Une heure et demie d’une débauche ininterrompue de violence, Nobody, c’est John Wick (même scénariste – si tant est qu’on puisse appeler ça un scénario –, ceci explique cela) avec une touche d’humour en plus, qui faisait bien défaut à la saga de Baba Yaga, pompeuse par son sérieux et son absence de recul.
Bon, le résultat n’est pas meilleur. C’est juste le même film avec un autre titre et un autre acteur principal.
Cet acteur, c’est Bob Odenkirk, qui excelle à incarner Hutch Mansell avec sa tronche de Monsieur-Tout-Le-Monde. Là, on a fait le tour de la moitié des qualités du film.
Nobody est plutôt bien filmé, avec des scènes de baston lisibles (c’est bien le seul mérite de John Wick : avoir mis fin à un quart de siècle de shaky cam et de cut frénétique qui pourrissaient les films d’action) et une BO pas du tout raccord mais qui fonctionne dans son décalage.
La première demi-heure est bien foutue avec une exposition brève qui te pose en quelques minutes le personnage de Mansell, sa famille, sa vie routinière entre ses petits déjeuners, son tableur au boulot, ses footings, ses ratages du camion poubelle soulignés chaque fois par sa femme. On a donc un gars lambda, avec une existence lambda. Le choix du titre en dit long sur ce que le scénariste a dans la tête (une vision à la Macron), à savoir que ce type n’est personne. Pas juste un mec comme ça. Personne. Si tu as une vie tranquille, tu es une merde, c’est ce que te dit le film.
Incident déclencheur, un cambriolage chez les Mansell. Le gars est un retraité de la castagne, une machine à tuer invincible, il choisit de ne rien faire. Alors qu’il pourrait dézinguer les cambrioleurs d’une main sans s’essouffler. Ça, c’est intéressant comme choix. Sauf qu’in fine, il ne sera pas exploité par l’histoire, vu qu’il n’y a pas d’histoire et que tout ce qui suit va aller à l’encontre de ce choix. C’est con d’avoir condensé tout le scénar en deux lignes et de quand même trouver le moyen avec si peu de place d’y coller une incohérence.
Mansell va sortir de sa torpeur pour récupérer un objet volé par les malandrins : le bracelet de sa fille, seule membre de sa famille à lui témoigner de l’affection. Alors c’est rigolo pour le côté WTF du truc, notamment quand il braque un mec avec un flingue en hurlant avec toute la rage du monde dans la voix “où est le bracelet avec le petit chat ?” comme si on parlait des codes nucléaires ou d’une valise bourrée de blé. Décalage, délire, surenchère, tout ce qu’on veut, et ça marche, parce que Mansell parvient à s’arrêter avant de buter un type juste pour un bracelet à la con.
Jusqu’ici, il maîtrisait sa violence, ce qui donnait un tour intéressant au film, cousin lointain de A history of violence dans sa thématique du gars qui a raccroché les gants pour mener une vie pépère et se retrouve embarqué à son corps (plus ou moins) défendant par ses vieux démons de tatane.
C’est après que les choses se gâtent.
Avec la scène du bus et ses conséquences.
Alors les conséquences, c’est John Wick. Une longue succession de bagarres et fusillades, des gangsters russes dégommés par paquets de mille, tous les clichés du genre (le mafieux russe exubérant et cabotin, la destruction de son magot, l’affrontement final dans le repaire truffé de pièges, le deus ex machina pour venir à la rescousse du héros), un héros invincible au point de tuer tout enjeu ou tension puisqu’on sait qu’il n’est jamais vraiment en danger. Une heure de pan-pan en pilote automatique.
Pour revenir à la scène du bus, c’est le moment où le film choisit de flinguer ce qu’il avait construit autour de Mansell. Une bande de Russes sortis de nulle part montent dans l’autocar parce que c’est écrit dans le scénario. Ils font les cons en emmerdant les passagers. D’accord, on a affaire à une bande de trous du cul. Est-ce que ça justifie d’en envoyer la moitié à l’hosto et l’autre moitié à la morgue ? Non.
Le pire, c’est que Mansell appelle la confrontation, il va même la déclencher. Juste parce qu’il a besoin de se passer les nerfs. Et parce qu’en vrai, au fond de lui, il est juste un sociopathe qui se complaît dans la violence gratuite. Il n’existe qu’à travers elle. Le film peut bien essayer de nous le vendre comme un gentil, non, ça ne marche plus à partir de cet instant.
Pire que tout, si Nobody ne cherche pas à faire passer de message, parce qu’il est creux comme un trou de balle et ne contient rien du tout, du tout, ce qu’il montre donne envie de gerber. La scène du bus marque la reconquête de sa virilité, virilité qui ne peut passer que par l’usage des poings, en tabassant à mort des gus qui n’avaient jamais commis que de menues incivilités.
À partir de cette rixe, Mansell retrouve goût à la vie, pas sur le plan professionnel où il s’emmerde pire qu’avant, mais il a du punch à renvendre pour le reste. Parce que la violence, c’est son kif. Super… Plein d’énergie et de cicatrices héritées de sa baston, il décide de faire la bouffe pour sa famille, exploit présenté comme assez exceptionnel pour laisser entendre que chez les Mansell la popote est d’ordinaire dévolue à madame. Super… Il impose le menu et dans la foulée un départ en vacances, ainsi que la destination. Monsieur décide, le reste de la tribu obéit (en trouvant ça formidable en plus). Son fils le considère enfin avec respect, parce que le respect ne se gagne qu’à coups de poing dans la gueule (ah bon ?). Sa femme se rapproche de lui, parce qu’un mari violent, ça donne envie (ah bon ?). Grâce à quelques torgnoles, le pater familias est rétabli dans ses prérogatives de patriarche tout-puissant, et c’est bien. Voilà ce que Nobody met en scène.
C’est de la merde.