Dans mon parcours de rôliste, Shadowrun s’impose comme le flop le plus marquant…
En 1988 sort le jeu de rôle Cyberpunk qui s’inscrit dans le mouvement littéraire éponyme dont le représentant le plus connu est William Gibson avec Neuromancien (1984). L’année suivante, c’est au tour de la première édition de Shadowrun de voir le jour, torchée à la va-vite pour se glisser dans les pas de son concurrent. Trois ans plus tard, FASA Corporation publie une seconde mouture pour corriger (en partie) certains défauts, comme la complexité et la lourdeur des règles. Cette deuxième édition est traduite chez Descartes éditeur en 1993.
Est-ce un bon jeu ?…
Bof.
Même rectifiées, les règles de cette version sont tout sauf emballantes et restent complexes, ce qui a pas mal rebuté mes joueurs de l’époque (et moi aussi). À vouloir être trop précis, les mécanismes du jeu deviennent relous. La moindre action est aussi longue que compliquée à résoudre, ce qui casse chaque fois le rythme narratif du scénar. Trop de jet de trop de dés : on en balance par brouettes, dix, quinze, vingt, au point de se croire dans un jeu de figurines de Games Workshop.
Par contre, l’univers, au top !
L’an 2053 imaginée par Jordan Weisman et sa bande (Tom Dowd, Paul Hume, Bob Charrette et alii) au début des années 90 ressemble beaucoup à nos années 2020. Monde sale et pollué, inégalités sociales à un niveau inégalé, environnement violent, chômage, pauvreté, crime, mégacorporations qui font la pluie et le beau temps en chiant sur ce qu’il reste des structures étatiques… On se croirait dans le film Blade Runner. Ou dans notre réalité de maintenant, on n’est pas trop dépaysé… Un poil en avance sur le plan technologique, l’univers de Shadowrun comporte une Matrice (mélange d’Internet et de réalité virtuelle). On peut pas plus cyberpunk, entre anticipation, dystopie et polar. Sauf que voilà, mes joueurs n’étaient pas trop porté sur le genre…
Particularité de Shadowrun par rapport à d’autres jeux de rôle sur le créneau du futur proche avec beaucoup de no future dedans (Cyberpunk, Berlin XVIII), la présence de magie. Pour la faire courte, le monde a connu l’Éveil, qui a vu la magie se réactiver, d’anciennes créatures comme les dragons pointer le bout du museau après avoir roupillé des millénaires, et enfin des mutations parmi la population, dont une partie s’est changée en orks, nains, trolls et elfes. L’intérêt de Shadowrun vient de là : avoir combiné l’éphémère genre cyberpunk avec le genre montant de l’urban fantasy pour proposer quelque chose d’inédit ou en tout cas d’assez rare à l’époque tous médias confondus pour sortir des sentiers battus. Sauf que pas de bol, mes joueurs n’étaient pas portés sur l’urban fantasy et pas davantage sur le mélange des genres.
À l’arrivée, entre la complexité des règles et la mayonnaise de l’univers qui n’a pas pris auprès du groupe, l’expérience Shadowrun n’aura pas été fabuleuse en termes de jeu. Le groupe se composait de trois persos bourrins, parce que les joueurs ne voulaient pas s’enquiquiner avec les règles de magie et de matrice. Leur méthode pour venir à bout d’un scénar consistait à tout désintégrer sur leur passage : cible, ennemis, amis, commanditaire de leur mission (dans le doute, des fois qu’il essaierait de les enfler…). Un cataclysme à la Demolition Man, la finesse de Judge Dredd, une ambiance de sérieux digne des Ailes de l’enfer. Bon, après, l’expérience n’a pas été horrible non plus, on aura bien rigolé et pour un jeu, c’est quand même le principal. On sera juste passé à côté du truc. Faut dire aussi qu’on était très jeunes et que, du côté de mes joueurs, aucun ne disposait des références pour profiter de Shadowrun, faute d’avoir lu les bouquins ou vu les films qui l’ont inspiré.
Je ne sais pas du tout où en est le jeu aujourd’hui. À sa sixième édition me dit Wikipedia, c’est donc qu’il doit encore avoir assez de fans pour tourner. Ce qui est sûr, c’est qu’à l’époque, Shadowrun était un des jeux les plus riches en termes d’univers proposé.