Zanzara – Paul Colize

Paul Colize fait partie de ces auteurs qui ne me facilitent pas la vie.
Back Up, Un long moment de silence, Concerto pour 4 mains… Il me bluffe à chaque fois. Un point en sa faveur… jusqu’au moment de le chroniquer.
Un bon livre… un très bon roman… un excellent bouquin… Un jour ou l’autre j’atteindrai le dernier barreau de l’échelle. Après… Course à l’armement sémantique ? escalade dans le superlatif ? fromage ou dessert ?… Ou alors, air connu, “faudrait que j’invente des mots qu’existent pas dans le dico”.
En plus, le bougre écrit bien et même mieux que ça. Je dois mettre les bouchées doubles sur la rédaction. L’impression de jouer dans Deep Throat ou une de ses multiples resucées.
Chroniquer le Paulo, une sacrée paire de manches, je te le dis. La solution ? Un marcel.

Zanzara
Paul Colize
Fleuve noir

Couverture Zanzara Paul Colize Fleuve noir

Zanzara, roman noir, thriller politique, polar, étude de caractère, un peu de tout, de tout un peu.
Ce bouquin raconte avant tout l’histoire de Fred. Comme le Port-Salut, c’est marqué dessus : zanzara, moustique en italien, est le surnom dudit Fred. Un choix de patronyme qui à lui seul mérite la note de 23 sur 10. (Nota bene : le fait que je porte le même prénom n’a évidemment aucun rapport.)
Le Fredo, on le découvre en plein tour sur le bolide. Mario Bros, la moustache en moins, il appuie sur le champignon. À fond les manettes sur le périph’ bruxellois. À contresens, parce que sinon c’est pas drôle.
Le type que tu vois d’emblée comme une tête brûlée échappée de Jackass, un trouduc / m’as-tu-vu / inconscient / débile / superficiel / en quête de son quart d’heure de gloire (entourez la bonne réponse ; plusieurs choix possibles).
Il mène une existence survoltée qu’a l’air remplie de loin, palpitante et creuse comme une flûte à bec quand tu mets le nez dedans. Fred n’a pas de vie à lui. Hyperconnecté à tout donc à rien. Son boulot de pigiste consiste à compiler le taf des autres, les journalistes de terrain. Il se tape Camille, la femme d’un autre (et comme telle disqualifiée pour le titre de Camille honnête). Les défis qu’il relève lui sont proposés par un tiers. Que d’autres, que d’autres, comme dirait l’autre.
Reconnaissons au bonhomme un panache certain (un comble dans la patrie de la bière…). On n’en dira pas autant de ses choix vestimentaires. Genre de James Dean bariolé dont les fringues improbables surpassent les célébrissimes limouilles de Maxime Jillio* (*NDLR : le nom a été modifié).
Fred a tout de l’antihéros sorti de Fast and Furious 15. À un détail près : Zanzara pèse 300 pages quand la saga ronflante tient sur un timbre poste plié en seize.
Le Fred ne vient pas de nulle part pour mieux y retourner en attendant l’opus suivant. Il a un passé qui fait que. Le colonel Moutarde a tué ses parents avec le marteau en mousse dans la bibliothèque rose. Je déconne… Nan ? Si, si, j’te jure ! Bref, lis le bouquin, Colize te racontera, c’est son boulot, pas le mien. Et il fait ça très bien !
Fred, tu vas apprendre à le connaître, tu finiras par le comprendre, l’aimer même, lui souhaiter mieux qu’un citius, altius, fortius suicidaire.
C’est ça, Zanzara, une tranche de Fred. Ok, il y a une enquête en plus, mais quand tu regardes de près, elle sert surtout à raconter Fred. L’assiette sur laquelle repose la tranche.

Détournement Zanzara Apocalypse Now par Un K à part

Les liens humains forment le cœur de Zanzara. Liens dans tous les sens du terme, ils connectent, nourrissent ou entravent. Le thème de la famille – de sang (Fred et ses parents, Greg, Raf et son paternel, Natasha…) ou d’adoption (Camille, la team des cyberpigistes) – est omniprésent, ça n’étonnera personne.
On peut tisser du lien social comme on déviderait une bobine, ou juxtaposer les tableaux d’une galerie de personnages chacun dans son petit cadre sans vie. Colize, lui, insuffle de l’émotion. De la vraie, sans artifices, facilités, pathos à deux ronds.
Comment ? D’après mes sources, il a bossé ses personnages (mille mercis, Jacques de La Palice !) et leurs relations (thanks, Captain Obvious!).
Il a aussi abandonné toute espérance les dernières fantaisies d’auteur pour revenir au verbe nu, un virage amorcé dans Concerto pour 4 mains, très épuré dans le phrasé.
Le Paulo n’a jamais été adepte du style tapageur, des figures acrobatiques ou de l’esbroufe qui fait passer les auteurs pour des magiciens des mots. Pas de show à la Vegas, lui a toujours été le sorcier discret. Avec Zanzara, il repousse les limites, comme son allumé de Fred.
Fini de reprendre la dernière phrase d’un chapitre pour la coller en titre, terminé le jeu sur deux ou trois trames narratives bien délimitées et autant de points de vue.
Les mots nus, l’émotion, la base.
“Dans les Écritures, il est écrit : “Au commencement était le Verbe.” Non ! Au commencement était l’émotion. Le Verbe est venu ensuite pour remplacer l’émotion.” Céline dixit. Colize fecit.
À quelques inserts près, tout le roman passe par les yeux de Fred… qui s’offre pas mal de plongées dans la mémoire et se voit dans le regard des autres. Façon habile de fusionner la construction multiple, les temporalités et points de vue.
Dans chaque phrase, les mots nécessaires, pas un de plus, pas un de moins. Les bons, ceux qui touchent, dans un style simple mais pas simpliste – le plus difficile à maîtriser, soit dit en passant.
Aucune fausse note.
Colize fait du Colize sans refaire du Colize. Pour te le situer sur une carte, imagine une cité franche entre la république du “c’est toujours pareil” et le royaume de “c’était mieux avant”, une zone que beaucoup cherchent sans jamais la trouver. Lui, c’est le bourgmestre.

Keep calm and burn adverbs

(Ce roman a été récompensé par un K d’Or.)

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