Filles d’aujourd’hui, enfants de la forme,
Nous aimons rire et danser.
Vienne minuit, quand d’autres s’endorment,
Nous devenons pour la nuit
Trois vives panthères qui en un éclair
Savent bondir sans un bruit.
Sœurs et solidaires, sur terre ou en l’air,
Relevant tous les défis.
Cat’s Eyes, signé Cat’s Eyes,
Cat’s Eyes, signé, signé Cat’s Eyes.
Voilà, maintenant que je vous ai mis ce générique entêtant dans la carafe, retour sur un dessin animé qui a marqué ma jeunesse : Signé Cat’s Eyes !
Signé Cat’s Eyes est la version française – que je mets en gras, parce que le détail a son importance et pesait beaucoup à l’époque en termes de manipulation de l’œuvre – de la série d’animation adaptée du manga (plus ou moins) éponyme.
Sur le détail du manga, on reviendra dans une autre chronique. On le doit au crayon de Tsukasa Hōjō (ou Hōjō Tsukasa dans l’ordre japonais nom/prénom), dont c’est la première grosse série publiée, en l’occurrence dans le magazine Weekly Shōnen Jump entre 1981 et 1985. Par la suite, les épisodes seront regroupés en 18 volumes pour la version japonaise et en un nombre à géométrie variable pour les différentes éditions françaises.
Ce mangaka est également connu pour City Hunter (ou Nicky Larson en France, où on se croit toujours obligé de rebaptiser les œuvres).
En VO, le manga s’intitule キャッツ♥アイ, transcrit CAT’S♥EYE tout en majuscules qui piquent les yeux. L’anime, diffusé en 1983-84 pour la saison 1 réalisée par Yoshio Takeuchi et 1984-1985 pour la saison 2 de Kenji Kodama, s’appelle au Japon CAT’S EYE キャッツ・アイ, sans le cœur au milieu. Quant au film live de 1997, il porte le même titre que l’anime.
Le dessin animé arrive en France en 1986 et comme toute œuvre étrangère à l’époque, et surtout japonaise, voit l’intégralité de son onomastique massacrée dans la joie et la bonne humeur franchouillardes. Tous les noms des personnages sont modifiés, jusqu’au titre lui-même, comme ç’avait déjà été le cas pour Harlock/Albator ou Grendizer/Goldorak. Signé Cat’s Eyes, pourquoi pas ? Mais aussi pourquoi ? Le “signé” ne s’imposait pas, on le voit bien dans chaque épisode que les trois donzelles laissent leur signature à chacun de leur passage. Quant au pluriel sur eyes, il est carrément débile. Déjà, sur la carte de visite, le chat cligne de l’œil, donc le singulier marche mieux. Et puis si l’auteur japonais a choisi le singulier, ce n’est pas par hasard, la prononciation est la même que le kanji 愛, amour, qui est on ne peut plus dans le ton pour une romance (jeu de mot qui sera poussé encore plus loin dans un manga ultérieur, Cat’s Ai, qui combine l’œil, l’amour et le prénom japonais d’Alexia, les trois se prononçant à l’identique).
Romance mais pas que, la série combine aussi action et policier. Comme il n’y a pas d’exposition en tant que telle dans l’épisode d’ouverture, il faudra regarder les quatre ou cinq premiers épisodes pour capter tout à fait de quoi il retourne.
Or donc, la police poursuit un voleur d’œuvres d’art qui pille les musées et collections privées en laissant derrière lui une carte de visite frappée d’un chat rouge et signé Cat’s Eye. Le chef de la police est au bord de l’apoplexie face à tous ces forfaits (et face à plus ou moins tout, en fait, il passe son temps à gueuler). Son subordonné, Quentin Chapuis, mène l’enquête pour démasquer le malandrin, sans succès jusqu’ici.
Pendant ce temps, les sœurs Chamade – Sylia (ou Cylia selon les graphies), Tamara et Alexia – tiennent un café, le Cat’s Eye, avec pour enseigne le même chat que celui de la signature du voleur. Personne ne fait le lien. Elle est belle, la police…
Il se trouve que Cat’s Eye n’est pas un mais trois, et pas voleur mais voleuse. Il s’agit en effet des sisters. Lors d’une poursuite dans le premier épisode, Quentin se rendra compte de la chose en plaquant Cat’s Eye au sol lors d’une poursuite et en l’attrapant au niveau de la poitrine dans le feu de l’action. On ne cherchera pas à comprendre pourquoi après avoir fait part de sa découverte à son supérieur et à ses collègues, ces derniers s’obstinent à continuer d’employer le masculin dans la VF pour désigner Cat’s Eye (sans doute un mélange à parts égales dans l’audiovisuel français de patriarcat et de traduction à chier).
