Gwendy et la boîte à boutons – Stephen King & Richard Chizmar

Gwendy Peterson court pour perdre du poids.
Profitez bien de cette phrase, parce que la situation initiale est le seul moment du récit à avoir du sens.
Au terme de sa course, un type lui refile une boîte couverte de boutons et manettes permettant au choix d’obtenir une pièce d’argent, un chocolat succulent ou la fin du monde.
Là, tu te dis que le LSD se marie assez mal avec l’écriture d’une histoire qui tienne la route. Et tu as raison.
Perso, je cherche encore l’intérêt de se mettre à deux auteurs pour accoucher d’une historiette aussi faiblarde et aussi creuse. Parce que Gwendy et la boîte à boutons ne raconte
RIEN
DU
TOUT.

Gwendy et la boîte à boutons
Stephen King & Richard Chizmar
Keith Minnion (illustrations)

Le Livre de Poche

Gwendy et la boîte à boutons Stephen King Richard Chizmar Le Livre de Poche

Cent cinquante pages à suivre l’histoire de Gwendy depuis le collège jusqu’à l’université, avec ses hauts et ses bas. Chronique de la vie d’une gamine lambda. Dont l’existence est quand même très banale, avec juste un peu plus de réussite que les autres. Une vie ordinaire alors qu’elle possède une boîte extraordinaire.
C’est ça, Gwendy et la boîte à boutons. Surtout Gwendy tout court en fait, vu que la boîte est le parent pauvre du récit.
Une gentille fable qu’on oubliera très, très vite à cause de son vide abyssal.

Le duo King-Chizmar foire la narration dans ses grandes largeurs en passant par le pire choix possible de point de vue : un narrateur gwendyscient, attaché au moindre de ses pas, qui sait tout d’elle et rien des autres personnages. Le récit fonctionne donc comme s’il était écrit à la première personne mais raconté à la troisième, soit un résultat bancal avec beaucoup de Gwendy au milieu et rien autour. Ça pourrait marcher (peut-être, à la limite, et encore…), sauf que les auteurs ont aussi merdé l’écriture de Gwendy, autant dire qu’à partir de là il ne reste rien à sauver.
Gwendy Peterson, on voudrait l’aimer, parce qu’en tant que personnage elle a du potentiel pour vivre et porter une grande histoire. Jusqu’à la fin j’ai essayé de m’accrocher à elle, d’empathiser, de m’intéresser à son sort. La mayonnaise n’a jamais pris. Oh, elle a une personnalité sympathique mais rien de plus : Gwendy est et reste un simple personnage, pas une héroïne. Il manque quelque chose qui ferait qu’on se passionne pour ce qui lui arrive, on se contente donc de la regarder s’agiter, sans grande conviction ni de sa part ni de la nôtre. Ça valait le coup de se mettre à deux auteurs pour in fine foirer l’écriture du seul personnage de l’histoire, les autres protagonistes ne faisant que passer, réduit à des silhouettes dont on n’a rien à secouer faute d’être un tant soit peu développées.
La boîte, même topo : on s’en fout. Assez vite, on se désintéresse du sujet, vu que l’artefact se retrouve planqué à prendre la poussière dans un coin. Ratage XXL du bidule censé créer du mystère et réduit à un distributeur de confiseries… L’objet surpuissant n’a qu’une présence anecdotique, Gwendy occupant tout l’espace disponible… avec pas grand-chose. Son parcours à l’école, au collège, à la fac, le passage de l’enfance à l’adolescence… Vitesse grand V donc sans détails, sans enjeux, sans tension, sans surprise. On est loin des récits beaucoup plus travaillés de King sur ces moments charnières entre âge innocent, adolescence et entrée dans le monde des adultes (Ça, Le Corps/Stand by me, Christine, Carrie…).

