Le portrait du mal – Graham Masterton

Transe de mort, la saga Manitou, Rituel de chair, autant de titres qui me font dire que Masterton appartient à la catégorie des auteurs surcotés. Pour lui, faudrait même un adjectif exprès. Hypercoté, pas moins.
Je me suis donc lancé dans Le portrait du mal sans illusions.
Bon, à l’arrivée, ce roman a le mérite d’être le moins mauvais Masterton que j’ai lu. Après, de là à dire que c’est bien… Quand même pas.

Le portrait du mal
Graham Masterton

Pocket Terreur

Couverture roman Le portrait du mal Graham Masterton Presses Pocket Terreur

Avec Le portrait du mal, Masterton ne se casse pas la nénette niveau imagination, puisqu’il se contente de proposer une réécriture à mi-chemin entre le remake et le plagiat d’une œuvre bien meilleure : Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde.
Le bouquin original en résumé, c’est l’histoire de Dorian Gray qui se fait tirer le portrait en peinture et sa représentation sur le tableau porte à sa place les marques de vieillesse et d’immoralité pendant que le gazier conserve sa jeunesse et son apparence angélique. À travers son texte, Wilde aborde une flopée de thèmes : l’art, la beauté, les apparences, la vanité, l’hédonisme, la morale, le péché, la décadence, le pacte faustien, le tout dans une ambiance très physiognomonique comme le XIXe siècle en raffolait.
La version Masterton en résumé, c’est.
Voilà, tout est dit sur la base de rien. Parce Le portrait du mal est creux comme un trou de balle.
Pas de thématique, de questionnement, de réflexion, le père Graham n’est pas là pour s’encombrer avec ces fredaines. Ce qui fait qu’on se demande l’intérêt d’écrire un bouquin si c’est pour ne parler de rien. J’en entends d’ici rétorquer que “ouais mais bon, il raconte une histoire quand même”. Le récit pour le récit, perso, je vois pas trop l’intérêt, à moins qu’il ne soit exceptionnellement bien écrit, ce qui n’est pas le cas de ce Portrait qui tient du barbouillage. Et on en voit encore moins l’intérêt dans le cas présent étant donné que l’histoire en question a déjà été écrite un siècle plus tôt par Wilde.
Masterton n’a rien de plus à proposer que le texte d’origine, au contraire, sa version est des plus allégées.

Là-dessus les défauts d’écriture abondent, à commencer par le casting foireux au service d’une intrigue dont on n’a rien à secouer parce que sans suspense.
Côté gentils, on suit les pérégrinations d’un shérif, certes sympathique mais translucide, auquel manque un peu de profondeur pour le rendre attractif. Il mène l’enquête sur une série de meurtres horribles, mais comme le lecteur connaît les coupables dès le premier chapitre, on aura bien du mal à se passionner pour cette investigation qui ne nous apprend rien sur rien. En parallèle puis en binôme avec le shérif, Vincent Pearson, propriétaire d’une galerie d’art, plus ou moins censé être le héros, sauf qu’il est trop laissé en plan par moments, et surtout on le voit d’abord apparaître comme un richard de droite froid et hautain, donc antipathique, et rien par la suite ne parviendra à corriger cette première mauvaise impression. En compagnie de personnages secondaires sans relief, tous deux s’agitent et font des trucs, mais on les regarde d’un œil morne, indifférent à leur sort, ni l’un ni l’autre ne possédant ce petit truc qui permet à un protagoniste de séduire et de faire oublier ce qu’il est : une création artificielle, pas une vraie personne. Tout du long on ne voit en eux que des marionnettes dont la fonction est de jouer un rôle dans l’histoire. Ils sont des personnages de roman, des rouages dans la mécanique narrative, et ça se voit.
Côté méchants, le constat est un chouïa meilleur, même si pas renversant. Déjà, première erreur, la famille Gray. Ouais, parce qu’en plus ils portent le même nom que le gars de chez Wilde. V’là l’inventivité de folie… Bref, un Dorian ne suffisait pas, Masterton aligne une famille complète. Ils sont douze, comme les Cavaliers de l’Apocalypse, les jours de la semaine et les plaies d’Égypte. Un chiffre magique chargé de symbolique ! Nan, je déconne. Je veux dire, ils sont bien douze, ça, c’est vrai, mais ils pourraient être quatre ou cinquante, kif-kif. Y en a deux et demi qui servent, les autres font de la figuration dans une paire de chapitres et point barre. Deux rôles principaux (Cordelia et Maurice), un second rôle (Henry), neuf silhouettes. Neuf ! Où est l’intérêt d’aligner un populo pareil pour ne pas s’en servir ? Dans ton cul, dirait le sénateur romain Publius Servius Capito et il aurait raison… Henry, pas grand-chose à dire, c’est juste le méchant de base, sociopathe de foire sorti d’un mauvais téléfilm. L’écriture de Maurice, qui se retrouve à jouer les chefs de famille et les esthètes blablateux, est correcte pendant les trois quarts du bouquin avant de virer au croquemitaine de carnaval dans l’affrontement final. Dommage… Quant à Cordelia, elle incarne la seule protagoniste charismatique du roman, sans doute la raison pour laquelle l’illustrateur l’a sélectionnée pour la couverture – bon choix de sa part. Là encore, dommage, vu qu’elle est reléguée au second plan dans la deuxième moitié de l’histoire. Sans compter une incohérence à son propos, puisqu’elle est décrite tout du long comme ayant dans les 35-40 ans, alors qu’elle est censée en avoir quinze de moins quand le portrait a été réalisé. Le tableau magique empêche de vieillir… mais elle vieillit.
Quant au tableau, censé être un personnage lui-même, rien de bien terrible. Son auteur, Waldegrave, affiche une biographie qui tient en deux lignes. Ballot, parce qu’il y aurait eu moyen de creuser de ce côté-là. L’histoire de la toile, même topo : la famille Pearson possède le Waldegrave depuis près d’un siècle et l’a toujours gardé au fin fond de la cave familiale ou de la réserve de la galerie d’art. Un peintre qui n’a laissé que très peu de traces et un tableau rangé pépère depuis toujours, v’là le mystère riche et palpitant…