Histoire de compliquer les choses et donner tout son sel à l’histoire, il se trouve que Tam est en couple avec Quentin, ce qui fait qu’outre les vols spectaculaires, la série raconte leurs péripéties sentimentales, entre difficultés ordinaires et complexité maousse, because activité secrète de la première pas compatible avec le métier de son cher tendre et promesse de celui-ci de l’épouser après avoir arrêté Cat’s Eye. L’un et l’autre ne sont pas aidés par leur maturité sentimentale qui doit être celle d’un enfant de 6 ans (genre, ils sont amoureux depuis le lycée, sortent ensemble depuis la fac, et après quelque chose comme au moins deux ans ensemble ne se sont encore jamais embrassés).
Si au début on ignore pourquoi les frangines chouravent des tableaux, bijoux et sculptures, on découvre assez vite leurs motivations. Elles cherchent leur père et espèrent le retrouver grâce à d’éventuels indices dissimulés les œuvres d’art qu’il collectionnait.
C’est le point faible de l’histoire : tout réside sur une supposition gratuite des trois sœurs, étayée par rien. Pire, le gars a disparu à la fin de la Seconde Guerre mondiale, sa collection a été dispersée dans la foulée. Depuis plus de nouvelles de lui… mais il a quand même trois filles nées bien plus tard par on ne sait quel miracle. Cat’s Eye se déroule dans la première moitié des années 80 et s’étale sur deux, trois ans, Tam affiche 22 ans au début de la série, Alex 16 ans (et pas 14 comme il est dit dans l’épisode 5, mal traduit) et l’âge de Sylia, s’il n’est jamais donné, peut être estimé à 26 ans d’après les rares infos glanées dans la VO de l’anime et du manga. Leur père a disparu en 1945 des années avant la naissance de la plus âgée. Sur ce prodige à rendre jaloux Marie – une seule immaculée conception, c’est petit bras en comparaison –, on n’aura pas d’infos du côté de la mère qui est à peine évoquée (un épisode et au revoir, madame). Un jour, j’aimerais comprendre.
Bref, le but annoncé des sœurettes est de retrouver leur paternel, c’est aussi celui du manga qui propose une fin fermée sur le sujet, avec une résolution de l’ensemble des arcs narratifs (qui sont au nombre de deux, ça ne va pas consommer des tonnes de flèches). Histoire d’éviter toute déconvenue quand vous arriverez au dernier épisode de la série d’animation, sachez que c’est pas du tout pareil que dans les bouquins. Fin ouverte avec rien de résolu ni sur la quête du paternel ni sur le couple Tam-Quentin, qui pouvait laisser présager une troisième saison dont le dénouement aurait raccordé avec celui du manga du manga mais dont on n’a jamais vu la couleur.
Le bon côté, c’est qu’on a deux fins différentes à se mettre sous la dent. J’aurais tendance à conseiller de commencer par l’anime qui se clôt dans une ambiance to be continued ad eternam pour se taper ensuite le manga avec une vraie conclusion à la clé.
La série fonctionne très bien, même si elle n’est pas exempte de défauts. Je ne vais pas revenir sur l’improbable chronologie de la saga familiale des sœurs Chamade à la recherche d’un père qui n’a pas pu les enfanter.
Les 73 épisodes ont, au bout d’un moment, tendance à se ressembler un peu sur leur structure. En plus de Quentin qui se fait engueuler par son chef à la moindre occasion, à raison de trois, quatre fois par épisode, on a un vol pour la partie d’action et par-dessus un problème à résoudre, soit parce que l’identité des Cat’s Eye risque d’être percée à jour, soit centré sur la relation entre Quentin et Tam. Chaque épisode dure 20 minutes, ce qui est trop court pour bien développer, tout est donc express. Et comme on a vite fait de les enchaîner, on peut vite saturer de la répétitivité de certains schémas. Après, c’est fun, pas prise de tête, bien balancé entre romance et action.
L’animation a pris un coup de vieux, même si elle reste très regardable. Pour ma part, ça me va, parce que j’ai été biberonné à ce type de dessin animé qui est ma norme. Pour des jeunes de maintenant, je ne sais pas. On peut y trouver un charme vieillot comme celui des films en noir et blanc comparés aux productions contemporaines tout en CGI 4K 3D dolby surround à polarité inversée. Toujours est-il qu’on n’est pas sur un monument de fluidité et que la perspective n’obéit pas aux mêmes lois de l’optique que dans notre monde (comme dans Goldorak). Par exemple, certaines scènes de poursuite en voiture paraîtront très statiques, notamment de face, avec une animation en boucle sur les véhicules, des décors latéraux hyper basiques qui défilent et un arrière-plan fixe, le tout donnant l’impression que ce sont les côtés de la rue qui bougent pendant que les bagnoles tressautent sur place. Mais bon dans l’ensemble, l’animation fonctionne, le graphisme reste quant à lui de bonne facture et la mise en scène sait être au top dans les moments-clés niveau cadrage et jeux de lumière pour donner de belles scènes.