Cette histoire pas bien musclée pourrait en avoir dans le bide. Mais non. Les entrailles sonnent creux. Thématique, sous-texte, on les cherche en vain.
Les boutons de la boîte sont capables de déclencher des catastrophes sur tel ou tel continent, voire de détruire la planète si on appuie sur le bouton noir. Soit un un grand pouvoir entre les mains de Gwendy et un sacré poids sur les épaules. La question du pouvoir absolu n’est jamais abordée. Celle du poids d’une telle puissance non plus. La tentation que représente son utilisation à discrétion, pas davantage. Bon…
Gwendy va se servir d’un bouton, une fois, par curisosité. La responsabilité de la catastrophe qui s’ensuit la remue un peu mais sans plus. La seule phrase “un grand pouvoir implique de grandes responsabilités” dans le Spider-Man de Sam Raimi en 2002 en raconte plus sur le sujet que les cent cinquante pages de Gwendy et la boîte à boutons. Que Gwendy remise la boîte dans un placard symbolise à merveille ce que font les auteurs avec le moindre questionnement : évacuer les interrogations sitôt posées, et encore quand elles le sont. On a très vite envie d’en faire autant avec le bouquin. Alors on va quand même au bout, parce que le livre est court, parce qu’on se dit qu’à la fin, on aura peut-être des réponses, ou au moins des pistes, ou à la limite juste des questions dont on cherchera soi-même la réponse. Non.

La curiosité était censée figurer parmi les éléments centraux de l’histoire. L’inconnu qui remet la boîte à Gwendy le dit lui-même, texto. Alors déjà, quand tu es auteur et que tu te retrouves obligé de préciser de quoi parle ton bouquin dans le corps du texte, c’est que, de toute évidence, tu as foiré ton coup. Si le récit est assez bien écrit pour raconter de lui-même ce qu’il est censé raconter, le lecteur comprend de quoi il retourne sans avoir besoin de le lui préciser noir sur blanc (cf. Roadmaster, qui présente le même défaut).
Là-dessus, ben ça valait le coup de souligner le propos… pour ne rien en faire du tout ! Gwendy est le personnage le moins curieux de l’histoire de la littérature, tous genres, époques et pays confondus.
Elle devine que les boutons provoquent des catastrophes, comme ça, d’instinct, sur la base d’aucune information. C’est pas de l’hypothèse étayée, juste du pif, et elle a du bol de tomber juste. Aucune curiosité de tester l’engin pour vérifier sa théorie. Bon, vu qu’on parle de cataclysmiser des continents, soit, admettons l’effet dissuasif sur une personne bien intentionnée qui n’a pas envie de dézinguer des gens juste pour voir. Mais jamais elle ne se pose la moindre question sur la boîte. Comment elle fonctionne, quelle magie l’anime ? Qui l’a fabriquée ? Pourquoi ? Quel est le lien entre ses différentes fonctions ? Parce que je ne suis pas le dernier quand il s’agit de croiser les effluves avec des éléments qui n’ont rien à voir entre eux (cf. mes nombreux montages Photoshop délirants), mais au terme de ma lecture je cherche encore le rapport entre numismatique, chocolat et apocalypse…
La boîte pond à l’occasion une pièce d’argent : un dollar Morgan de 1891 à l’effigie d’Anna Willess Williams représentant la Liberté. Un modèle précis, toujours le même. Pourquoi celui-ci et pas un autre ? Pourquoi l’an 1891 en particulier ? Peut-être que le symbole est évident pour un lecteur américain. Perso, je vois pas. Et faut pas attendre de réponse via Gwendy qui ne se pose aucune des questions que je viens d’énoncer.
Le chocolat, pareil… Ce qu’il vient faire là, je peux comprendre. Au travers de ses effets sur Gwendy et vu la teneur religieuse du texte – aussi omniprésente qu’implicite –, il s’agit d’un genre d’ambroisie. Après, que cette nourriture divine se présente sous forme d’animal miniature en chocolat, ça, je crois qu’il ne faut pas chercher à comprendre l’intention des auteurs qui se sont contentés d’empiler des idées au petit bonheur en espérant que l’édifice final tiendrait tout seul (spoiler : non, rien ne tient debout). Sur ce sujet non plus, aucune question de Gwendy, donc aucune réponse.
Richard Farris, le gars qui refile la boîte à Gwendy… Bon ben c’est Richard Farris, le gars qui refile la boîte à Gwendy. Voilà. Mec mystérieux qui ne suscite pas davantage d’interrogations de la miss. Cliché ambulant, le type sort de nulle part au tout début du récit. Les auteurs ont eu la main lourde sur la description de sa première apparition pour que le lecteur imagine qu’il s’agit du Diable en personne, au point que la scène frise le ridicule. Évasif, goguenard, enjôleur, un brin carnassier et en même temps d’une franche jovialité… N’en jetez plus, la coupe est pleine. Sans jamais s’y référer de manière implicite, le passage d’ouverture croule sous le religieux. En plein décor champêtre, la scène se pose là comme remake du jardin d’Éden avec Ève/Gwendy, le serpent/Farris, le fruit/la boîte, bref l’attirail au grand complet. Sauf que plus loin on comprendra… enfin, vu le peu d’infos sur le bonhomme, on supposera que Farris tient plutôt de l’ange du Seigneur envoyé sur Terre pour tester les ouailles face à la tentation. Une manie du Big Boss, qui passait déjà son temps dans la Bible à challenger des gens sans histoires, juste comme ça, on ignore pourquoi (voies impénétrables, air connu). En l’espèce, Farris a tout du deus ex machina au sens le plus littéral, donc une astuce grossière en termes d’écriture.
‘Fin ce qui est sûr, c’est que Gwendy fait montre envers Farris de la même curiosité que pour tout le reste. Aucune, donc. Qui il est ? On ne sait pas, elle s’en fout. Pourquoi il l’a choisie ? Parce qu’elle est élue. Soit. Mais par qui ? sur quels critères ? dans quel but ? On sait pas, Gwendy non plus et elle ne cherche pas à savoir.
“Vouloir savoir et agir est le propre de l’espèce humaine.” Dixit Farris qui est censé avoir choisi Gwendy après une longue étude de son cas. Doué, le Farris… Gwendy ne cherche JAMAIS à savoir. Et la plupart, elle n’agit pas, elle est passive, portée par le mouvement de sa vie, une auto où elle serait passagère et en rien conductrice.
L’élue, donc… Ben je crois qu’il va falloir revoir le mode de scrutin, parce que les candidats ne répondent pas du tout aux attentes.

