Montaillou, village occitan de 1294 à 1324
Emmanuel Le Roy Ladurie
Folio histoire
Le Roy Ladurie accouchait en 1975 d’une étude basée sur les registres de Jacques Fournier, évêque de Pamiers mandaté pour nettoyer les restes du catharisme en Haute-Ariège. Trente ans de vie d’un bled perdu au milieu de nulle part décortiqués dans cette monographie de micro-histoire. Sur le papier, tu sens le truc assommant au possible qui n’intéressera que les (le ?) spécialistes.
Eh non ! Le meilleur livre d’histoire que j’aie jamais lu, le plus palpitant aussi ! Je le conseille aux étudiants en anthropologie et en histoire (pas que les médiévistes, tous !), aux passionnés de Moyen Âge, aux rôlistes…
Loin des têtes couronnées, des grandes batailles, des intrigues de cour et de ce qui se trame au sommet, l’historien s’intéresse ici à la base, aux pékins qui forment le gros de la population.
Ce bouquin est une mine d’informations sur la vie quotidienne d’une poignée de villageois. Tout y passe : vie champêtre, économie agro-pastorale, rapports aux pouvoirs voisins, structures sociales et familiales, mœurs sexuelles, religion… Tout, tout, tout, vous saurez tout sur Montaillou… et sur le zizi aussi, comme dans la chanson (copieux chapitres sur les amours et passions paysannes, les viols et adultères, la consanguinité…).
Le Roy Ladurie ne se contente pas de débiter des anecdotes pittoresques et des interprétations anthropologico-historiques. La précision de sa reconstitution s’associe à une langue claire, fluide, élégante, en un mot agréable. L’auteur a le sens de la formule, capable de traiter son sujet avec un grand sérieux parsemé de notes d’humour. Oubliez l’aridité du style universitaire, il écrit très bien et sait rendre son texte passionnant.
À l’arrivée, on se prend à imaginer Montaillou en version série télé, avec quatre, cinq saisons de chronique villageoise médiévale pas piquée des vers, mélange de Dallas, Dynasty et Les feux de l’amour avec de l’intelligence dedans. Les 600 pages de la version poche (grosses poches, hein…) se lisent comme un roman. Le décor prend vie dans ses moindres détails. On connaît chaque habitant, ses joies, ses peines, ses secrets honteux. On s’attache à ce petit monde haut en couleur, à commencer par la maison Clergue et ses pittoresques représentants. Aucun lecteur de ce livre n’a oublié Pierre Clergue, curé cathare, truculent et queutard, le Bérurier médiéval en somme.
(Ce livre a été récompensé par un K d’Or.)