans doute davantage apprécier la période…).
Au temps des guerres en dentelle
Pierre Miquel
À bord des grands voiliers du XVIIIe siècle
Pierre-Henri Sträter
Le choix du titre par Miquel donne un bon aperçu de la période. Il aurait pu choisir Au temps des Lumières, il a préféré l’obscurité de la guerre.
Parce qu’il faut bien reconnaître que ces Lumières dont on nous bassine depuis deux bons siècles, elles ne vont pas nous éblouir avec leurs 15 watts de puissance. Elles ne touchent au final qu’une minorité d’intellectuels et une partie des élites lettrées, les mêmes qui profiteront de la Révolution pour mettre en œuvre ces loupiotes faiblardes en instituant une république de bourgeois conçue pour être la moins démocratique possible. Pour le pékin, le quotidien de ce siècle reste celui qu’il était pendant le précédent : se crever au turbin et crouler sous les impôts pour supporter l’effort de guerre, tout ça dans une société inégalitaire au possible tant dans la répartition de la richesse que du pouvoir.
En dépit de son titre, le contenu portera très peu sur la guerre, réduite à sa plus simple expression, alors que le siècle concerné n’aura pas chômé sur la question. Un peu dommage…
Le second volet XVIIIe de la collection nous emmène en mer. Construction des navires, voyage, navigation, vie à bord, guerre navale, piraterie, on a droit au tour de manège complet pour retracer le périple d’un trois-mâts et la vie quotidienne des marins de l’époque. Il fait partie de mes tomes préférés de la série et je m’en étais pas mal servi pendant mes années de rôliste pour mes parties de Capitaine Vaudou, beaucoup d’info du XVIIIe étant valables aussi pour le siècle précédent.
Au temps de la Révolution française
Hervé Luxardo
Au temps de Napoléon
Pierre Miquel
Doublé Révolution-Empire avec deux tomes qui se chevauchent sur quelques années.
Affublé d’un titre quelque peu réducteur, l’ouvrage de Luxardo ne se limite pas à la Révolution française, puisqu’il consacre une place non négligeable à celle qui l’a précédée aux États-Unis, et évoque aussi en intro d’autres mouvements, ceux-là en Europe (Suisse, Irlande, Angleterre, Pays-Bas, Belgique…). Le mouvement révolutionnaire français n’a donc rien d’exceptionnel en soi, tout à fait dans l’air du temps. Sa seule particularité est d’être allé jusqu’au bout pour renverser l’Ancien Régime, ce qui là non plus n’a rien d’unique (cf. les États-Unis quelques années plus tôt).
Après avoir bossé dans les premières pages le portrait de la société à la fin des années 1780, c’est la Révolution. Joyeux foutoir plein de contradictions… des femmes très impliquées dans l’agitation révolutionnaire mais auxquelles les pontes refuseront à peu près tout, à commencer par le droit de voter et de devenir représentantes du peuple… les mêmes pontes qui te parlent de liberté mais refusent d’abolir l’esclave dans les plantations des colonies avant 1794… les mêmes pontes qui luttent contre la tyrannie en jouant de la guillotine à tour de bras et envoyant la troupe mettre la Vendée à feu et à sang… Une approche pour le moins particulière des droits et de la liberté…
Au temps de Napoléon laisse un peu plus perplexe. En fait, en passant en revue la collection, je me rends compte que les volumes de Miquel sont les plus faibles, en tout cas pas les meilleurs. Celui-ci ne fait pas exception. En matière d’informations, pas de problème, le gars connaît très bien le sujet de l’Empire et ce qu’il raconte tient la route. Par contre, le plan d’ensemble… Y en a-t-il un ?
Sans surprise, le sujet des guerres napoloniennes occupe une très large place. Par contre, c’est assez surprenant d’attaquer direct avec le Grande Armée en pleine campagne de Russie. Ensuite, la conscription (que j’aurais placée avant), puis la noblesse d’Empire (que j’aurais placée ailleurs), puis retour à la guerre avec Waterloo (1815), Marengo (1800), Wagram (1805), dans cet ordre. La guerre en mer, un peu d’institutions, encore de la guerre avec les résistances populaires aux troupes napoléoniennes, la religion, le blocus (que j’aurais mis avant avec l’évocation de la guerre navale ou après, au moment d’aborder l’économie, mais pas là), et ainsi de suite jusqu’à la fin. Ça part dans tous les sens, sans suivre la moindre logique chronologique ou thématique.
Si le contenu est très intéressant, on n’en dira pas autant de l’organisation de l’exposé, inexistante.