Le tour de force du roman, c’est de ne jamais surprendre et en même temps, on ne sait jamais où on va. Bravo (ou pas). Je m’explique. Chaque chapitre pris tout seul est prévisible au dernier degré. Au bout de deux pages, on devine ce qui va se dérouler dans les suivantes et comment il va se terminer. Jamais de surprise. Ennui. XXL, l’ennui. Par contre, quand on met les chapitre bout à bout, on ne voit pas du tout de direction claire émerger, comme si l’ensemble était improvisé. Chaque bout de récit est une saynète ajoutée aux autres, un empilement de morceaux d’histoire, sans que rien n’avance en vérité pendant la majeure partie du bouquin. Ce n’est pas juste qu’on ne voit pas où le récit veut aller, c’est surtout qu’on ne sait même pas s’il veut aller quelque part. On a plutôt la sensation que l’auteur n’en a pas la moindre idée non plus et écrit au pif en alignant des péripéties au gré de l’inspiration du moment.
Conséquence de bosser sans plan et de naviguer à vue, tu te retrouves vite à tourner en rond et à raconter n’importe quoi n’importe comment. Quand en plus, t’es du genre à pas lésiner sur les grosses ficelles au diamètre d’une corde, le texte n’en sort pas gagnant.
Par exemple, l’histoire à besoin pour avancer que les personnages connaissent certaines informations. D’accord. Mais comme tu t’y es mal pris, il s’agit d’infos auxquels ils ne peuvent pas accéder, moitié parce qu’ils ne savent même pas ce qu’ils cherchent, moitié parce que ces renseignements sont hors de leur portée, inconnaissables. Donc pour régler le problème, bon vieux deus ex machina, le gros modèle attention, celui qui a une doublure en facilité d’écriture pour tenir bien chaud l’hiver. Un médium. Grâce à sa seconde vue, il a accès au scénario, et hop. Là, des médiums, Masterton en a carrément placé deux.
En fait, dès qu’il est coincé dans une impasse, il repasse une couche d’une astuce déjà utilisée et tant pis pour le doublon, même si le résultat est grossier, hénaurme, vide de sens. Autre exemple : les Gray perdent le contrôle de leur tableau. Pour se protéger des fois que le quelqu’un qui leur a piqué y foute le feu pour les détruire, ils décident de prendre un otage, qui se retrouve à apparaître sur la toile à leurs côtés. Si tu crames le portrait, tu fumes l’otage. Cette idée de stratégie dissuasive est bien trouvée – assez rare dans ce bouquin pour le souligner. Pourquoi un deuxième otage ? Vous allez pas faire collection, si ? L’art de plomber une trouvaille valable en la dupliquant sans que ce choix d’écriture rime à autre chose que “il faut que je rallonge la sauce pour atteindre le format d’un roman”.
Comme on peut s’y attendre, la fin est nase. Je suis presque étonné vu le dénouement que Masterton ne se soit pas lancé dans une suite. Tant mieux, une purge de moins à s’enfiler. Enfin là, on a une poursuite interminable pleine de redites. On délaye, on délaye, et vas-y qu’on tire à la ligne… Pour arriver à une fin en eau de boudin qui ne tient pas debout, sur la base d’un paradoxe temporel qui piétine tranquille le raisonnement tenu plus tôt par un personnage qui a expliqué les tenants et aboutissants des peintures magiques. Alors oui, avec le recours à la magie, on peut caser dans un bouquin des trucs foufous impossibles dans le monde réel – c’est même un peu le principe de la littérature fantastique, genre auquel appartient Le portrait du mal. Mais tu peux pas faire n’importe quoi avec la magie, même si c’est de la magie. Surtout pas quand tu as expliqué sa logique, son fonctionnement, ses règles, codes et lois. Tu dois t’y tenir après (ou changer ton texte en amont si tu pars dans une autre direction après).

