Temps XXX et science-friction
Le seul point de la science-fiction sur lequel tout le monde s’accorde, c’est la difficulté d’en établir la définition. Après, a-t-on besoin d’une définition précise comme un coucou suisse ? On s’en bat les noix avec une raquette de jokari. On le sait d’instinct, quand c’est de la SF, parce qu’on en a tous une représentation mentale, nébuleuse, certes, mais suffisante.
La science-fiction, en caricaturant à mort, c’est un récit avec de la science dedans, science qui relève de la fiction en faisant appel à des technologies qu’on ne possède pas encore.
Définition qui n’est pas du tout satisfaisante, en partie parce que le genre n’a pas uniquement vocation à imaginer les technologies du futur, et en partie parce que le genre est devenu un fourre-tout vaste, vague et varié.
Dans la série “SF… ou pas”, on lui rattache souvent l’uchronie. Fatherland de Robert Harris, uchronie, oui, mais polar/thriller. Donc les récits uchroniques, ça dépend, ça dépasse.
Le cyberpunk est au moins aussi proche du roman noir et du thriller que de la SF, seuls les bidules électroniques le font pencher vers la seconde plutôt que les premiers. Parce que pour l’ambiance sombre, la critique sociale, le questionnement sur la place de l’individu dans la société, les anti-héros, la part d’action dans l’intrigue, kif-kif. Cf. le film Blade Runner ou la nouvelle Clause de salaire de Philip K. Dick.
L’anticipation se périme au gré des avancées technologiques : si Jules Verne écrivait Vingt mille lieues sous les mers, Robur le Conquérant, De la Terre à la Lune aujourd’hui, il serait classé en steampunk.
Le steampunk, tiens, tant qu’on en parle, découle des Voies d’Anubis de Tim Powers, roman qui démarre dans une machine à remonter le temps tout ce qu’il y de plus SF. Sauf que les trois quarts du bouquin mettent en scène des sorciers et relèvent de la fantasy.
Même le space opera bien connu Star Wars ne se range pas que dans la science-fiction, empruntant à la fantasy ou au roman de chevalerie.
Le post-apo, je peux te citer en fantasy le contre-exemple de l’univers Dark Sun pour le jeu de rôle Advanced Dungeons & Dragons. Même un classique comme Route 666 pose la question peut-être pas du genre – SF indéniable – mais des ponts entre les genres, avec son environnement et ses créatures plus proches d’un univers de fantasy que d’un monde régi par les lois naturelles qui font bicher les scientifiques. Sur la terre de Zelazny, il pleut des rochers…
Quant aux extra-terrestres, on pourrait classer le film Alien en angoisse-horreur-épouvante. Il n’a de SF que le cadre du vaisseau spatial, plein de coursives et de couloirs. Tu remplaces le Nostromo par un labyrinthe bâti en pierre et l’alien par un homme à tête de taureau, tu obtiens de la fantasy (Thésée et le Minotaure). Tout l’univers de Warhammer, même topo, sans différence de fond entre les elfes qui balancent des boules de feu et les eldars qui font piou-piou avec leurs pétoires laser.
Pas besoin de passer en revue la liste intégrale des sous-genres, tu vois l’idée. La notion de genre a parfois quelque chose de très artificiel à trop se focaliser sur le décorum plutôt que le propos pour classer les œuvres. Pratique pour ranger “en gros” mais à ne surtout pas prendre comme des cases aux contours bien définis et inaltérables.
Je rejoins ce qu’en disait Pratchett, “a lot of science fiction is fantasy with nuts and bolts painted on the outside”. La SF, c’est de la fantasy avec des écrous (ou des couilles, selon comment on traduit nuts) et des boulons. Même littérature d’une certaine façon, décor différent.
La façon dont Pratchett écrit de la fantasy colle avec sa définition. Dans leur propos, ses Annales du Disque-Monde se rattachent au même esprit que la SF réflexive. Seul le décor change. Il te parle de notre monde transposé dans un autre contexte, de l’humain, du rapport à l’autre (via des trolls, des nains, des morts-vivants, comme d’autres le font avec des extraterrestres), de la marque de la technologie sur la société (télécommunications, médias, imprimerie, transports…). Il développe une réflexion et invite le lecteur à en faire de même. La majeure partie de la SF s’est bâtie là-dessus.
Après, on va s’épargner le débat sur la “vraie” SF. Elle n’existe pas. La science-fiction peut aussi être divertissante, viser l’évasion, l’histoire pour le plaisir de l’histoire. La SF n’a pas de mission. Que certains auteurs se sentent investis, oui, pourquoi pas ? Ça ne regarde qu’eux, chacun sa vocation. Que les œuvres développent un propos philosophique sur l’humanité, une réflexion prospective les développements sociétaux de telle ou telle technologie, une mise en garde sur les futurs terribles qui nous attendent si on joue aux apprentis-sorciers, ce n’est jamais qu’une possibilité, pas une nécessité. D’autant que si on se place sur le terrain de la mission sacrée qui serait inhérente au genre, la SF affiche un fiasco total. Tu peux développer toute la réflexion que tu veux, derrière, rien ne suit dans le monde réel. Un exemple : 16000 têtes nucléaires recensées sur la planète en 2017, ça donne une idée de la portée du message “ne déconnez pas avec l’atome” présents dans un paquet de récits post-apo depuis trois quarts de siècle.
La science-fiction relève de l’imaginaire, autant dire de l’infini, il n’existe aucune raison valable de se brider dans une posture de genre à thèses quand il y a tant de choses à raconter à côté. Pis bon, limiter l’infini, ça me paraît par définition compliqué.
La morale : il y a autant de façons de concevoir la SF, de l’écrire, de la lire, qu’il y a d’auteurs et de lecteurs. En élever une au rang d’impératif, pour un genre qui se veut celui de la réflexion – avec l’ouverture pour corollaire – reviendrait à se tirer dans le pied la balle du dogmatisme.
PS : pour ceux qui s’offusqueraient qu’un article sur la science-fiction ne mentionne pas Isaac Asimov (Fondation), Ray Bradbury, Franck Herbert (Dune) ou encore Philip K. Dick, ben voilà, je viens de le faire.
Le bric-à-brac de l’imaginaire :
SFFF (1) Metal hurleur ;
SFFF (3) Plastique fantastique ;
SFFF (4) Fantasy.
(Excepté la photo en tête d’article empruntée à un remake porno de Star Wars, tous les bidouillages graphiques sont la propriété d’Un K à part, marque déposée dans le vide-poches à droite en entrant.)