Ravensbrück mon amour
Stanislas Petrosky
L’Atelier Mosésu
(réédité sous le titre Ils étaient vingt et cent… chez French Pulp)
Un bouquin qui revient de loin…
Avant de me replonger dedans pour les besoins de cette chronique, j’avais lu Ravensbrück mon amour l’an dernier, en juillet, sur la route vers le salon d’Esquelbecq. Un TER-Mer Lille-Dunkerque bondé genre bétaillère. Une faune rigolarde armée pour affronter la grande bleue qui d’une pelle, qui d’un seau, qui d’un râteau (laveur). Et moi là-dedans à bouquiner une histoire pleine de bruit et de Führer. Deux mondes se côtoyaient dans la Shoah et la bonne humeur…
J’ai bien failli ne jamais lire Ravensbrück mon amour, lecture risquée par excellence.
Un roman historique ne part jamais gagnant entre mes mains. Vaut mieux qu’il soit bien documenté sous peine de me voir lever les yeux au ciel toutes les deux pages. Erreurs, approximations, anachronismes, autant de parasites qui plombent la lecture. Bienheureux les incultes…
Pour le coup, je maîtrise le sujet depuis tout petit. En classe de 3e, mon prof d’histoire (que je salue au passage) m’avait catapulté volontaire pour participer au Concours national de la Résistance… sur le thème “les camps de concentration et d’extermination”. J’ai terminé parmi les lauréats, cela va soi (tout comme il va de soi que je me classe bon dernier pour les prix de modestie). Aujourd’hui, une large portion de ma bibliothèque est consacrée au nazisme et ses douteuses joyeusetés, de la copieuse bio d’Adolf par Ian Kershaw à Fatherland de Robert Harris, en passant par Une petite ville nazie (William S. Sheridan) ou encore Rêve de Fer (Norman Spinrad), et j’en passe.
Autant dire que Ravensbrück mon amour s’aventurait dans un champ de mines critique : le moindre bout d’orteil qui dépasse et boum…
Je saute direct à la conclusion. Ravensbrück ne m’a pas donné envie d’éclater la tête de son auteur arméno-normano-aztèque à coups de brique. Le réalisme et l’exactitude des descriptions laissent imaginer un copieux travail de recherche. Si l’auteur use de la licence poétique pour quelques détails de l’histoire, il n’en abuse pas au point de tomber dans le le non-respect de son matériau.
Je conseille aux lecteurs sensibles de prévoir une bassine ainsi qu’une menthe pour l’haleine. Le texte, d’une grande justesse de mots et de ton, est cru, dur, gore, gerbant même, à l’image de la sinistre réalité qu’il dépeint. Pas un passage sur la vie du camp, des prisonniers ou des gardiens qui ne dépareillerait dans le témoignage d’un rescapé.
Au point qu’on en regrette une utilisation quelque peu abusive de l’italique. Mais pourquoi, Stanislas ? Qu’est-ce que tu veux souligner de plus dans cette horreur qui parle d’elle-même ? Italique égale marque littéraire égale artifice égale on sort du texte. C’est dommage, pas rédhibitoire non plus, juste que tu pouvais en faire l’économie sans perdre en portée.
(Et là, je m’offre l’économie d’une transition, hop.)
J’ai trouvé le personnage de Gunther intéressant et bien pensé.
A l’exception de sa relation avec Edna qui ne m’a pas des masses convaincu… et sur laquelle je ne vais pas m’étaler sous peine de spoiler comme un malade.
Gunther “cul entre deux chaises” Frazentich… Allemand sans être nazi, plus à l’aise avec un pinceau qu’avec un fusil, coincé entre les bourreaux et les victimes… le vilain petit canard de la race supérieure. Un type normal, embarqué là-dedans un peu par hasard, et qui se retrouve du mauvais côté à son corps défendant… mais pas trop, parce qu’il est lâche… et réaliste aussi. Tout seul contre le IIIe Reich, il ferait quoi ? Captain America, c’est pas pour lui, la place était déjà prise de toute façon.
Gunther pose au lecteur cette éternelle question : qu’est-ce que tu aurais fait, toi ? On a envie de lui coller des claques chaque fois que sa veulerie prend le dessus. Envie de lui crier “résiste, prouve que tu existes”. On se dit qu’à sa place on le ferait. Et puis, comme lui, on réfléchit en voyant les douze gars en face, MP40 en bandoulière, MG42 en appui. Et à la fin, on se dit que David contre Goliath, dans la vraie vie, c’est un coup à finir aplati comme un fantassin sous une chenille de Panzer.