Au temps des premiers chemins de fer
Pierre Miquel
La révolution industrielle au menu : trains, bateaux à vapeur, mines de charbon, usines, débuts de la presse de masse. En parallèle aux avancées technologiques, des changements dans la société, nombreux : émergence d’une classe ouvrière, croissance urbaine, tiraillements entre déchristianisation et réveil religieux, nouvelles habitudes dans la vie quotidienne…
On fait le tour de la question. Même si…
La couverture annonce 1850 en s’exclamant à qui mieux-mieux. On découvre une autre fourchette, 1830-1860, à l’ouverture du bouquin. L’intro revient, elle, à 1850, date qui ne représente rien en soi, à part être un chiffre commode, rond, et pile au milieu du XIXesiècle. Tout le livre va osciller entre proposer une synthèse en prenant un instantané en 1850 et naviguer autour de cette année médiane pour retranscrire les évolutions qui n’ont pas lieu partout en même temps. Enfin, partout, on parle du continent européen, autour c’est un grand vide. Bref, hésitation sur le timing et c’est clairement la deuxième option qu’il aurait fallu retenir tout du long : parler de changements à travers une date figée, un choix paradoxal qui ne fonctionne qu’à moitié. Autant sur les périodes d’évolution plus lente, ça marche (i.e. un instanté en 1250), autant pour parler de révolution, la démarche a moins de sens.
Le choix du tout histoire sociale atteint aussi ici ses limites. Parce que changements rapides et profonds dans tous les domaines, plus interconnectés que jamais, chaque nouveauté ayant des répercussions directes sur la société, la politique, l’économie, les mentalités… Une seule double page sera consacrée ici aux révolutions du printemps des peuples qui secouent l’Europe en 1848, signe de ces temps qui changent – ou en tout cas voudraient changer – pendant que les élites dirigeantes vivent encore au siècle précédent.
Reste un ouvrage qui, s’il est incomplet, donne un bon aperçu global du sujet qu’il a choisi de traiter (progrès techniques et évolutions des habitudes de vie). À compléter avec d’autres lectures…
Au temps de la conquête de l’Ouest
Jean-Louis Rieupeyrout
La collection se rappelle à l’occasion qu’il existe un monde en-dehors du continent européen. Direction le Far West !
Quand j’étais gamin, le western était encore une valeur sûre pour conquérir le jeune public et ce bouquin marchait bien. Aujourd’hui, en le relisant, je suis beaucoup moins emballé et bien plus circonspect.
On est plongé dans le bain dès l’intro : l’auteur est lui-même un passionné de western et ça se sent dans la vision dithyrambique qu’il donne de ces aventuriers qui s’engagèrent toujours plus à l’Ouest, épris de liberté, en route pour bâtir “une société faite de courage, d’endurance et de hardiesse”. Le massacre des Indiens en cours d’épopée ne sera qu’un “triste revers de la médaille”.
Trois chapitres consacrés aux Indiens, vingt aux colons Blancs. Comme on dit, les vainqueurs écrivent l’histoire… Et manifestement, y en a que pour eux. Même le chapitre consacré aux soldats de l’Ouest restera peu disert sur le sujet des guerres indiennes en se concentrant surtout sur le quotidien de la troupe.
Le reste, on aura le tour complet du sujet côté conquérants : trappeurs, ruée vers l’or, diligence, Pony Express, chemin de fer, convois de chariot, cow-boys… Si ce qui est exposé relève de l’histoire, avec des infos correctes, on n’en dira pas autant de l’approche, qui brosse un portrait très western du Far West. Comme dit l’auteur dans son dernier chapitre à propos de la fin de la conquête de l’Ouest, “une mythologie est en train de naître”. Mythologie qu’il contribue lui-même à diffuser en tant que telle, pas comme un historien. Qualifier la ruée vers l’Ouest de “fantastique aventure”, je dirais ça que dépend pour qui. Les Indiens ne seraient sans doute pas de cet avis. Les esclaves noirs ? Pas un mot sur eux. Les ouvriers chinois du chemin de fer ? Évoqués mais sans le détail de leur recrutement et de leur traitement sur place. La violence endémique d’un monde où tout se règle à coups de pétoires et de pendaisons ? Silence radio.
On reste donc sur quelque chose de très lacunaire, partiel et partial pour éviter les sujets qui fâchent et offrir in fine une vision qui, si elle se montre juste sur les détails de la vie quotidienne, reste très subjective et romantique dans son approche.
Au temps de la Belle Époque et des premières automobiles
Pierre Miquel
L’époque concernée n’aura été belle qu’au regard de la Grande Guerre qui y met fin, sinon en soi, pas de quoi pavoiser. Misère économique et sociale, colonisation, tension diplomatiques constantes, course à l’armement… Ce volume a le bon goût de ne rien mettre de côté en abordant aussi bien les progrès de la période que ses laissés-pour-compte pour dresser un tableau complet. À lire en parallèle avec le visionnage de la série Les brigades du Tigre qui aborde des thèmes similaires (agitation anarchiste, premières automobiles, balbutiements de l’aéronautique, relations entre grandes puissances européennes, Tour de France…).
