Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres – Maxime Gillio

Après Des coccinelles dans des noyaux de cerise et L’avocat, le nain et la princesse masquée, on continue la série des titres improbables avec Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres.

Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres
Maxime Gillio
Pygmalion

Couverture Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres Pygmalion

Pas évident de chroniquer ce chant d’amour et de douleur qui met le point sur le i et les barres aux t du mot autiste.
Où le classer déjà ? C’est marqué “récit” sur la couverture. Quelle précision ! A part les essais et les manuels scolaires, toute la littérature n’est que récit depuis 4000 ans.
Même s’il n’est pas si vieux, Gillio en sait quelque chose. De moins en moins évident à étiqueter aussi, lui. Avant, tu le casais en polar/roman noir et hop. Et puis, il y a eu Grand méchant loup.com, Manhattan Carnage, Rouge armé (roman noir certes, mais très éloigné de sa zone de confort par l’aspect historique prédominant). Avec Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres, il va pouvoir ajouter une nouvelle casquette à sa collection de chapelier fou.
Témoignage d’un parent d’autiste, autobiographie, chronique familiale, essai au détour de certains paragraphes, déclaration d’amour paternel… En un mot protéiforme. Tu peux même le ranger en littérature épistolaire, vu que les textes d’origine s’adressaient du père à la fille comme autant de lettres en poste restante sur Asperger mon amour.

Deuxième question, à qui s’adresse ce livre ? Là, c’est plus facile de répondre. A tout le monde.
Ok, de prime abord, tu te dis que les tranches de vie d’une enfant autiste et de son paternel ne s’adressent qu’à la niche des premiers concernés. M’enfin, quand tu comptes 650000 autistes en France, que tu ajoutes le double de parents, plus des frères et sœurs, grands-parents, cousins, proches divers, ça chiffre en millions. La niche modèle Versailles, triple XL.
Deuxième cible, les gens comme toi. A travers ce bouquin, tu apprendras pas mal de choses sur l’autisme en tant que tel. Davantage encore sur ce que c’est au quotidien, dans la rue, à l’école, dans le vécu et le ressenti. Une vie à mille années-lumière de la tienne, un voyage aussi dépaysant qu’une virée sur Dagobah ou dans les Terres du Milieu. Une ouverture sur l’autre, différent dans sa… euh… différence (sic), et pareil dans son humanité.
Pour cette raison, en cible deux bis, je le conseille à tous les trous du cul adeptes de l’ostracisme, de traitements psycho-médicaux dignes de Torquemada ou d’une vision de l’autisme qu’était peut-être à la pointe en 1850 sauf qu’on est en 2017. Le rejet n’a jamais été une solution, en tout cas pas une bonne, l’Histoire le prouve. Lisez ce bouquin, vous deviendrez peut-être un peu moins cons entre la première et la dernière page, c’est ce que je vous souhaite de mieux (en deuxième vœu figure “être pulvérisé par un bus”, faites le bon choix).
Après, au-delà de l’autisme, ce témoignage est celui d’un père, les questions qu’il se pose et qui l’angoissent passent par la tête de tous les parents. Peut-être pas avec la même acuité pour un gamin lambda, mais sur le fond n’importe quel parent concerné par sa progéniture a la tête farcie d’interrogations sur le devenir de son gamin (études, drogue, sexe, travail… les sujets ne manquent pas). Si vous avez des gosses, ce livre a des choses à vous dire.
Enfin, pour revenir à l’autisme et le redépasser dans la foulée, c’est toute la question de la différence qui baigne la prose de Gillio. Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres parlera à toute personne victime de rejet parce qu’elle n’est pas “comme il faut”. Soit les 95% de la population mondiale qui ne collent pas au profil de l’homme blanc hétéro, bien portant, propre sur lui et pété d’oseille. Bien des paragraphes fonctionnent en remplaçant le mot autiste par un autre. Noir, juif, homo, femme, beur, handicapé, chômeur, immigré, vieux, pauvre, gros, tatoué… On dirait un programme du IIIe Reich… Ce ne sont pas les petites ou grandes différences qui manquent pour mettre quelqu’un sur la touche. C’est quand même dommage au XXIe siècle, dans le pays dit des Lumières et qui arbore dans sa devise les mots égalité et fraternité.
Autant dans le témoignage brut que dans les implications plus profondes, il y a pour chacun quelque chose à apprendre et à méditer dans cette histoire de doigt dans le nez.

Dans ces tranches de vie, le père Maxime et l’auteur Gillio travaillent de concert. Partition à deux et quatre mains où la forme est au service du fond, d’une grande justesse dans le propos, le ton et le choix dans les mots (à défaut de la date, on le sait très friand de cette contrepèterie).
Un texte très bien écrit mais sans effet tape-à-l’œil puisque Gillio n’est pas là pour donner dans l’esbrouffe stylistique. Il mobilise son talent d’écrivain pour dire les choses avec des mots simples mais qui marquent. Son récit fait mouche grâce une sobriété plus efficace que des tonnes de pathos et de tire-larmes à deux ronds cinquante. Oui, il y a le handicap, les doutes, les angoisses, la tristesse, la honte, l’épuisement, la souffrance… que t’en viens à te demander quand tu croises Gillio dans un salon comment il tient encore debout, avec le sourire, à balancer vanne sur vanne. Mais justement, il y a l’humour, les moments de rire et de tendresse, l’amour d’un père (et non, je ne sortirai pas un lieu commun sur la “force de l’amour”).
Gillio raconte des moments très durs mais pas que. Certains instantanés s’intercalent comme autant de bouffées d’hélium pour ne pas rendre le bouquin anxyogène au dernier degré. Beaucoup d’anecdotes sont drôles vues de l’extérieur, à commencer par celle qui donne son titre à l’ouvrage. Dans le même temps, tu comprends que les parents soient mortifiés, tu empathises. Le décalage est tel qu’il crée un effet autant comique que dramatique. La grande force de ce bouquin est là, restituer la vie, par petits bouts, ni noire ni blanche ni grise ni rose, kaléidoscope qui passe de l’une à l’autre couleur et associe les teintes les plus improbables (en plus de t’assurer la victoire au Scrabble). Tout le spectre y passe, comme dirait James Bond. On en dira autant de la palette d’émotions qui accompagne le lecteur dans ce qu’il faut bien appeler une épopée autistique.

