En août 1980, deux Nimitz, retour vers l’enfer (The Final Countdown en VO, aucun lien de parenté avec la chanson d’Europe) sortent, l’un au cinéma, réalisé par Don Taylor, l’autre en librairie, écrit par Martin Caidin. On lit souvent que le premier est une adaptation du second, c’est inexact. Le second n’est pas davantage une novélisation du premier : c’est le scénario original qui a été novélisé, pas le film définitif projeté en salles, d’où quelques différences entre le papier et la pellicule.
Dans un cas comme dans l’autre, le résultat n’a rien de bien palpitant, en témoigne l’enthousiasme palpable de Kirk Douglas sur l’affiche. Et tout au long du film aussi. L’acteur en oublie de jouer tellement il est occupé à se faire chier et à se demander ce qu’il est venu faire dans cette galère à propulsion nucléaire.
Le film, on peut le trouver en Blu-Ray, Laserdisc, VHS, DVD, VOD, DTC ; quant au bouquin, il a été édité en France chez J’ai Lu.
Or donc, en 1980, le porte-avions Nimitz, fleuron de la flotte américaine, grenouille dans le Pacifique. Jusqu’au moment où le voilà pris dans une tempête électromagnétique qui le catapulte en 1941. D’où le “retour”, dans le temps mais pas que, puisque le bâtiment tient son nom de Chester Nimitz, amiral pendant la Seconde Guerre mondiale, qui se trouve donc à revenir de façon symbolique sur les lieux du crime, en l’occurrence Pearl Harbor.
Voilà une prémisse intéressante qui promettait du lourd et n’accouchera in fine que d’un film en bois où on s’ennuie ferme.
Les possibilités ne manquaient pas, pourtant. Option 1, une intervention limitée pour ne pas trop bidouiller l’Histoire en se bornant à prévenir Pearl Harbor de l’attaque imminente. La trame chronologique connue serait restée inchangée avec juste un peu moins de casse côté US le 7 décembre. Plan B, choix le plus cinématographique : rallier Pearl Harbor et défendre la base, anciens et modernes main dans la main (symbole, tout ça, tout ça), grosse baston finale qui en met plein la vue, Histoire à peu près respectée (l’attaque a lieu comme prévu avec le Japon qui porte le premier coup de la guerre), pour un bilan en pertes moins élevés chez les Américains et beaucoup plus chez les Japonais. Enfin, le Nimitz pouvait tenter d’intercepter les Japonais, pire option au plan tactique (un porte-avions tout seul, même très en avance sur son temps, ne tient pas tout seul sans escorte face à une flotte complète de cinquante navires, qui plus est renforcée par une aviation pléthorique de quatre cents appareils chargés ras la gueule de bombes et torpilles) mais qui aurait ouvert une uchronie intéressante avec une déclaration de guerre de facto des Américains de 1981 aux Japonais de 1941. C’est ce choix que prendra le commandant du Nimitz dix minutes avant la fin du film. Sauf que la fin de la pellicule approche, nouvelle tempête, retour aux années 80 sans avoir rien pu tenter… Ça valait le coup…
Le mot d’ordre du film, conservateur dans l’esprit, c’est de ne surtout pas changer l’Histoire, donc de ne surtout rien faire. Jusqu’au bout on attend. En vain. L’uchronie fait plouf, les what if ne sont jamais exploités et la tension dramatique peine à s’installer en dépit d’un enjeu de taille, la faute à un rythme mou du genou. Ben ça valait le coup de mettre en scène un porte-avions pour pondre un film qui ne décolle jamais !
Et y a même pas de vraies interrogations sur la trame temporelle, sa modification, la légitimité ou pas d’intervenir, qui rattraperaient le coup par un versant réflexif. On croise bien quelque bouts de question mais sans approfondir la réflexion.
Ne reste qu’un clip à la gloire de l’aéronavale américaine (dont le seul fait d’armes du film sera d’avoir abattu deux Zero avec des F-14, v’là la gloire facile…).
Bon, en creusant un peu, on apprend que la baston aéronavale XXL, pas prévue parce que pas de budget. La mise en scène plate, rien d’étonnant chez Don Taylor qui est un faiseur correct mais sans style. Ajoute à ces fondations branlantes un tournage certes facilité par la Navy qui prête le Nimitz (oui, oui, le vrai porte-avions) et en même temps compliqué par la Navy qui ne veut rien dans le film susceptible de ternir son image. Plus des changements de script en cours de tournage, parce que le scénar avait été écrit par un gars ignare en matière de combat aérien et naval. Plus des gens virés en cours de route, remplacés par d’autres qui prennent le train (et le bateau) en marche.
Conditions de tournage idéales, donc… Avec un parcours aussi tortueux, tu m’étonnes que le résultat soit un film qui donne l’impression de ne pas savoir où il va !
L’idée de départ n’est même pas neuve, Ryō Hanmura l’avait déjà eue en transplantant des soldats japonais en pleine période féodale dans son roman Sengoku Jieitai, adapté au cinéma sous le même titre au Japon et sous plein d’autres noms ailleurs (G.I. Samurai, Time Slip, Les Guerriers de l’Apocalypse), remaké en 2005 en tant que Samurai Commando Mission 1549.
Au moins, Hanmura, lui, il est allé au bout du truc. Parce que tu peux pas juste prendre un élément du futur, le poser dans le passé et ensuite ne rien en faire. Sinon, autant écrire direct une œuvre historique. Ce que ne fait même pas Nimitz qui montre avant tout des décollages, des appontages et la vie quotidienne à bord d’un porte-avions. Dans le cadre d’un documentaire, ce serait super mais pour de la SF, c’est aussi insuffisant que hors sujet. Ne pas avoir exploité l’uchronie, fallait oser…
Glissons en aparté qu’en 2009, Beauverger reprendra le concept du porte-avions expédié a long time ago dans Le Déchronologue.
Tiré du scénar d’origine, Nimitz format papier raconte peu ou prou la même chose que la version ciné, soit rien de plus que d’interminables atermoiements mâtinés de patriotisme et de conservatisme. Le roman a au moins le mérite d’être court (256 pages). La fin du film était à chier, celle du livre se contente d’être nase. Au lieu d’un dénouement en queue de poisson, on a droit à quelques explications supplémentaires, entre autres l’origine de la tempête temporelle. Ouais ben je vais pas spoiler, mais c’était mieux quand on savait pas. Parce que rien ne tient debout dans ces dernières pages qui redéfinissent la notion de serpent qui se mord la queue. Pire, elles entrent en contradiction avec tout ce qui avait été évoqué depuis le début. Changer l’Histoire en intervenant dans l’attaque de Pearl Harbor, c’est mal, disaient-ils. Par contre, on a infléchi toute l’Histoire des quarante années qui suivent mais ça, ça gêne pas. Ah bon ?…