Adapté de la nouvelle La clause de salaire (en VO Paycheck) de Philip K. Dick, un texte que j’adore, le Paycheck de John Woo avait suscité en son temps une grosse attente de ma part… et une déception proportionnelle, ce film étant ce qu’on appelle en langage technique “une bouse”.
Jennings est ingénieur en électronique. Suite à sa dernière mission, sa mémoire est effacée pour préserver le secret sur ses travaux. Censé récupérer un paquet de blé suffisant pour lui permettre de glandouiller peinard jusqu’à la fin de ses jours, il voit atterrir entre ses pognes une enveloppe contenant non pas un gros chèque mais une tripotée d’objets qui ne valent pas un radis. Jennings est colère… sauf que c’est lui-même qui a insisté pour recevoir ce paiement moisi et pas un autre. Surpris par sa propre clause de contrat, il va donc mener l’enquête pour deviner ce qui a bien pu lui passer par la tête. Ce faisant, il découvre 1) que ses employeurs cherchent à le zigouiller et 2) que chacun de ses brimborions lui sauve la mise comme si le Jennings du passé en pleine possession de sa mémoire avait préparé le terrain au Jennings du futur amnésique.
Les lignes de base de la nouvelle sont respectées dans le film. Et c’est tout.
Le texte de Dick était intéressant pour son action/aventure, plus pêchu que pas mal d’autres de ses nouvelles au rythme plus posé. Intéressant aussi pour les réflexions qu’il suscitait chez le lecteur. Sur le temps, sa manipulation et ses paradoxes (le Jennings du passé connaît le futur mais celui du présent non, puisqu’il est amnésique, le personnage est donc à cheval entre le deux). Sur les notion de destin et de libre-arbitre (le futur est écrit et en même temps peut être altéré). Sur la mémoire, ou encore sur la paranoïa, deux thèmes chers à Dick (cf. sur le premier Souvenirs à vendre/Total Recall et sur les deux Le temps désarticulé). Dans une moindre mesure sur l’idolâtrie (le Jennings du présent en vient à considérer son moi passé omniscient comme une entité distincte de lui-même et à le vénérer comme un oracle). Enfin, intention thématique première de Dick présidant à l’écriture de La clause de salaire, sur les petites choses de la vie et les objets de rien du tout, sans grande valeur intrinsèque, qui peuvent à un moment donné valoir tout l’or du monde. Soit un thème pas anodin au lendemain de la Seconde Guerre mondiale – la nouvelle date de 1953 – marqué par la frénésie de possession de la société de consommation. In this story I got to thinking that there are times in our lives when having a dime to make a phone call spells the difference between life and death. Une malheureuse piécette peut te sauver la mise quand des millions de dollars sur ton compte en banque, non. En tout cas à l’époque des cabines téléphoniques à pièces.
C’est une nouvelle que j’aime beaucoup pour sa façon de gérer la prescience plus originale que le gars qui sait juste d’avance ce qui va arriver parce qu’il a un super-pouvoir sorti d’on ne sait où. Là, Jennings sait et ne sait pas à la fois. Il a les clés mais doit quand même se creuser les méninges pour savoir quel objet utiliser à quel moment… et doit aussi se remuer le popotin, parce que même avec de l’aide, rien ne garantit que ça marchera.
Dans le même esprit et en même temps très différent, j’avais aussi adoré L’homme doré (et j’avais même plutôt bien aimé l’adaptation Next avec Nicolas Cage), où la prescience du protagoniste est limitée. Son pouvoir ne lui permet pas de rouler sur tout et tout le monde, loin des super-héros invincibles (à quoi on peut m’objecter que tous les super-héros ont leur super-faiblesse pour compenser, mais va trouver de la kryptonite pour arrêter Superman).
Bref, une de mes nouvelles préférées du gars Dick, que je vous invite à lire.
Le film, lui, est à chier.
La réalisation de John Woo, déjà pas avare en effets de manches (ralentis, accélérés, arrêts sur image), touche ici au kitsch. Sa marque de fabrique relève du gimmick et du cahier des charges, tous les bidules visuels sont là parce qu’il est aux manettes et qu’il faut les mettre mais sans apporter le moindre sens. En plus, ils se combinent avec la surenchère pyrotechnique hollywoodienne, autant dire qu’on en prend plein les yeux tout du long… pour rien. Parce que rien ne fonctionne, tout n’est que poudre aux yeux, et, pire, on le voit que c’est du perlimpinpin.
Du travail de commande en pilote automatique et ça se sent.
Castagne, poursuites, fusillades, explosions, bon ben y a de l’action, avec l’éternel gunfight de folie et le traditionnel johnwooisme du face-à-face des mecs qui se braquent à bout portant. Soit une impression de déjà vu mille fois et de réchauffé.
Une Uma Thurman qui ne se foule pas des masses, pas aidée par un personnage écrit en deux lignes, donc dur de jouer quelque chose sur la base de rien. Un Ben Affleck expressif comme une courge avec le même niveau de charisme. Les méchants ont l’air sournois de base, donc on sait qu’ils ne sont pas nets avant même qu’ils aient ouvert la bouche ou bougé un orteil. V’là le suspense… Le sidekick comique, inutile, disparaît d’un coup en pleine fusillade au tiers du film et revient pour la dernière minute. Les personnages secondaires ne servent à rien tant ils sont peu développés (ex : le FBI décoratif).
Tout oscille entre clichés et incohérences, bref, le pur produit hollywoodien qui croit rattraper ses maladresses de scénario à coups de pyrotechnie… pour mieux les décupler avec l’invraisemblance de ses scènes d’action. Nan parce que je veux bien qu’on en rajoute au motif que c’est du cinéma et qu’on puisse s’affranchir de certaines réalités, suspension consentie d’incrédulité, tout ça, tout ça, mais là c’est beaucoup demander vu le degré zéro de crédibilité. Et même sur le versant action, on en arrive à trouver le temps long pendant les scènes pétaradantes comme la trop longue course à moto ou l’interminable baston finale.
Quant au fond, ne cherchez pas, il n’y en a pas. Aucune thématique ne ressort de ces deux heures d’agitation frénétique. L’histoire riche est devenue un film creux, vague prétexte à poursuites et romance.
Paycheck est donc un pur produit de commande, passage obligé du réalisateur étranger qui veut faire son trou à Hollywood. Sauf qu’à donner dans le formaté, on a vite fait de s’enliser et de creuser sa tombe. John Woo l’a bien compris, il est d’ailleur reparti en Chine peu après.