Parce que, quand tu compares la vie de la famille Gillio avec L’Odyssée, tu te demandes si ce n’est pas le même tour operator foireux qui a organisé le voyage. Et encore, Ulysse à la fin, il rentre chez lui, retrouve sa dulcinée et son moutard, happy end. Gillio, lui, elle, eux, ont pris perpète.
Perspective qui a de quoi coller les chocottes, il l’avoue lui-même. Mais, tel un héros grec, Maximos au chiton bariolé ne baisse pas les bras. Il n’aime pas les clichés, je lui épargnerai donc celui sur la “leçon de courage”, tant dans sa lutte sisyphienne de tous les jours que dans sa mise à nu via ce récit. Je me contenterai de l’applaudir avec mes deux mains, il comprendra.
On se sent tout petit à côté. Pas parce qu’être confronté à la différence le grandirait lui – ça userait plutôt qu’autre chose –, mais parce qu’on se demande ce qu’on ferait dans la même situation… est-ce qu’on aurait la même endurance sur le long terme ?… parce qu’on a surtout le luxe de se poser la question dans l’abstrait.
Pour peu qu’on ait deux sous d’humanité, on se sent aussi un peu moins petit que d’autres. Comme les démons ou les Romains, le nom des obstacles est Légion, car ils sont nombreux. Chaque jour un Charybde, Scylla ou Polyphème à se coltiner. En premier lieu, un retard français considérable en matière d’autisme. On parle moins de l’évasion scolaire que de la fiscale, mais suffit de voir combien de parents envoient leurs gamins autistes à l’école en Belgique. En France, on leur dit poliment d’aller se faire foutre et seuls 20% sont scolarisés dans les établissements dits “classiques” (i.e. classes ULIS, rien que le nom, tout un programme). Là-dessus s’ajoute l’incompétence de certaines gens qu’on croise dans le bouquin. Parfois désarmés (parce que retard français, donc personnel pas formé), d’autres fois juste des gros cons.

“L’enfer, c’est les autres” a dit un jour un célèbre bigleux. Plus d’un passage dans ce livre m’a amené à me demander qui était vraiment handicapé. J’en arrive à la même conclusion que Hugo Horiot, comédien et auteur. “Nous sommes dans une société autistophobe et, plus généralement, « handiphobe ». (…) C’est notre société qui est malade des contraintes de la normalité.” La moitié du handicap autistique est sociétal et vient des autres, pour en arriver à des aberrations délirantes qui relèvent de la peur, de l’ignorance et/ou de la haine – les trois vont souvent de pair. Note que ça n’a rien d’étonnant, l’évolution des mentalités de ces dernières années rime avec le non, le rejet, le pas de ça chez nous, pour une société toujours plus exclusive, plus conne qu’hier et moins que demain.
“Une ancienne élève à moi a eu un garçon diagnostiqué autiste. Le pédopsychiatre qu’ils ont consulté a eu l’obscénité de lui dire que si son fils était handicapé, c’était certainement parce qu’elle était française, alors que le père de l’enfant était d’origine marocaine.” (p.38)
Tout s’explique ! En plus de voler le travail de nos chômeurs, les immigrés viennent pourrir notre beau et pur patrimoine génétique national. Pétain, au secours !…
Consternant. Je ne vois pas d’autre mots, ou alors des gros.
Voilà où en est avec les autistes (et les Marocains) dans le “pays des droits de l’homme” (lol puissance 10). J’ai vérifié l’arbre généalogique de Gillio : aucun lien de parenté entre les clans MaxGillio et MacLeod. Il n’est pas né dans les hautes terres d’Ecosse il y a 400 ans, il n’a pas enseigné dans les années 1830, il rapporte un propos tenu au XXIe siècle par un professionnel (sic) de santé.
En cela, Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres est un ouvrage salutaire. Il ouvre les yeux sur le chemin à parcourir en matière d’inclusion, dans les institutions comme dans les caboches, pour que les autistes aient droit à une vraie place dans le monde, pas juste dans le cœur de leur parents. Et ça ne va pas se faire tout seul.

Un beau texte, une saine lecture, ce livre ne dépareille pas dans ma bibliothèque. Ni au-dessus, ni en dessous, ni à part. Avec les autres, comme ses si différents semblables.

Une réflexion sur « Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres – Maxime Gillio »

  1. Très belle chronique ! Je vois que l’ouvrage t’a beaucoup plu. J’espère le lire aussi, il faudra que j’investisse un de ces jours. C’est le genre de sujet, très humain, qui me parle.

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