Madame Bovary
Gustave Flaubert
Le Livre de Poche
Madame Bovary a longtemps été ma bête noire… Roman étudié au lycée en classe de première… M’a barbé comme toutes les œuvres au programme au cours de ma scolarité. J’ai pourtant eu de bons profs de français et de lettres – au moins en collège et lycée, en prépa c’est plus discutable –, mais ils ont toujours eu l’art de rendre assommant chaque bouquin qu’il fallait se fader pour l’école. En fait, il est là, le problème : l’école.
C’est l’institution qui torpillait tout. Comme le résumé, la rédaction ou la dissertation, les études de texte relevaient de l’exercice. Jamais on ne sortait de ce cadre. Fallait juste se couler dans le moule des attendus du commentaire de texte, mettre les bons mots aux endroits, un peu comme ce jeu d’éveil où tu dois mettre le cylindre dans le trou rond et le cube dans le trou carré. Autant dire que ça menait pas bien loin…
Jamais il n’était question d’une vraie réflexion sur le texte ni du pourquoi on l’étudiait. Jamais on ne nous disait que décortiquer un texte, en vrai, c’est essentiel et te sert tout au long de ta vie, face à n’importe quel discours : idéologique, politique, religieux, publicitaire, journalistique, tout ce qui en fait relève de la “communication” – terme politiquement correct pour qualifier ce qui n’est jamais qu’une forme de propagande, de l’enfumage, du baratin qui cherche à t’embobiner. Savoir analyser un texte, c’est à ça que ça sert : comprendre le fond du discours au-delà de ce qu’il te raconte (et te rendre compte que neuf fois sur dix, on cherche à te baiser).
Sauf qu’on me l’avait pas dit, ça, pendant ma scolarité. Alors tous les textes et œuvres étudiés se bornaient à des exercices, creux, déconnectés. On parlait beaucoup du style et puis “l’auteur, il dit ça, parce que…” mais sans réel regard critique ou réflexion.
L’étude de Madame Bovary a représenté la quintessence de la vacuité de cet exercice. Pareil pour Dom Juan, l’autre gros morceau au programme pour le bac de français. Ces deux titres auraient pu me plaire, ils auraient dû même. Parce qu’ils sont hyper critiques sur la société de leurs époques respectives et la critique sociale m’a toujours botté. Sauf qu’on n’a fait que se masturber sur ces textes, dans une approche très, très littéraire, très, très guindée, très, très chiante en vérité. Rien de tel que les cours de lettres des années 90 pour te vacciner contre la littérature classique… M’a fallu du temps pour remettre le nez dedans, par choix et pas parce que c’était imposé au programme, et surtout libéré de la contrainte de l’exercice à la con à pouvoir analyser le texte à ma façon, pas celle de l’Éducation nationale.
Alors Madame Bovary, il y a beaucoup de choses à dire dessus mais rien qui n’ait déjà été dit mille fois. Roman sur l’ennui qui réussit bien son coup (parce que ouais, faut quand même s’accrocher pour pas piquer du nez face à la langueur du truc).
Emma, l’héroïne, n’a pas trop les pieds sur terre. Elle rêve beaucoup à une vie meilleure, se fait embobiner assez facilement parce que c’est pas une flèche (ne pas être fute-fute est bien le seul point commun qu’elle partage avec son mari, Charles, qui n’a pas inventé l’eau chaude ni l’eau tiède, et même l’eau froide, on se demande si elle serait à portée du bon docteur Charlie). Mal mariée, elle couche à droite à gauche, ou plutôt à droite à droite, en allant voir du côté des notables et aristocrates. Elle s’emmerde bien comme il faut dans sa vie pourrie, pas emballée par les devoirs d’épouse et de mère que lui impose la société de son temps. Autant dire que, par son biais, Flaubert se lâche à fond les ballons sur la critique sociale, entre la noblesse survivante d’Ancien Régime qui a un train de retard, la bourgeoisie de province pétrifiée dans ses codes, la religion hypocrite, mercantile et vérolée, l’institution du mariage – souvent arrangé pour des raisons d’ascension sociale – génératrice de frustrations, surtout chez les femmes cantonnées au rôle pas très palpitant de bobonne…
Outre la critique acerbe et impitoyable, Madame Bovary présente un intérêt pour l’historien, celui d’être un signe des temps. Qui changent. Pas beaucoup, pas vite, pas de façon flagrante. Mais qui changent quand même.
Tout du long, Emma piétine chacun des codes associés à son genre.
Alors, on n’est pas encore à une Emma en pantalon, qui vote et qui travaille. Même en 2023, il reste des endroits dans le monde où on n’est pas là, autant dire qu’en 1857, quand Flaubert sort son bouquin, on en est loin. Dans le cas de la France, pays des loupiotes plus que des lumières, faudra encore attendre un petit siècle (1945) pour que les femmes soient reconnues comme assez douées de raison pour pouvoir voter.
Les femmes avaient participé activement aux premiers temps de la Révolution française, rêvant comme Emma à des choses un peu folles, genre l’égalité, la liberté, des droits civiques, des trucs impensables pour l’époque (en tout cas pour les hommes de l’époque). Revendications qui leur avaient valu de se faire évacuer vite fait bien fait du mouvement révolutionnaire (qui n’a jamais eu de toute façon vocation à mettre en place une démocratie, encore moins avec des meufs dedans). La société bourgeoise du XIXe siècle aura beau s’évertuer à poser tous les carcans possibles et imaginables, jusque dans l’habillement qui voit se multiplier jupons et couches de fringues, l’impulsion est donnée, inarrêtable. On peut stopper les gens, pas les idées, qui font leur chemin sur le temps long de l’Histoire.
Celle d’Emma, d’histoire, montre un cas isolé et précoce qui préfigure la naissance du féminisme, lequel cristallisera à plus grande échelle l’ensemble des révoltes individuelles de tout un tas d’Emma. Sans être un roman féministe en soi – Emma n’est au final qu’un gigolo au féminin, son émancipation est un flop, avec des objectifs très superficiels, bref c’est juste une looseuse, comme tous les personnages du bouquin –, Madame Bovary raconte les germes du changement, changement qui commence à être assez perceptible dans la société de l’époque pour que Flaubert juge bon d’en tirer un bouquin.
Au final, pas mécontent d’avoir remis le nez dedans, même si la thématique de l’ennui est parfois trop bien rendue, même si le style XIXe me sort par les yeux – d’autant qu’ici Flaubert fait pas mal son cake sur la stylistique et passe un peu trop son temps à s’écouter parler en se rengorgeant de ses effets de manche. On ne peut que donner raison à Flaubie quand il te raconte que les romans à l’eau de rose, la bourgeoisie et le mariage, c’est de la connerie en branche. Parce que c’en est.