Bilan : une Gwendy à fort potentiel, au final insipide parce que pas exploitée et inerte ; une boîte mystérieuse jarretée dans une cachette donc qui ne sert à rien ; la réflexion sur le pouvoir, la tentation, les responsabilités, le libre arbitre, y en a pas du tout. Aucun des bons éléments du texte n’est creusé. À l’inverse, on a le détail des notes de Gwendy à l’école. Euh, ouais, pourquoi ? Quelle utilité ?… Autre coquetterie absurde, les auteurs insistent beaucoup sur la chronologie et les dates précises de tel ou tel événement de la vie de Gwendy… ce qui est dépourvu d’intérêt voire contre-productif. Rien ne relie l’existence de Gwendy à des événements du monde réel, à l’Histoire, donc la précision du calendrier ne fait jamais sens. Les événements se déroulent dans les années 70-80, ils pourraient aussi bien se passer maintenant, à la Belle Époque, en 1650, rien ne changerait sur le fond. Pire, le récit perd en intemporalité, ce qui aurait pour le coup mieux cadré avec l’ambiance fable (“il était une fois…”, “a long time ago in a galaxy far, far away…”).
À l’évidence, fallait faire beaucoup plus court : une fable gentillette et sans prétention au format nouvelle serait parvenue au même résultat. Ou alors rallonger la sauce en densifiant le propos, les personnages, la thématique, enfin écrire, quoi, pas torcher ce gloubiboulga qui se situe quelque part entre le brouillon et le gâchis.
Deux auteurs pour accoucher de “ça”. Sans déc’, les gars, vous vous moquez de qui ?

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