Piège d’os
Thierry Declercq
Fleur Sauvage
Comme annoncé par la quatrième, Piège d’os est un roman en trois parties : la première, la deuxième et la troisième. (Je préfère prévenir que des comme ça, j’en ai des pleins cartons en réserve.)
En fin de quatrième de couv’, dans une grande envolée de blabla autolaudatif de l’éditeur, il est question d’un “final… insoupçonnable”. Faut peut-être pas pousser. Le final – que tu trouveras à la fin du bouquin (j’avais prévenu) – en surprendra sans doute plus d’un. Sauf qu’une lecture attentive permet de le soupçonner dès le premier segment. La chronologie de la partie centrale en donne confirmation. Je n’ai donc pas été renversé de stupéfaction par l’ultime révélation du dernier chapitre.
Ce qui n’empêche pas que le processus soit bien mené. Attention, hein, c’est du très beau boulot. Declercq joue à merveille du proverbe avec le sage et l’idiot, l’un qui regarde la lune, l’autre le doigt. Un vrai numéro d’illusionniste qui te pousse à zyeuter la mimine alors que chaque élément pointe en réalité vers la rondelle d’argent.
Piège d’os s’articule autour de la figure d’un serial killer.
– Pardon ?
– Je crois que nous avons affaire à un serial killer.
– Un quoi ?
– Un serial killer.
– Un ?…
– Un serial killer. Un tueur en série.
– Ah… Un serial killer.
Ça va, Odile et Serge ? Je vous dérange pas trop ? Allez jouer ailleurs ! Sérieux, y en a qui bossent !
Donc un assassin surnommé le tueur à l’obole. Pas à cause d’une fantaisie capillaire à deux ronds (la fameuse coupe obole) mais parce qu’il laisse dans la bouche de ses victimes une pièce de monnaie, vieille manie des Grecs pour payer le passage dans l’au-delà. Déjà à l’époque, fallait cracher pour tout et même mort tu devais encore raquer…
Ne va pas croire que la présence d’un seria… je vous vois venir, les deux guignols du fond. Pour autant, la présence d’un seriemoordenaar – en flamand, là y a plus personne pour la ramener – ne positionne pas Piège d’os en thriller ou roman policier, en tout cas pas du policier à enquête. Il s’agit plutôt d’une étude de caractères camouflée en roman noir, avec pour thème la culpabilité.
Declercq explore sa thématique sous trois angles. D’abord, André Genêt, poivrot raciste et sénile, qui vit dans une baraque croulante avec ses chats. L’un des matous se fait la malle à cause d’une porte laissée ouverte. Genêt s’en veut et c’est parti pour que pas mal de choses remontent. De loin la plus étrange des trois parties et la plus réussie, parce qu’elle s’éloigne des canons du polar et que tu ne vois pas trop où elle t’emmène. Rythme lancinant, scènes aussi barrées que le personnage, ambiance qui louche tantôt vers le fantastique tantôt vers la chronique villageoise… On pense au mythe de Sisyphe (le gars avec son rocher, pour ceux qui connaissent moyen la mythologie), aux pétages de plomb à la Stephen King (Chantier) ou Maupassant (Le Horla), ainsi qu’à plusieurs récits d’Edgar Allan Poe (La barrique d’amontillado, La chute de la maison Usher, Le cœur révélateur, Le chat noir).
Deuzio, le fameux tueur à l’obole, sa vie, son œuvre et son degré zéro de culpabilité ressentie. Pour ainsi dire un court roman en soi, Declercq y livre une excellente étude de cas sur l’émergence d’un tueur psychopathe. À rapprocher de la nouvelle Un élève doué de Stephen King, abordée ici sur le mode de l’autoformation.
Enfin, un journaliste, dans un dernier tiers auquel j’ai moins accroché. La faute à certains éléments qui font redite des parties précédentes ou explicitation superflue de choses qu’on avait comprises de nous-même.
Ici je te laisse caser une formule bateau sur “la noirceur des tréfonds de l’âme humaine” (après tu m’expliqueras la différence avec une âme pas humaine, à quoi peut ressembler l’âme d’une abeille ou d’un chou de Bruxelles, et toutes ces sortes de choses).
Toujours est-il que les portraits brossés par Declercq valent tous les manuels de psychiatrie, en beaucoup moins pénibles à lire, parce que mieux écrits.
Trois types plus cintrés qu’une penderie, chacun à sa façon.
Un auteur aussi doué pour le macabre que les noms un peu connus cités plus haut.
What else? comme dirait George en sirotant un petit noir. Là aussi, c’est du noir, mais du grand !