Vingt ans de grogne et de gloire avec l’Empereur
Jean-Roch Coignet
Éditions de Saint-Clair
Ancien du 1er régiment des grenadiers à pied de la Garde, Jean-Roch Coignet rédige ses mémoires entre 1848 et 1850 suite au décès de sa femme. Au gré de ses souvenirs, il revient sur l’épopée napoléonienne, à laquelle il a participé en grenouillant à travers l’Europe entière (France, Italie, Prusse, Autriche, Russie, Espagne). Conscrit en 1799, il sera sur tous les fronts jusqu’en 1815, participant à 16 campagnes et 48 batailles sans jamais recevoir la moindre blessure. Le mec, c’est Bruce Willis dans Incassable !
On s’en doute rien qu’au titre pétaradant de gloire impériale, le texte participe de la légende napoléonienne. Toutes les infos ne sont pas à prendre au premier degré, certaines faussées par la mémoire, d’autres parce que le témoin est humain avec ce que cela suppose d’interprétation subjective des faits et de petits arrangements avec l’Histoire. S’ajoute aussi le biais de l’Empereur, rayonnant de toute-puissance, connu pour subjuguer les hommes et galvaniser la troupe.
Mais c’est aussi ce qui fait l’intérêt de ce bouquin, ce prisme avec son lot d’erreurs, de mauvaise foi et d’aveuglement : on voit par l’intermédiaire de Coignet la fascination qu’a pu exercer Napoléon, capable de faire traverser à ses soldats toute l’Europe à pinces pour aller se frotter aux Russes, à domicile et en plein hiver.
Marrant de voir que c’est parce que certains éléments sont sujets à caution au plan historique que le bouquin a un intérêt sur ce même plan historique pour mieux cerner la personnalité et l’influence de Bonaparte sur le Français lambda de l’époque.
Sinon, pour la partie fiable du récit – qui constitue quand même le plus gros du texte, parce qu’il s’agit bien de mémoires, pas d’une réécriture uchronique de l’Histoire –, les aventures de Coignet constituent une mine de renseignements sur la vie aux armées.
Dès l’intro, l’auteur nous apprend que c’est sous les drapeaux qu’il a appris à lire et écrire grâce à deux vélites, soit des soldats recrutés dans les classes aisées, alors que lui était un enfant pauvre. Un élément parmi d’autres sur le quotidien ses soldats qui ne passent pas leur temps qu’à s’entraîner et se battre, sur le brassage au sein des armées napoléoniennes et sur la fraternité entre compagnons d’armes dont les tribulations communes abolissent tout ou partie des distinctions sociales. On appréciera l’ironie d’une armée impériale qui aura réussi là où le service national de la République aura échoué après 1945…
Donc un bouquin à lire comme une épopée, parce que c’en est une, l’histoire à la fois authentique et enjolivée du jeune Jean-Roch Skywalker suivant les traces de Napoléon Bonaparte, le parfait mix entre Sauron et Alexandre le Grand.
À lire aussi pour méditer sur l’enthousiasme de Coignet face au charisme et au magnétisme d’un Napoléon qui savait où appuyer pour embarquer n’importe qui n’importe où. Le même leadership qu’Alexandre que je viens de citer, ou César, ou Hitler, ou même De Gaulle. Le cas de Coignet montre à quel point il peut être difficile de garder les idées claires face à des personnalités pareilles. Et c’est bien pour cette raison que les assoiffés de pouvoir, jamais faut les laisser concentrer dans leurs mains le politique et le militaire. Y a pas d’exemple historique où ça se soit bien terminé.