Pierre Desproges, coup double

Vivons heureux en attendant la mort
Les étrangers sont nuls

Pierre Desproges

Points

Pierre Desproges Vivons heureux en attendant la mort Les étrangers sont nuls Points

Dire que c’était mieux avant sonne toujours un peu réac, n’empêche que Pierre Desproges était bien meilleur que Jean-Marie Bigard, Kev Adams, Dany Boon, Franck Dubosc et Gad “Copycat” Elmaleh réunis (ce qui n’est certes pas bien difficile, mais quand même) et il était là avant. Le seul humoriste à s’en rapprocher un tant soit peu par le style est Gaspard Proust… qui se contente de la provoc pour la provoc et ne raconte in fine rien du tout, donc on en a assez vite fait le tour aussi.
Desproges est drôle.
Et avec style.
Deux choses qui manquent à la plupart des humoristes passés, présents et à venir.

Sur la forme, poésie trash au programme. Desproges peut t’aligner des phrases de vingt-cinq kilomètres de long sans t’endormir comme l’autre Proust (Marcel), avec du subjonctif imparfait dedans et aussi des gros mots (sauf que là, le décalage de registre fait marrer, à la différence d’une vulgarité bourrine à la Bigard), le tout avec un sens consommé de la rythmique – plus perceptible sur scène que dans les bouquins. Références historiques et littéraires à foison, vu que le gars a de la culture générale à revendre ; références politiques dans les mêmes proportions, un peu datées aujourd’hui, même si, sur le fond, les noms des trous du cul ont changé, pas leur nature. Et un ton acerbe, caustique, tout en humour noir, tout en finesse aussi jusque dans ses plus grosses énormités.

Dans Vivons heureux en attendant la mort, Desproges élucubre à qui mieux-mieux sur la vie, la mort, le rapport à l’autre à travers tous les gens qu’il déglingue d’un chapitre l’autre (coiffeurs, racistes, médecins, Dieu, chauffeurs de taxi…) et sur le rire – ce dernier point constituant le vrai thème de l’ouvrage. Il saute aux yeux à la lecture du texte que l’ami Pierrot n’est autre que le double maléfique et rigolo d’Henri Bergson.
Au bien-nommé “chapitre pitre”, il pose la question centrale – littéralement centrale, elle est pile au milieu du bouquin.
“Peut-on rire de tout ?
Peut-on rire avec tout le monde ?
À la première question, je pondrai oui sans hésiter. (…) À la deuxième question, je répondrai : c’est dur.”
Qui ne sont jamais que deux questions rhétoriques, la première phrase du chapitre ayant déjà réglé leur sort avant même qu’il ne les pose.
“Il faut rire de tout. C’est extrêmement important. C’est la seule façon humaine de friser la lucidité sans tomber dedans.”
Il faut rire de tout.

Les étrangers sont nuls, mais ça on le savait déjà. C’est pas comme si toutes les sociétés depuis que le monde est monde se bâtissaient sur le rejet de l’autre, qu’est pas comme nous, moins bien, à coups de clichés racistes et xénophobes. Entretenir les mauvais rapports de voisinage, cultiver la rancœur envers l’ennemi héréditaire, voilà comment on monte un État-nation digne de ce nom.
Desproges se paye ici pour de rire la tête d’une petite trentaine de pays et de leurs habitants aux mœurs bizarroïdes sur l’air de “Comment peut-on être Persan ?”. Et de conclure par un portrait des Français, grands adeptes des leçons de morale dispensées aux autres tout en n’étant pas les derniers quand il s’agit de chier dans la colle bien comme il faut.

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