Côté technique, le style m’a dans un premier temps désarçonné. A vrai dire, je le cherche encore… et je me dis que ce n’est pas plus mal. Pas de marqueur stylistique évident comme chez un Proust ou un Céline, rien qui me fasse kiffer une forme hors normes. Au début, j’avoue, j’ai eu du mal à accrocher.
Ben c’est très bien comme ça, en fait.
Quand on parle des camps, on évoque un phénomène d’une ampleur inégalée. Les politiques d’extermination du IIIe Reich, je les mets au pluriel, au motif qu’elles en appellent à des logiques, des justifications, des objectifs et des moyens variables de l’une à l’autre. Ces politiques, donc, touchent les Juifs, les Tziganes, les Slaves, les opposants, les résistants, les homosexuels, les handicapés, les communistes, et bien d’autres encore. Faut reconnaître aux nazis une vision très égalitariste : tout le monde y passe. Bon, la chose n’est pas nouvelle. Des génocides, y en a eu avant. Des camps de concentration aussi. Des gens dégommés pour raison x, y, z encore davantage. Mais là, on change d’échelle, en termes de nombre, de moyens, de visées.
Pour en revenir à ce que je disais sur la forme, avec le recul, un tel phénomène relève de l’hyperbole en soi et ne nécessite aucune fioriture stylistique supplémentaire. La poudre aux yeux formelle pourrait même atténuer l’horreur de fond et desservir le propos.
En outre, comme on dit chez les fabricants de gourdes, que le style du récit ne soit pas celui d’un fin lettré génial reste cohérent avec le personnage de Gunther. Issu d’une famille de paysans, porté sur le dessin plus que sur les lettres, on ne peut attendre de lui qu’il joue les Mozart de la littérature.
Comment conclure ? me demandé-je à la suite de Jean-Claude Dusse. Comment caser la canonique ouverture de fin sans jouer les donneurs de leçons, les moralistes à deux ronds, les Yoda du dimanche ?…
Pour ceux qui s’intéressent au sujet, avant d’attaquer les ouvrages pointus d’historiens, Ravensbrück mon amour constitue une bonne entrée en matière qui plonge le lecteur dedans jusqu’au cou.
Une lecture pas agréable mais salutaire. J’adore la littérature d’évasion, mais de temps en temps j’abandonne les licornes et les sabres-laser pour me colleter des bouquins qui piquent. Il faut.
Que je chronique Ravensbrück mon amour à la suite de Quand la nuit devient jour n’a rien d’anodin. Petrosky et Jomain livrent chacun un roman qui dépasse le cadre du roman : deux titres à l’indéniable portée pédagogique. Les réalités qu’ils décrivent paraîtront peut-être lointaines. La dépression et la souffrance, ça n’arrive qu’aux autres… L’euthanasie en Belgique, c’est pas chez nous, alors on s’en fout… Les camps de concentration, c’est le passé, on oublie… Pis tout ça, c’est pas jojo, alors on va fermer les yeux et pas se prendre la tête. De toute façon, c’est plus ce que c’était, ma bonne dame, c’était mieux avant, au temps du Maréchal…
D’accord, faisons comme ça… Depuis 1945, on n’arrête pas de se génocider et de se nettoyagethniquer la tronche à qui mieux-mieux (ou pire-pire). Si l’Histoire enseigne beaucoup, l’Humanité n’apprend rien. Après tout, c’est pas comme si on parlait de sujets on ne peut plus d’actualité. La “jungle” calaisienne qui fait couler tant d’encre (et de sang). Les parquages de migrants. Les Roms-boules-de-flipper qu’on catapulte d’un échangeur l’autre à coups de pompe dans l’oignon. Avec eux, tu me diras, on s’économise les barbelés, mais bon, on y gagne vraiment en humanité, tu crois ?…
Chaque fois que j’entends parler de “fiotte”, de “youpin” ou de “bougnoule”, je me dis que l’ombre des miradors obscurcit bien des caboches, qu’il ne faudrait pas grand-chose pour qu’on y revienne, aux crématoires. Une crise, un leader charismatique, quelques beaux discours…