L’ambiance début des années 80 n’a pas trop vieilli en dépit de ses téléphones fixes. Perso, j’ai connu cette époque et sa technologie, donc cet environnement sans Internet ni smartphones, où les ordinateurs ont des claviers à huit touches et affichent des graphismes simplistes en fils de fer, ça me parle. De mon point de vue d’ancêtre, il en ressort une ambiance un chouïa rétro et surtout intemporelle. Pour des jeunes spectateurs et spectatrices de maintenant, mystère sur ce que pourrait être leur ressenti devant ces temps jadis…
Alors oui, là, j’ai utilisé les deux genres. Parce que même si le manga est catégorisé shōnen, donc destiné à un public adolescent masculin niveau collège-lycée, la série est sans conteste mixte. Déjà, par principe, parce que les trucs qui seraient genrés par définition, c’est de la connerie en branche. Ensuite, parce que l’œuvre déborde de la case où on l’a rangée. La silhouette sexy des sisters et le personnage de Quentin sentent clairement l’adresse aux petits mecs. Mais pas que. Les adolescentes pourront sans peine s’identifier selon leur tempérament à l’une ou l’autre des sisters qui sont les héroïnes de Cat’s Eye et représentées comme telles, pas juste des jolies meufs en combinaison moulante ou à l’occasion en bikini. Une des raisons pour lesquelles j’aime cet anime : tout le monde peut y trouver son compte.
J’y trouve encore le mien maintenant, vu que la série a conservé ses principaux atouts (relations entre les personnages, humour, action, décontraction). Et puis bon, il y a pour Signé Cat’s Eyes tout un affect de jeunesse lié à la nostalgie, à l’enfance et à mes premiers fantasmes de partouze de bisous avec les trois sœurs (déjà à dix ans, je voyais grand…).
Les personnages sont des stéréotypes, mais ils fonctionnent grâce à leur synergie. M. Bruno, le chef de la police, incarne le patriarche autoritaire. Quentin, qui garde la même chemise blanche tout au long de la série, c’est le gars plein de bonnes intentions, courageux, assez malin dans son genre mais toujours blousé par Tam plus maligne que lui grâce aux infos qu’elle lui soutire. Un brin macho, certains de ses propos sonnent très années 80, ce qui n’a rien d’étonnant, vu que c’est l’époque de la série, mais ça passe, dans le sens où le personnage est, dans le même temps, complètement largué dans son rapport aux femmes en général et à Tam en particulier. À côté de ça, il est sincèrement admiratif de Cat’s Eye, la considère comme son égale et reconnaît souvent qu’elle est plus balèze que lui. Donc pas un connard patriarcal dans l’âme, juste il est jeune et con, et on se dit qu’avec le temps, il finira un peu plus mature sur le sujet. De toute façon, la série n’est dans l’ensemble pas tendre avec ses personnages masculins, pas avares d’envolées viriles et sexistes, et chaque fois tournés en ridicule en guise de punition.
Le casting féminin tient le haut du pavé : Sylia, la grande sœur, très adulte, posée, figure maternelle mais pas que (j’ai en mémoire une scène où elle fait du gringue à Quentin pour le déstabiliser et ça fait tout sauf gentille maman) ; Alex, la petite sœur intrépide, “garçon manqué” comme on disait à l’époque, geekette avant l’heure ; et Tam entre les deux, dynamique et romantique, enthousiaste et angoissée, amoureuse et jalouse, avec assez de nuances dans le personnage pour ne pas se limiter à une somme de contradictions. Des archétypes, soit, mais dont le fonctionnement en trio dépasse la somme des parties et de ce qui pourrait passer pour des clichés. On a ici un trio indépendant, elles gèrent leur boîte, elles en ont dans le citron, elles alignent une somme pharaonique de compétences, tout ça sans rien forcer dans leur écriture qui fonctionne très bien, pas comme certaines pseudo-femmes fortes qui sont trop souvent des personnages écrits sur des standards de mecs et à qui on colle une paire de boobs pour dire que ça fait une meuf.
C’est une autre raison pour laquelle j’adore cette série. Pour une œuvre du début des années 80, elle est bien plus moderne dans son approche que beaucoup de titres de l’époque où les personnages féminins devaient se contenter de rôles secondaires toujours dans l’ombre du héros (Capitaine Flam, Albator, Goldorak, Les Maîtres de l’Univers) ou de têtes d’affiche cul-cul la praline, larmoyantes et/ou infantiles (Candy, Cathy la petite fermière, Princesse Sarah, Heidi). Des années après, je me suis rendu compte que Cat’s Eye avait beaucoup pesé sur ma vision des femmes, loin de l’image des demoiselles en détresse éthérées et fragiles qui pleurent tout le temps, que renvoyaient pas mal d’autres dessins animés.
Ce dessin animé a pesé au point qu’aujourd’hui encore, même en ayant vu le film et lu le manga en VO et en VF avec les noms d’origine (Chamade/Kisugi, Tam/Hitomi, Sylia/Rui, Alex/Ai, Quentin/Toshio), je sois infoutu de les appeler autrement que dans la série d’animation.
Et aussi, bizarrement, je ne suis jamais sorti avec une femme qui n’aient pas les cheveux aussi noirs que si elle était une des sœurs Chamade (et je ne doute pas que ça provienne de là, c’est la seule source possible de cette attirance, plus des trois quarts des meufs de dessins animés de l’époque étaient blondes comme les blés).