Zone spoilers ça va couper chérie

Donc attention, ici spoiler ! Si vous ne voulez pas vous faire torpiller la découverte du dénouement par mon explication, cliquez pour sauter à la conclusion.
Or donc, Vincent Pearson rencontre à un moment un expert biclassé peinture et démonologie. Le gars lui explique que les tableaux magiques constituent des réalités alternatives et que dans le cas des Gray, l’esprit de chacun d’eux vit dans la toile où le temps s’est arrêté à la date où le portrait a été réalisé, pendant que leurs corps, eux, vivent dans le monde “réel” – la réalité principale du roman. On a donc deux univers distincts – mais connectés, puisqu’on peut passer de l’un à l’autre – avec chacun sa temporalité. Et Masterton a perdu de vue en cours de route que les temporalités des deux mondes sont, elles, déconnectées.
Le tableau a été peint en 1883 et sa trajectoire suit une ligne pleine jusqu’en 1985, celle du temps de la réalité principale. L’intérieur du tableau est bloqué dans un 1883 alternatif, une bulle temporelle, un point immuable, distinct du 1883 “historique”. Changer quelque chose sur le toile en 1985 n’a d’impact que sur le 1883 du tableau, pas sur le 1883 du passé, ce que papy Graham a oublié dans sa révélation finale.
Pour éviter la destruction du tableau et la sienne dans la foulée, Cordelia annonce à Pearson qu’elle est son arrière-grand-mère. Elle a été fin XIXe l’amante de l’arrière-grand-père de Pearson, ceci explique cela. Si Pearson détruit le tableau, dixit Cordelia, il brisera la chaîne du temps et des causes-conséquences, donc pas de grand-père, ni de père, ni de Vince Pearson. Le cas d’école ultra classique du paradoxe temporel.
Sauf que non, le paradoxe est bidon et n’a pas lieu d’être pour deux raisons. Primo, l’année 1883 se situe un siècle derrière, elle ne peut plus être modifiée, d’autant moins que le tableau serait détruit par Pearson en 1985, pas en 1883. Ne serait détruite que la version Waldegrave de 1883, pas celle de l’Histoire. Toutes les explications sur la magie des tableaux données dans le roman vont dans ce sens : les toiles enchantées sont des mondes à part, dont la temporalité est déconnectée de celle de la réalité. C’est justement pour cette raison que les Gray ne vieillissent pas.
Secundo, on a en Maurice Gray l’exemple d’un personnage tué dans un tableau, en l’occurrence Cinéma à New York d’Edward Hopper, peint en 1939. Aucun des actes de Maurice Gray depuis cette date n’est annulé, alors qu’ils le devraient suivant la logique avancée par Cordelia Gray. Or ce n’est pas le cas. Alors à moins d’une sous-sous-sous-règle magique écrite en petits caractères quelque part, y a zéro foutue cohérence dans ce que raconte Masterton avec sa pirouette finale sous forme de twist à deux ronds.
Si Pearson avait désintégré le Waldegrave dans le dernier chapitre, Cordelia serait morte sous ses yeux. Et c’est tout ce qui se serait passé.

Harrison Ford shot first

Des personnages en carton au service d’une intrigue en mousse, voilà à quoi se résume Le portrait du mal. On a connu Masterton très bourrin en matière d’horreur gore, pour une fois qu’il lève le pied et ne contente pas d’un festival d’hémoglobine, il ne raconte in fine rien de plus que d’habitude. Au lieu du sang, on a droit pour meubler soit à des longueurs bavardes, soit à de l’érotisme, ce dernier oscillant entre le conventionnel soporifique et le malsain selon les passages. Pas sûr qu’on y ait gagné au change…
Cette réécriture du Portrait de Dorian Gray ne s’imposait pas, faute de propos à développer et d’idées neuves à apporter, la seule innovation par rapport au roman de Wilde – une famille complète d’immortels – n’étant pas exploitée. Il y avait pourtant matière à un bon roman avec une approche alternative et modernisée, il faudra se contenter d’un tirage à la ligne bourré d’incohérences et de facilités d’écriture qui flinguent les quelques bonnes trouvailles de Masterton. Un gâchis…
Chez les immortels, on a coutume de dire qu’à la fin, il ne peut en rester qu’un. Ce ne sera pas Le portrait du mal.

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