Au temps de la Grande Guerre
Pierre Miquel
Sans conteste l’opus dans lequel Pierre Miquel se montre le plus à l’aise, sans surprise puisque la Première Guerre mondiale constitue son principal champ d’étude.
S’il ne peut faire l’économie de la partie technique autour de la guerre de tranchées et des armes nouvelles sur le champ de bataille (gaz, avion, sous-marin, char d’assaut…), Miquel ne s’appesantit pas outre mesure sur le sujet. Il parle moins de la guerre en tant que telle que du vécu des populations en temps de guerre, militaires et civils. La vie au front et à l’arrière, le quotidien du soldat dans les tranchées et des femmes qui remplacent les hommes partis au casse-pipes, les déplacements de population, les bombardements, la propagande, l’espionnage, l’économie de guerre, l’ensemble du sujet est balayé pour raconter le “spectaculaire suicide de la vieille Europe”.
Au temps de la Seconde Guerre mondiale
Pierre Miquel
Peut-être le tome qui fait le moins d’étincelles de la collection. Au lieu de l’exploration habituelle par thèmes, on a ici un cheminement chronologique qui suit le déroulement de la guerre étape par étape (campagne de Pologne et de Norvège, drôle de guerre et campagne de France, bataille d’Angleterre, Barbarossa, etc.). Le front de l’Est tient en 4 pages quand il aura occupé les Allemands de 1941 à 1945, faisant des Russes des acteurs un peu anecdotiques du conflit alors que c’est quand même de leur côté que la Wehrmacht s’est fait décimer. La guerre du Pacifique, même traitement, avec en prime quelques erreurs d’appréciation (i.e. juger sur le ton de l’échec le fait que les Japonais “n’ont pas pu s’approcher de l’Australie” : ils n’en ont jamais eu l’intention, donc bon…).
L’essentiel du bouquin se contente de raconter le feuilleton 1939-1945 sous l’angle militaire, sans se pencher plus que ça sur l’économie de guerre, la vie des civils, le quotidien des troupes engagées… Donc ça fait le taf comme récit rapide des événements et c’est insipide pour le reste.
Les illustrations sont elles aussi en dessous des opus précédents avec un style plus brouillon et moins abouti.
Histoire des Français
Pierre Miquel
Ce volume s’imposait-il ?
Vu comment l’ensemble de la collection est centré sur l’Europe, en particulier l’Europe occidentale, et pioche au sein de celle-ci une multitude d’exemples en France, je dirais non.
Vu qu’on parle d’une collection jeunesse, avec des tomes d’une cinquantaine de pages, l’ampleur du sujet est telle que le résultat ne peut être qu’un balayage très rapide et superficiel de l’histoire de France. Donc je dirais non.
Vu la tendance qu’ont les version simplifiées de l’histoire de France à tourner au roman national, j’aurais tendance à dire surtout pas.
Perso, ce que j’ai retenu du CP à ma maîtrise d’histoire, c’est le servage, une société inégalitaire, les persécutions religieuses, l’absolutisme louisquatorzien, la Terreur révolutionnaire, l’autoritarisme du très belliqueux Napoléon, la répression sanglante de la Commune par les Républicains, l’empire colonial, deux guerres mondiales, la Collaboration… V’là le glorieux bilan…
Ce volume s’en sort honorablement pour couvrir ce qu’il peut comme il peut de la Préhistoire à la Seconde Guerre mondiale. Les Gaulois, Clovis, les croisades, la guerre de Cent ans, la Renaissance, cinq, quatre, trois, zéro et après paf, pastèque, comme dirait l’autre. Le rythme est rapide, obligé vu le format. Le ton plutôt consensuel n’empêche pas de glisser ici et là au détour d’une phrase ou d’une illustration un petit coup de canif dans le portrait de cette formidable nation (guerres de religion, traite des esclaves Noirs, Révolution loin de gommer toutes les inégalités). Après, on flirte quand même souvent avec le roman national vu le nombre d’oublis (sic) critiques sur certain sujets (pas un mot plus que l’autre sur la colonisation, silence radio sur la Collaboration).
Un jeune lecteur aura au moins une fresque synthétique, un cran au-dessus des bonnes vieilles images d’Épinal, sans que ce soit non plus la panacée. On regrettera que ce volume, relié par les périodes évoquées à la moitié des parutions de la collection, ne contiennent aucun renvoi aux autres opus pour creuser davantage chaque chapitre.